Claude Meisch au sujet de l'éducation au Luxembourg

"Une question d'intégration et de cohésion sociale"

Lëtzebuerger Gemengen: De plus en plus d'élèves sont orientés vers l'enseignement préparatoire. Comment s'explique cette évolution? Et quelles en sont les conséquences?

Claude Meisch: Nous observons en effet que, lors du passage primaire/post -primaire, de plus en plus d'élèves (18% en moyenne) sont orientés vers l'enseignement préparatoire qui fait partie de l'enseignement technique, et de moins en moins vers les lycées classiques. L'orientation vers la classe de 7e technique reste à peu près stable. Cette tendance, qui est constante depuis plusieurs années, nous préoccupe parce que, si elle se poursuit, d'une part, nous rencontrerons bientôt un problème pour remplir les lycées classiques et, d'autre part, nous manquerons de place dans les établissements qui dispensent actuellement l'enseignement préparatoire.

Nous avons donc lancé une analyse dont les conclusions révèlent que l'orientation des élèves luxembourgeois reste assez stable. Autrement dit, les élèves issus d'une famille traditionnelle luxembourgeoise sembleraient mieux placés pour intégrer l'enseignement secondaire classique ou technique que ceux dont la langue maternelle n'est pas le luxembourgeois. Cela signifie que l'évolution des résultats d'orientation est à mettre en corrélation avec l'internationalisation des élèves et que, peut-être, notre système scolaire n'est pas encore adapté à cette situation. De nouveau, ce constat n'est pas récent, mais il se confirme ici.

Il apparaît également à travers cette étude que, parmi les catégories de populations dont les enfants sont orientés vers l'enseignement classique, figure aujourd'hui une grande partie de la communauté des expatriés. Ces familles ont tendance à se tourner vers les écoles privées pour les systèmes linguistiques spécifiques qu'elles proposent. Nous essayons aussi de proposer des alternatives dans les écoles publiques, mais l'offre n'est pas encore suffisamment développée. Cela peut constituer une autre explication à cette évolution.

Nous sommes encore en train d'analyser ces résultats en détail pour en tirer les bonnes conclusions et adapter notre politique. Mais je peux d'ores et déjà vous dire que je suis d'avis qu'il faudra renforcer l'offre à l'attention de la communauté internationale au sein de l'école publique. C'est une question d'intégration et de cohésion sociale. Je ne veux pas qu'il y ait, d'un côté, des écoles privées dédiées à la communauté internationale et, de l'autre, des écoles publiques dédiées aux élèves luxembourgeois, mais que l'école publique soit ouverte à tous et garantisse les mêmes chances de réussite à chacun. C'est pourquoi nous avons signé une convention avec l'Ecole européenne pour en faciliter l'accès à la population résidente et c'est pourquoi aussi j'encourage vivement les lycées publics à élargir leur offre scolaire pour mieux répondre aux besoins de la nouvelle population.

Lëtzebuerger Gemengen: Vous êtes attentif à la notion d'éducation informelle et, dans ce sens, vous souhaitez instaurer le bilinguisme dès la crèche, qui serait gratuite. Quel est l'objectif de cette mesure? Comment sera-t-elle financée?

Claude Meisch: Le multilinguisme est un grand défi au Luxembourg, qui est un tout petit pays à l'économie très ouverte, et il fait partie de notre culture et de notre manière de vivre au quotidien. Il est donc nécessaire de ne pas y renoncer, mais plutôt d'adapter aussi bien notre système d'éducation formelle que l'éducation non formelle aux besoins de cette société multilingue. Nous constatons une situation un peu paradoxale au niveau de l'accueil des enfants en bas âge. Les enfants dont la langue maternelle est le luxembourgeois fréquentent des crèches publiques ou conventionnées où ils sont encadrés par un personnel qui parle luxembourgeois et où toutes les activités se font en luxembourgeois. A contrario, une grande partie des enfants issus d'une famille immigrée fréquentent des crèches privées où le personnel est en majeure partie francophone. Peut-être serait-il mieux d'inverser pour permettre aux petits Luxembourgeois de se familiariser avec le français, qui est une langue très usitée et très importante pour leur développement scolaire futur et aux petits étrangers d'apprendre encore plus tôt le luxembourgeois qui est plus proche de la langue allemande dans laquelle les enfants seront alphabétisés.

Dans un second temps, nous voudrions réformer entièrement le système de manière à créer un univers multilingue pour que les enfants, qui ont naturellement de grandes capacités d'apprentissage dès leur plus jeune âge, puissent profiter de ce laps de temps où une langue s'assimile en baignant dans un environnement où elle est parlée. Nos enfants seront ainsi mieux préparés au système scolaire luxembourgeois. Le multilinguisme sera un des critères de qualité principaux que nous allons définir pour toutes les crèches et les maisons relais.

Le gouvernement souhaite également proposer la gratuité de la prise en charge des enfants entre 0 et 3 ans. Bien sûr, cette ambition est à étudier en considérant nos moyens budgétaires, mais elle figure au rang de nos priorités. Nous avons donc décidé d'introduire une contribution destinée à financer l'effort qu'il faudra faire pour garantir la qualité et la quantité des places disponibles en crèche.

Lëtzebuerger Gemengen: Parmi les acteurs du secteur de la formation et des fédérations patronales que nous rencontrons, nombreux sont ceux qui pointent le fait que les jeunes qui sortent de l'école ne correspondent plus aux profils recherchés par les employeurs. Est-ce que vous partagez ce constat? Si c'est le cas, des initiatives sont-elles prises pour remédier à cette inadéquation entre l'éducation et le monde du travail?

Claude Meisch: Nous partageons partiellement ce constat et nous sommes en train d'y travailler. Les demandes du marché du travail au Luxembourg ont changé: il y a aujourd'hui moins de postes pour quelqu'un qui n'a pas de qualifications et moins de postes pour ceux qui ont suivi certaines catégories de formation.

Actuellement, nous ne sommes pas encore en mesure de produire suffisamment d'universitaires pour combler les besoins. Il faut donc encourager les jeunes à faire plus d'études, mais également à faire des études qui sont demandées par le marché du travail. Je dis donc personnellement à chaque jeune qui est en train de réfléchir à son avenir qu'il est important de choisir une voie qui l'intéresse et le motive suffisamment pour réussir ses études et y être actif pendant toute sa vie professionnelle, mais qu'il doit aussi considérer la réalité économique. Je constate qu'en ce moment, 800 psychologues sont en cours de formation universitaire -ce qui est trop par rapport aux besoins-, contre seulement 500 informaticiens, alors qu'on sait que le Luxembourg veut se positionner comme un des grands acteurs ICT au niveau international. Nous réfléchissons donc à la manière de susciter un intérêt pour des branches porteuses dès l'école fondamentale.

Des efforts ont, par ailleurs, déjà été faits pour mieux orienter les jeunes en fonction de leurs centres d'intérêt, de leur projet de vie et de leurs capacités intellectuelles ou manuelles, pour avoir les "bons" élèves dans les "bonnes" voies de formation. La Maison de l'orientation qui regroupe sous un même toit, place de l'Etoile, des services qui dépendent de différents ministères dont celui de l'Education nationale et celui du Travail et de l'Emploi a été créée pour offrir un conseil cohérent et global aux jeunes. Nous planchons actuellement sur un projet de loi qui donnerait une base légale à cette structure et améliorerait les synergies entre les différents services.

Lëtzebuerger Gemengen: Un institut de formation de l'Education nationale sera mis en place pour la rentrée 2015. Quels seront les objectifs de cette nouvelle institution et les résultats que vous en attendez?

Claude Meisch: C'est une des réformes les plus importantes à mon sens car, contrairement aux réformes structurelles qui ne changent pas grand chose à la relation entre l'enseignant et l'élève, la création de cet institut aura une réelle incidence sur la manière d'enseigner. Mieux former les enseignants est un moyen d'influencer ce qui se passe dans les salles de classe. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé de donner plus d'importance, de visibilité et de moyens à cette structure qui existait déjà de manière plus informelle.

Parallèlement à la création de l'institut de formation, l'obligation de réaliser un stage à l'issue de la formation, qui existe déjà pour l'enseignement secondaire, sera également introduite pour l'enseignement fondamental. Les futurs enseignants pourront ainsi se familiariser avec les impératifs de la vie professionnelle et mettre en pratique la théorie qu'ils auront acquise.

Grâce à la création de l'institut, les enseignants déjà en place pourront également profiter d'une meilleure offre de formation continue. Les heures de formation continue obligatoires sont actuellement de 8 heures par an. C'est sans doute trop peu et je crois que cela devra être réajusté. Notre système scolaire change, les attentes du monde professionnel évoluent, les méthodes pédagogiques et didactiques progressent, donc la formation professionnelle prend de plus en plus d'importance pour les enseignants.

Dernière mise à jour