Xavier Bettel après le "Luxembourg Leaks"

"On veut nous faire passer pour les crapules."

Interview: Martin Buxant (L'Écho)

L'Écho: Est-ce que vous avez vu venir ce "Luxembourg Leaks" ou cela vous a pris totalement au dépourvu lors des révélations de la presse?

Xavier Bettel: Je vais être franc avec vous: dès la mi-octobre, certaines personnes avaient été mises au courant qu'il y avait une enquête en ce sens effectuée par un consortium de journalistes, mais nous n'avions aucune idée précise de ce qui allait être publiée dans la presse mondiale, y compris le contenu des rulings, et que des documents seraient publiés. Donc, la vérité est que l'envergure de l'affaire nous a tous surpris. On ne s'attendait en fait pas du tout au tsunami qui nous est tombé dessus.

L'Écho: On a un peu de mal à savoir qui, de vous ou de votre prédécesseur Jean-Claude Juncker, a fait quoi. Dans quelle mesure, vous, Xavier Bettel, avez-vous cautionné les décisions fiscales hyper avantageuses pour certains groupes internationaux et qui sont aujourd'hui mises en cause?

Xavier Bettel: Je ne vais sûrement pas accabler un homme: quand ça va bien, c'est le mérite de tous, quand ça va mal, c'est la faute de tout le monde. Il y a aujourd'hui 22 pays où on fait des rulings, est-ce que je vais maintenant condamner 22 chefs d'Etat? Non, certainement pas. Au Luxembourg, sous mon prédécesseur Jean-Claude Juncker, il y avait une personne responsable des décisions fiscales à ce niveau-là, actuellement il y a six personnes qui s'occupent de ces rulings.

L'Écho: Qu'est-ce que ça veut dire: que vous voulez faire encore plus de rulings?

Xavier Bettel: On pense qu'au niveau du volume de travail que cela représente, il est effectivement nécessaire d'étoffer l'équipe luxembourgeoise qui s'occupe des rulings.

L'Écho: Cela veut dire que vous allez imposer des conditions plus strictes pour délivrer vos rulings à l'avenir?

Xavier Bettel: Cela veut dire, comme je l'ai dit, que vu le volume de travail, il fallait six personnes pour le faire.

L'Écho: Dans quel cadre pensez-vous qu'on peut traiter le mécontentement que suscitent les rulings luxembourgeois dans d'autres pays?

Xavier Bettel: Je pense que l'Union européenne serait un premier pas, qui peut exister, mais selon moi I'OCDE est le cadre le plus adéquat. Car quand on parle de ces matières, on parle de boîtes américaines, de boîtes asiatiques, européennes, tout cela dépasse largement le cadre européen. Le cadre de I'OCDE convient mieux car il est beaucoup plus général. Car même en Europe, on a certains pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne et qui sont dans I'OCDE.

L'Écho: Mais ça veut dire quoi? Qu'il faut réfléchir à réglementer et à accorder les mêmes conditions fiscales à tous, via l'OCDE?

Xavier Bettel: Non! Ce n'est pas le débat et un État cherchera toujours à être fiscalement le plus attractif. Le débat actuel, c'est la transparence. Le débat, ce n'est pas d'accorder les mêmes conditions fiscales à chacun, mais de savoir qui fait quoi.

L'Écho: Allez-vous coopérer avec les autorités belges pour faire la lumière sur les rulings luxembourgeois controversés?

Xavier Bettel:  Au niveau de la transparence, on dispose d'outils pour l'échange des données, on a déjà certaines procédures informatiques qui permettent l'échange des données entre administrations. Maintenant, si on veut davantage de transparence au niveau de la fiscalité des entreprises, je l'ai dit, cela doit se faire à un échelon supérieur comme I'OCDE.

L'Écho: Le tsunami dont vous parlez pour le "Lux Leaks", ce n'est que la partie immergée de l'iceberg puisqu'on ne connaît que les rulings de PWC et que les autres consultants ont également dû avancer dans ce sens-là.

Xavier Bettel: Je ne sais pas. Il y a un grand principe: je ne me mêle pas des dossiers fiscaux. Je suis incapable de vous dire le nombre de dossiers de rulings traités par le Luxembourg. 

L'Écho: Quelle est votre définition du dumping fiscal?

Xavier Bettel: Le dumping fiscal, c'est d'accepter qu'on peut être concurrent l'un avec l'autre, que certains peuvent choisir d'être plus attractifs au niveau fiscal que d'autres pays. On a toujours dit que dans l'Union européenne, on a des fiscalités directes ou indirectes qui sont différentes. Je pense que la fiscalité fait partie des compétences nationales. Maintenant, si on veut aller vers davantage d'harmonie, on peut parler de fourchettes fiscales, il y aura certains États qui vont dire qu'ils travaillent dans une fourchette fiscale basse et d'autres dans une fourchette fiscale haute. Mais je vous le dis: je ne vais certainement pas avancer avec le Luxembourg vers une fiscalité qui est plus haute qu'aujourd'hui. Dire que tout le monde à l'intérieur de l'Union européenne doit avancer vers une fiscalité unique et les mêmes taux d'imposition, ça, je suis contre. C'est une compétence qui est du ressort des États membres.

L'Écho: Mais un des débats actuels, c'est de voir justement si la Commission européenne doit avoir plus de pouvoir en matière fiscale...

Xavier Bettel: On peut tout examiner mais je ne suis pas en faveur d'une harmonisation de la fiscalité.

L'Écho: Quel est le ressenti de la population luxembourgeoise par rapport à l'opprobre général qui est jeté aujourd'hui sur les pratiques fiscales du pays?

Xavier Bettel: Quand les critiques sont justifiés, nous pouvons les entendre, mais là ça ne va plus du tout. Les sentiments sont partagés, mais par contre tout le monde se rejoint sur un point: l'ensemble de la population luxembourgeoise est révoltée qu'on veuille faire passer les Luxembourgeois pour des crapules et pour des voyous. Cela, c'est inacceptable. 

L'Écho: Est-ce que le Luxembourg est un paradis fiscal?

Xavier Bettel: Non. Dans un paradis fiscal, on ne paye pas d'impôt et on ne veut pas de transparence. Ici on paye des impôts et ily a de la transparence. Comparer le Luxembourg à un paradis fiscal, c'est propager une image fausse de la réalité. 

L'Écho: Le Benelux, c'est une coquille vide, ça?

Xavier Bettel: Ah non, absolument pas. Avec Charles (Michel) et Mark (Rutte), ce sont des amis et je pense qu'on va faire de chouettes projets ensemble. Cela marchait déjà bien avec Elio Di Rupo...

L'Écho:...ça, c'est de la langue de bois: Elio Di Rupo arrivait systématiquement en retard aux réunions Benelux et repartait à l'avance.

Xavier Bettel: Ah, vous êtes au courant... Mais non, ce n'est pas qu'il était en retard, on avait quand même des réunions avant chaque conseil européen, on prenait des positions communes. Même avec Elio, on a bien travaillé, je trouve. Je suis certain qu'avec Charles, le Benelux marchera super bien aussi. Mais même en bilatéral, on travaillait bien avec Elio Di Rupo.

L'Écho: Vous regrettez le départ d'Elio Di Rupo?

Xavier Bettel: Non, mais c'est quelqu'un que j'apprécie beaucoup. Charles est un ami, et Elio était devenu un ami.

L'Écho: Vous dénoncez les tracasseries qu'on fait subir aux travailleurs belges au Luxembourg. Que voulez-vous dire exactement?

Xavier Bettel: Mais que le fisc belge mette fin à la chasse aux sorcières par rapport aux frontaliers qui viennent bosser ici. On a l'impression qu'ils doivent tous garder leurs fiches de restaurant des trois dernières années, toutes les preuves qu'ils sont restés au Luxembourg, etc. Il y a quand même un excès de zèle de la part du fisc belge qui commence à peser sur les entreprises luxembourgeoises, à tel point que celles-ci vont peut-être un jour hésiter à engager de Belges. Charles Michel a bien compris la problématique et a promis d'examiner le dossier avec son administration. 



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