Xavier Bettel au sujet de "Luxleaks"

"Trop facile de taper sur un petit"

Le Républicain Lorrain: Pendant la campagne pour les élections européennes en mai dernier, votre prédécesseur Jean-Claude Juncker, en course pour la présidence de la Commission, a été principalement critiqué pour avoir "dirigé pendant 19 ans un paradis fiscal". Maintenant que c'est vous qui le dirigez, c'est une image que vous assumez ?

Xavier Bettel : Ca fait un an que je suis chef du gouvernement et on travaille pour se décoller de cette image, pour aller vers plus de transparence, d'ouverture. Par exemple l'échange automatique d'informations fiscales entre États sera en vigueur le 1er janvier. Alors croyez-moi, ce qui s'est passé ces dernières semaines avec l'affaire Luxleaks a été un tsunami contre tous les efforts qu'on a faits jusqu'ici. Je ne vais pas vous dire qui d'autre pratique les rulings (accords secrets d'évasion fiscale entre services fiscaux et multinationales : l'affaire Luxleaks, il y a un mois, a révélé l'existence de 340 accords du genre entre le Luxembourg et de grandes entreprises, Ndlr), mais ils existent dans 22 pays...

Le Républicain Lorrain: Mais peut-être pas avec une telle ampleur et d'aussi gros clients que pour vous...

Xavier Bettel : Je ne connais pas les dossiers des autres, mais je peux vous dire qu'il y a des sociétés, des grosses boîtes, qui ont quitté le Luxembourg pour aller dans d'autres pays où les rulings étaient plus intéressants ! Le Luxembourg est dans une phase de transition et était le premier pays à dire qu'il était d'accord pour avoir un échange d'informations sur les rulings et voir quelles règles communes on peut trouver. Les citoyens n'acceptent pas de devoir payer des impôts alors que des multinationales qui font des milliards d'euros de bénéfices n'en paient pas. Alors il est important de trouver des mécanismes au niveau européen.

Le Républicain Lorrain: Ce que vous préparez au Luxembourg, c'est une légalisation de ces accords entre grandes multinationales et services fiscaux luxembourgeois. Ça vous semble vraiment suffisant pour faire retomber la pression ?

Xavier Bettel :  Je le redis, il y a une vingtaine de pays qui font des rulings et il est important qu'il y ait des règles de transparence qui comptent pour tous. Je suis le premier à prôner cette transparence. Personnellement, je pense que le mieux serait de le faire au niveau de I'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques, 34 membres dont 21 pays, de I'UE et, entre autres, les États-Unis, le Canada, la Suisse, l'Islande ou encore la Turquie, Ndlr), ça fait plus de monde. Il y a des milliers de gens qui travaillent dans la finance, les services, au Luxembourg, et je n'ai pas envie qu'on nous fasse passer pour des voyous. Je veux que mon pays soit reconnu pour ses compétences. Et je le répète, les rulings existent dans 22 pays. Mais je constate que c'est souvent plus facile de taper sur un petit que sur un plus grand. Car croyez-moi, il y a des pays qui ne font pas notre taille et qui font la même chose.

Le Républicain Lorrain: En somme, vous dites que le Luxembourg est juste le premier à s'être fait attraper, et que vous êtes le chevalier blanc éclaboussé par la boue laissée sur son chemin ?

Xavier Bettel : Je ne vais pas vous dire que c'est une bonne chose qu'on se soit fait attraper. Maintenant, il faut échanger et voir. Il faut arrêter avec l'opacité.

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