Bilan de Xavier Bettel après un an à la tête du gouvernement

"La transparence fera vivre la Place"

Interview: Maurice Magar

Le Jeudi: Qu'est-ce qui vous a le plus marqué en 2014?

Xavier Bettel: C'était une année d'écoute, d'analyse et de prise de décision. Maintenant, il s'agit d'expliquer aux citoyens pourquoi nous avons pris certaines mesures. 2014 n'a pas été une année facile. On nous dit que la crise est terminée. Or nous constatons que ce n'est pas le cas. La dette publique augmente, le taux de chômage ne baisse pas et les pronostics de conjoncture ont été revus à la baisse. Cela veut dire que ne rien faire n'est pas une option. Parfois nous étions obligés de courir après les nouvelles, c'est-à-dire que j'ai eu à me justifier sur des sujets que le gouvernement n'avait pas encore évoqués. Mais je suis satisfait du travail de mes collègues et de notre collaboration. Même dans les moments difficiles, nous sommes solidaires.

Le Jeudi: Quelles étaient ces décisions?

Xavier Bettel: Sans aucun doute le paquet d'avenir! Moderniser un pays n'est pas facile. Ce qui me réjouit, c'est que 80% des Luxembourgeois estiment qu'il faut un changement. En revanche, individuellement, ils ont plus de mal à accepter un sacrifice. "Faites quelque chose, mais épargnez-moi!", disent-ils. Il est crucial d'expliquer nos choix. Personne au gouvernement n'est heureux de prendre ces mesures. Mais il faut accepter que le sac à cadeaux de saint Nicolas a rétréci.

 Le Jeudi: Les partenaires sociaux ont réagi avec colère. Vous leur promettez plus de dialogue. Est-ce une manière de vous racheter pour le manque de concertation?

Xavier Bettel: Non! Je considère que les 258 mesures du paquet représentent un grand succès. Si j'avais dû consulter tous les partenaires, j'aurais peut-être ficelé un paquet avec une dizaine de priorités. Un gouvernement doit prendre ses responsabilités. Nous avons reçu un mandat pour faire ce qui est nécessaire. Nous avons repris le dialogue puisque c'est indispensable pour le modèle luxembourgeois.

Le Jeudi: Ce modèle est-il en crise? Et votre solution est-elle de rechercher davantage de concertation?

Xavier Bettel: La réalité est qu'il n'y avait plus aucun modèle ces derniers temps. Plus personne ne s'est parlé durant les trois ou quatre dernières années. Nous avons repris le dialogue et un compromis a été trouvé. Voilà ce qui compte. J'estime également que l'adhésion des syndicats à cet accord est très importante.

Le Jeudi: Cela veut-il dire que les partenaires sociaux se retrouveront autour d'une table en été pour l'élaboration du budget 2016?

Xavier Bettel: J'espère que nous ne devrons pas attendre juillet.

Le Jeudi: Votre gouvernement a réussi à susciter la colère de presque tous les acteurs de la société. Comment réagissez-vous à ces critiques?

Xavier Bettel: C'est la preuve que notre paquet est équilibré. Tout le monde est fâché, donc tout le monde est concerné. La pire erreur aurait été de se servir des uns contre les autres. Le patronat, la fonction publique, les enseignants, tout le monde avait des reproches à faire. Nous n'avons pas exclusivement ciblé une partie de la population. Il y donc une solidarité certaine. D'ailleurs, je ne suis pas Premier ministre pour me faire aimer. Je veux des résultats. Les sondages me préoccupent peu, si je ne suis pas réélu, ce n'est pas grave. En revanche, je veux avoir la certitude d'avoir fait ce qu'il fallait.

Le Jeudi: Allez-vous maintenir ce discours lorsque les prochaines élections approcheront?

Xavier Bettel: C'est un discours que je tiens depuis le début. Dès le départ, j'ai dit que je ne voulais pas être le chouchou des sondages, ce qui a suscité l'hilarité générale puisqu'à l'époque ma cote de popularité était très élevée. Personne n'y croyait, mais je savais que les gens n'aiment pas entendre la vérité et qu'ils ne m'applaudiraient pas pour mes réformes. Mais je n'ai pas le choix. La situation exige des sacrifices. Les gens doivent le comprendre car, dans un tel environnement, la cohésion sociale et la solidarité sont primordiales.

Le Jeudi: L'affaire Lux Leaks a au moins permis de créer une certaine solidarité entre la plupart des partis politiques.

Xavier Bettel: Ce n'est pas vrai. Du moins, ce n'était pas le cas dès le début. L'attitude du CSV n'était pas responsable. J'attends d'ailleurs toujours des propositions constructives du plus grand parti d'opposition, mais je reste sur ma faim. Il ne suffit pas de bouder, c'est maintenant qu'il faut montrer que nous sommes solidaires et que nous ne nous adonnons pas aux jeux de la politique politicienne.

Le Jeudi: Dans le cadre de l'affaire Lux Leaks, Jean-Claude Juncker a proposé un échange automatique sur la fiscalité des entreprises. En même temps, vous vous êtes exprimé contre une harmonisation fiscale. Quelle est votre position?

Xavier Bettel: L'harmonisation fiscale concerne la TVA ainsi que l'imposition des personnes physiques et des entreprises. Cela veut-il dire que nous devons abandonner le taux super -réduit sur la nourriture ou les vêtements d'enfants parce qu'il n'existe pas ailleurs? Moi, je m'oppose à une telle évolution. En revanche, je suis d'accord pour créer une fourchette avec un minimum et un maximum en ce qui concerne la fiscalité des sociétés. Nous ne pouvons pas imposer à nos voisins une hausse des impôts. Les taux fiscaux doivent rester une compétence nationale.

Le Jeudi: Comment avez-vous perçu les attaques sur le Luxembourg?

Xavier Bettel: J'ai trouvé cela très moche! Personne ne peut s'imaginer à quel point cela fait mal lorsque les gens croient que le Luxembourg blanchit l'argent du reste de la planète. Les rulings existent dans plus d'une vingtaine de pays de l'Union européenne. De plus, cette affaire est le résultat d'un vol de documents. Et, bien que ces pratiques soient légales, nous recevons des gifles de partout. L'opacité est problématique, la transparence prônée par Monsieur Juncker est une bonne chose. Nous avons mis fin au secret bancaire, ce qui prouve que nous sommes dans la continuité pour rendre plus transparente la Place financière. Rappelons aussi que les banques n'ont rien à voir avec cette affaire. Les nouveaux standards feront vivre la Place. Si nous nous étions opposés à cela, celle-ci aurait dû mener un combat pour survivre.

Le Jeudi: L'argument qu'il y a d'autres pays où ces décisions anticipatives sont pratiquées est-il tenable?

Xavier Bettel: Non, c'est pour cela que nous sommes d'avis qu'il faut des règles au plan international.

Le Jeudi: A part le paquet d'avenir, quelles mesures ont été importantes pour vous?

Xavier Bettel: Les briefings en direct et en langage des signes après le conseil de gouvernement. La création d'une nouvelle cérémonie pour la fête nationale. La loi omnibus, la loi sur la réforme du Service de renseignement. Si un autre gouvernement avait pris ces décisions les gens se seraient étonnés.

Le Jeudi: C'est ce que les gens attendaient de vous...

Xavier Bettel: Bien sûr, mais ils s'imaginaient aussi que nous allions réaliser l'accord de coalition en un an. Nous avons un mandat de cinq ans. Les attentes sont grandes, mais il faut du temps.» Le Jeudi: «Vous attendiez-vous à ce que votre travail soit aussi compliqué?

J'ai déjà occupé des postes à responsabilité; mais en tant que Premier ministre il y a une plus forte pression. J'ai moins de temps pour ma vie privée ou pour le sport, ce que je ressens. C'est pourtant un défi qui me procure beaucoup de satisfaction.

Le Jeudi: Quelles sont vos priorités pour 2015?

Xavier Bettel: Il s'agit d'abord de mettre en oeuvre les mesures du paquet d'avenir dans le cadre d'un dialogue serein avec les partenaires sociaux et avec tous les citoyens. Ensuite, il y a bien sûr le référendum qui pose la question de l'avenir de notre pays. Ce n'est pas une discussion de politique ou de sondages. Je constate aussi que les Luxembourgeois demandent ces consultations. Il faut donc des débats posés et calmes.

Le Jeudi: N'est-il pas grand temps pour commencer enfin ces débats publics?

Xavier Bettel: Le budget sera voté dans deux semaines. Laissez-nous le temps de commencer la campagne pour les référendums en janvier ou en février 2015. Les débats auront lieu à temps.

Le Jeudi: Le droit de vote tel qu'il est défini par la question concernera peu de gens. Est-ce voulu afin d'obtenir un large consensus sur ce sujet?

Xavier Bettel: Nous sommes aussi en train d'améliorer la loi sur la nationalité. D'ailleurs, et je parle en mon nom personnel, j'estime qu'une intégration aboutie passe aussi par l'acquisition de la nationalité. Telle que la question est posée, je n'hésiterai pas une seconde à voter "oui".

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