Xavier Bettel au sujet de Luxleaks

"L'action doit être internationale"

Interview: Claire Gatinois

Le Monde: Avec l'affaire " Lux Leaks ", on a, avez-vous dit, voulu faire passer vos concitoyens pour " des crapules et des voyous ", laissant ainsi penser que le Luxembourg n'a rien à se reprocher. N'est-ce pas exagéré?

Xavier Bettel: C'est le sentiment que j'ai eu. On a véhiculé sur le Luxembourg un cliché à grande échelle qui n'était pas correct. Je n'accepte pas qu'on traite ainsi la population luxembourgeoise. On est en train de réformer le pays et on ne parle que de " Lux Leaks "!

Mais j'ai noté que les propos - désobligeants - à notre encontre ont été tenus par des hommes politiques sans envergure nationale. Ni Michel Sapin - ministre des finances français - , ni Angela Merkel - chancelière allemande - , ni Wolfgang Schàuble - ministre des finances allemand - n'ont fait de remarques.

Le Monde: Mais MM. Sapin, Schäuble, ainsi que Pier Carlo Padoan, ministre des finances italien, ont envoyé une lettre à la Commission européenne pour la presser d'agir contre les pratiques d'optimisation fiscale, visant implicitement le Luxembourg...

Xavier Bettel: Le Luxembourg n'a pas été consulté pour signer cette lettre. L'initiative a le mérite de souligner qu'en matière de transparence fiscale, l'action doit être internationale.

Le Monde: Vous avez protesté, sans mettre en cause d'autres pays qui offrent des facilités du même genre à des multinationales...

Xavier Bettel: Je ne suis pas là pour pointer du doigt. Mais je peux vous dire que les langues se délient. On me dit " dans mon pays, on offre ci ou ça... " Sauf erreur de ma part, plus de vingt pays de l'Union européenne pratiquent eux aussi le tax ruling - en réalité, seuls les Pays-Bas et l'irlande le font de manière systématique permettant aux multinationales d'aboutir à une taxation nulle - . A eux on ne le leur reproche rien?

Il est important d'avoir des règles claires pour tout le monde. Nous avons toujours dit que nous étions pour plus de transparence. J'entends recevoir M. Saint -Amans - directeur du Centre de politique et d'administration fiscales - de I'OCDE. Des décisions seront prises d'ici la fin de l'année. Ce n'est que dans quelques semaines! Si les règles s'appliquent dans le cadre de I'OCDE à tous, et pas seulement aux plus petits, le Luxembourg ne s'y opposera pas.

Le Monde: Vous estimez que le Luxembourg a été injustement traité?

Xavier Bettel: Je ne sais pas si le Luxembourg aurait été traité de la même manière si nous avions été un grand pays. Je ne crois pas qu'on nous en veuille mais nous voulons des règles claires qui s'appliquent à tous. On condamne le Luxembourg, on donne le sentiment d'avoir fait quelque chose d'illégal. Ce n'est pas le tax ruling qu'il faut combattre. C'est l'opacité!

Le Monde: Vous dites " le tax ruling est conforme aux lois internationales". Mais comprenez-vous la colère de ceux qui jugent que permettre à des grands groupes profitables de ne pas payer d'impôt ne soit pas éthique?

Xavier Bettel: S'il y a des abus il faut, bien sûr, les condamner : comment expliquer au contribuable qui paie ses impôts que des entreprises qui gagnent des milliards n'en paient pas ! Mais nous ne nous réduisons pas à cela. Le Luxembourg a abandonné le secret bancaire et a accepté de pratiquer, depuis que je suis en fonctions, l'échange automatique de données fiscales pour les particuliers. Mais on continue à nous accuser!

Le Monde: Comptez-vous supprimer ou réduire l'ampleur des rulings acceptés par votre pays?

Xavier Bettel: Aujourd'hui, il n'est pas interdit de faire du tax ruling. Quand une chose est interdite on ne la fait pas.

Le Monde: Vous vous êtes aussi prononcé contre l'harmonisation fiscale au sein de I'UE...

Xavier Bettel: Il faut savoir de quoi on parle lorsque l'on évoque l'harmonisation fiscale : de TVA? D'impôt sur les sociétés ? Sur les personnes physiques? Si harmoniser concerne tous les instruments fiscaux, je suis contre. L'Europe doit-elle se mêler de ça ? Il faut laisser des marges de manoeuvre aux Etats pour gérer leur budget et orienter leur politique. S'il s'agit de fixer une fourchette pour l'assiette fiscale de l'impôt sur les sociétés - aujourd'hui de 29% au Luxembourg -, je n'ai rien contre.

Le Monde: Le Luxembourg mettra-t-il en danger sa prospérité en abandonnant ces pratiques fiscales?

Xavier Bettel: Le Luxembourg n'est pas fondé sur le tax ruling! Amazon, pour citer un exemple, n'est pas qu'une boîte aux lettres. Près de 1.000 personnes travaillent ici. Nous parlons plusieurs langues, nous avons des atouts. C'est aussi pour cela que le pays attire des multinationales. Le Luxembourg n'imposera pas des veto.

Le Monde: Jean-Claude Juncker, ancien premier ministre, a été mis en cause dans cette affaire. Désormais à la tête de la Commission européenne peut-il être encore un allié du Luxembourg?

Xavier Bettel: Le président de la Commission gère vingt-huit pays, il n'est pas là pour s'occuper de son pays d'origine ni plus ni moins qu'un autre.

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