Bilan de Xavier Bettel après un an à la tête du gouvernement

"Je suis plutôt fier de ce qui a été fait"

Interview: Véronique Poujol et Jean-Michel Gaudron

paperJam: Monsieur Bettel, cela fait un an que votre gouvernement est à l'oeuvre. En êtes-vous là où vous souhaitiez être il y a 12 mois?

Xavier Bettel: Oui, nous sommes dans les temps. Nous avons été élus pour cinq ans sur la base d'un programme. Nous avons fait deux budgets en un an, ne l'oublions pas. Et nous avons mis en place entre les ministères, qui ne travaillent plus chacun dans leur coin, une vraie collaboration horizontale. Beaucoup de choses fonctionnent au travers de groupes de travail. La simplification administrative est devenue un texte de loi; nous avons préparé les questions pour le référendum; nous avons lancé les discussions avec les cultes qui avancent ; nous avons établi un code de déontologie pour le gouvernement ; nous avons pris des dispositions en matière d'égalité des chances, qui vont plus loin que ce qui avait été décidé auparavant ; nous sommes en relation très étroite avec le Syvicol et les communes ; le plan hospitalier est devant le Parlement ; nous avons développé une politique de défense qui ne regarde non uniquement ce que ça coûte, mais aussi ce que ça peut rapporter ; nous avons réformé quelques grandes entités étatiques comme la police ou l'armée... Et puis il y a des choses que nous considérons comme acquises et normales, comme le briefing hebdomadaire après le conseil de gouvernement, que l'on peut voir sur internet et suivre en langue des signes. On nous a tapé sur les doigts pour l'augmentation des accises du tabac, c'est pourtant quelque chose qui a été fait par les précédents gouvernements à chaque augmentation de TVA, mais peut-être plus discrètement, en invoquant la procédure d'urgence. Nous, nous avons choisi de le faire en toute transparence. Je citerai aussi quelque chose dont on ne parle déjà plus : la Fête nationale. Nous en avons fait une cérémonie civile ! Tout cela, ce sont des choses importantes qui ont été faites. Il y a aussi d'autres projets qui étaient déjà en discussion avant mais qui ont beaucoup traîné, comme la loi sur les taxis, sur les radars ou sur le contrôle technique... Bref, pour un an, je suis plutôt fier de ce qui a été fait.

paperJam: La configuration inédite à trois partis est-elle vraiment facile à mettre en oeuvre, alors que les différents partis de la coalition ont, sur certains points, des avis très divergents ?

Xavier Bettel: C'est le principe même d'une coalition : on se met d'accord au préalable, au moment de rédiger le programme de gouvernement. C'est là qu'il fallait trancher toutes les questions sur les points qui divergent, et non pas, évidemment, au fil des cinq années de législature. Il était essentiel d'anticiper ces éléments de divergence.

paperJam: Cela veut dire qu'il n'y en aura plus pour les quatre prochaines années ? « On ne peut évidemment pas le prévoir...

Xavier Bettel:  Et s'il y en a d'autres qui apparaissent, on en discutera alors. Il est toujours important de pouvoir se mettre autour d'une table et de discuter et que tout cela aille dans le sens de notre projet de moderniser le pays, d'avoir des finances publiques qui ne déraillent pas et d'avoir un pays adapté aux enjeux de 2014, 2015, 2016, 2017 et 2018, et non pas un pays qui reste là où il en était.

paperJam: L'exercice même de la fonction de Premier ministre vous a-t-il réservé des surprises inattendues ?

Xavier Bettel: Le volume de travail est très important, encore supérieur à celui de bourgmestre, car il s'y ajoute à la fois le volet international et tout l'aspect de coordination au niveau de l'ensemble du gouvernement. Mais je savais évidemment que cette tâche ne serait pas la plus facile, surtout en ce moment. Les derniers sondages montrent que plus de 80% des gens disent qu'il faut changer les choses, mais personne ne veut que ces changements le touchent directement. Ce sera donc ma mission pendant ces quatre prochaines années d'expliquer pourquoi le paquet d'avenir présenté est équilibré et qu'il ne constitue en rien une politique d'austérité, comme le rappelle d'ailleurs le Conseil d'État, mais qu'il cherche à ramener le pays dans le droit chemin...

paperJam: Parmi les mauvaises surprises, il y a cette affaire Lux Leaks qui vous est tombée dessus de façon brutale. Le précédent gouvernement n'aurait-il pas dû vous alerter de cette épée de Damoclès au-dessus du Luxembourg? Lorsqu'il vous a donné les clefs, Jean-Claude Juncker a-t-il établi un inventaire des mauvaises surprises potentielles et a-t-il évoqué le vol des dossiers relatifs à des centaines de rulings chez PwC?

Xavier Bettel: Vous imaginez bien que nous avons eu, avec Jean-Claude Juncker, une discussion sur beaucoup de dossiers. Pour certains, je peux en parler et pour d'autres, non. Mais il n'a en tous les cas jamais été évoqué un vol de documents chez PwC. ..

paperJam: Avez-vous matière à émettre des reproches contre vos prédécesseurs au gouvernement ?

Xavier Bettel: Non, je n'ai aucun reproche à formuler dans ce dossier. À partir du moment où tout ce qui a été fait est légal, je n'ai aucune raison de pointer du doigt l'un ou l'autre pour ne pas m'avoir dit l'une ou l'autre chose. De toute façon, les choses ont été faites et les dossiers publiés. Je ne veux surtout pas en faire une affaire de politique nationale. Je sais que cela ferait plaisir à beaucoup de gens, mais je ne le ferai pas.

paperJam: On peut quand même se poser la question de savoir si votre ministre des Finances a eu connaissance de ce risque d'un étalage des rulings sur la place publique? Luc Frieden, son prédécesseur, l'avait-il prévenu de ce vol dans le cadre de la passation de pouvoir ?

Xavier Bettel: Je n'étais pas présent au moment de cette passation de pouvoir. Mais Pierre Gramegna ne nous a pas non plus fait remonter d'informations quant au volume de cette affaire. Moi je sais comment je travaille, mais je ne commente pas la manière de travailler de mes prédécesseurs. Ce n'est pas la majorité actuelle qui a critiqué l'opposition, mais c'est bien l'opposition qui a commencé à vouloir en faire une affaire politique. Je tiens d'ailleurs à dire que je n'accepte pas les attaques dont Pierre Gramegna a fait l'objet dans ce dossier. Il a fait ce qu'il a pu faire au cours de ces dernières semaines, de ces derniers mois. Depuis que l'affaire a éclaté (les révélations du collectif de journalistes ont eu lieu le 5 novembre au soir, lire aussi en page 80, ndlr), il a vu plus de 100 journalistes internationaux. Je lui dis chapeau.

paperJam: Vous avez demandé à l'opposition de faire preuve de solidarité dans le but de la défense des intérêts de la place financière. Ne faut-il pas néanmoins crever l'abcès et demander à Jean-Claude Juncker et à Luc Frieden de fournir des explications devant la commission des finances de la Chambre des députés, afin de pouvoir passer à autre chose ?

Xavier Bettel: Ce n'est pas à moi de dicter ce que le Parlement doit faire. Le Parlement représente mon premier pouvoir, je ne suis que son exécutant. Ce que je souhaite, en revanche, c'est qu'on avance dans une direction qui serait défendable au niveau de I'OCDE et qu'on arrête d'en faire une affaire nationale.

paperJam: La protection du patrimoine économique, et donc de la place financière et d'un de ses fleurons, l'ingénierie financière, fait partie des missions, d'ailleurs controversées, du Service de renseignements de l'État. Qu'a fait le Srel? Le service de renseignements vous a-t-il alerté du risque que constituaient ces milliers de pages de rulings qui s'étaient évaporées dans la nature ?

Xavier Bettel: Là aussi, les éléments dont je discute avec le Srel restent, du fait de la loi, confidentiels. Ce que je peux dire, c'est que dans la tâche qui est la mienne actuellement, les services de renseignements ne m'ont pas donné d'informations à ce niveau...

paperJam: Que va-t-il se passer maintenant dans cet après-Lux Leaks? La Commission européenne, qui enquête déjà sur les rulings accordés à Fiat Finance et à Amazon, a-t-elle depuis le 6 novembre et les révélations de l'affaire contacté les autorités pour demander des explications?

Xavier Bettel: Je n'ai pas été contacté directement, mais je sais que Pierre Gramegna est en discussion permanente avec la commissaire Margrethe Vestager, en charge de la concurrence. Tous nos services travaillent ensemble et nous sommes évidemment disposés à donner les informations qui seront nécessaires...

paperJam: Avez-vous connaissance d'autres « Leaks » potentiels qui pourraient encore atteindre la réputation du Luxembourg ?

Xavier Bettel:  Il peut évidemment y avoir d'autres Euro Leaks, car je n'ai aucune garantie que d'autres documents n'aient pas été volés ailleurs. Mais pour ce qui est du Luxembourg, je ne suis pas informé de tels autres dossiers que ce soit par les services de renseignements ou le ministère des Finances.

paperJam: Ne convient-il pas de faire un exercice supplémentaire de transparence et de dire combien de rulings ont été négociés en 2012 et en 2013 et combien devraient l'être cette année?

Xavier Bettel: Il est prévu, dans les mesures législatives à prendre, qu'il y ait davantage de transparence sur le nombre d'accords et sur les dispositions existantes. Cela sera concrétisé dans les semaines à venir avec le règlement grand-ducal devant définir le fonctionnement et les prix de ces rulings (l'interviewa été réalisée le 19 novembre dernier, ndlr).

paperJam: Craignez-vous des conséquences à moyen ou long termes concernant l'attractivité du Luxembourg, à un moment où l'on se rend compte qu'il n'y a jamais eu autant de sociétés internationales qui viennent s'immatriculer ici?

Xavier Bettel: Il est clair qu'une affaire pareille ne constitue pas vraiment une publicité positive. Ce qui est important, ce sont les compétences, c'est le fait d'avoir une administration rapide, qui soit à l'image du Luxembourg, et non pas des pratiques opaques. C'est pour cela que nous sommes d'accord avec cette transparence et qu'elle soit également faite au niveau international. Je dois vous dire aussi que j'ai eu des témoignages de sociétés qui m'ont avoué avoir trouvé des rulings plus intéressants à l'étranger qu'au Luxembourg.

paperJam: Pierre Gramegna soutient l'idée d'un échange automatique des rulings. Le commissaire européen Pierre Moscovici promet pour sa part une proposition de directive sur les tax rulings avant la fin de l'année et avance aussi un projet de relance de l'harmonisation fiscale, et il veut aller vite. Est-ce que vous soutiendrez une telle approche au seul niveau de l'Union européenne ?

Xavier Bettel: À partir du moment où il s'agira d'une décision européenne, nous ne pourrons pas nous y opposer. Mais ce ne serait pas la meilleure des solutions. Je suis d'avis qu'une solution OCDE, qui implique bien plus de pays, serait plus opportune.

paperJam: L'harmonisation fiscale, elle, vous y êtes opposé. Le Luxembourg en a-t-il les moyens, alors que le pays est affaibli après cette affaire Lux Leaks ? Ne craignez-vous pas de passer encore une fois pour l'élève récalcitrant de la classe européenne ?

Xavier Bettel: Non. On me dit qu'on veut la même TVA partout, la même imposition partout pour les personnes physiques... Ce n'est pas ça le but ! Il n'est pas question que j'augmente les impôts au Luxembourg sous prétexte que d'autres pays auraient des impôts supérieurs aux nôtres. Chacun dans son pays a des responsabilités à prendre et une politique à défendre. Nous avons été élus sur un programme. Il est important d'avoir une marge de manoeuvre au niveau de la fiscalité. Si, au final, on n'arrive pas à tendre vers une harmonisation et que l'on doit se diriger vers le principe d'une fourchette, alors on peut en discuter. Mais ce n'est pas ma priorité actuelle.

paperJam: Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, veut lui aussi relancer le projet d'harmonisation de la base de l'impôt des sociétés pour lutter contre le dumping fiscal. Allez-vous vous y opposer ou êtes-vous prêt à faire des arbitrages avec Bruxelles?

Xavier Bettel: Il faut voir ce qu'il entend par là. Si ce projet consiste à dire que tout le monde au sein de l'Union européenne doit avoir la même fiscalité, alors c'est clairement contre -productif. Il doit y avoir une concurrence qui existe ! On ne peut pas être bon dans tout et chacun des 28 États a sa spécificité. Des TVA sur la restauration, sur le logement, sur l'automobile, sur la consommation, il yen a des différentes dans chaque pays. Au Luxembourg, l'État a fait le choix d'appliquer une TVA super réduite pour des produits de première nécessité. Je n'ai pas envie d'augmenter cette TVA super réduite sous prétexte d'une harmonisation européenne et pour faire plaisir à d'autres pays !

paperJam: Est-ce que le moment n'est quand même pas opportun pour revoir le taux d'imposition des entreprises au Luxembourg et de mettre fin à toutes sortes de « niches fiscales » et de déductibilités, pour offrir un taux unique, attractif, dans le cadre de la réforme fiscale de 2017?

Xavier Bettel: J'attends d'abord de voir précisément ce que proposera la Commission Juncker. Je n'achète pas de pochette-surprise. Nous attendrons d'avoir le projet sur la table avant de dire si nous sommes pour ou contre.

paperJam: Cela veut-il dire que la réforme fiscale sur laquelle vous travaillez sera retardée en attendant les propositions de Juncker?

Xavier Bettel:  Non. Nous la ferons en 2017, comme prévu. C'est inscrit dans l'accord de coalition. Peu importe ce que décidera Juncker.

paperJam: L'avenir du pays, justement, passe pour commencer par le projet de budget 2015. Celui-ci table sur une croissance de 2,7 %, avec un taux de croissance de 3,5% pour les années suivantes. Le Statec a revu à la baisse ses prévisions pour l'année prochaine. Y a-t-il un plan B pour pousser encore plus loin les mesures d'économie, alors que les recettes tirées de la place financière s'avèrent plus que volatiles ?

Xavier Bettel: Oui, et c'est aussi pour cela que nous voulons diversifier l'économie. C'est pour cela que l'ICT, par exemple, est en plein mouvement et j'espère bien avoir des bonnes nouvelles dans les semaines, les mois et les années à venir. Nous sommes tributaires d'un contexte international. Ce gouvernement a pris les mesures nécessaires dans la situation actuelle. J'espère qu'elles serviront de trajectoire. Si, au fur et à mesure, les nouvelles sont moins bonnes, nous aviserons. Mais je ne veux pas jouer à la voyante. Nous faisons pour l'instant, dans les circonstances actuelles, ce qui est nécessaire.

paperJam: Votre gouvernement table sur des recettes fiscales en hausse, notamment une progression de 23% de l'impôt sur le revenu des collectivités à l'horizon 2018, par rapport au montant inscrit sur le budget 2014. Or, le gouvernement s'est engagé à ne pas augmenter la charge d'impôt des entreprises, ce qui veut dire que cette hausse viendra d'une forte croissance des bénéfices des entreprises. Quels sont les fondements de cette prévision très optimiste?

Xavier Bettel: Mais ce sont les données du Statec ! Je n'invente pas les chiffres. C'est lui qui fait ces prévisions et les calculs. Nous espérons que tout ce qui a été entrepris en matière de logistique, de biotechnologies, de biomédecine, de satellites, de recherche ou encore d'ICT va permettre de développer de nouvelles niches. Ce gouvernement est en permanence en train d'étudier quelles sont ces autres niches que nous pourrions développer ces prochaines années et permettre d'enregistrer certaines rentrées supplémentaires.

paperJam: Au sujet des dépenses fiscales, la Chambre de commerce vous demande d'aller encore plus loin dans les coupes et de vous attaquer à certaines «niches fiscales» des ménages, comme la déductibilité des primes d'assurance obligatoire. Faut-il mettre encore plus les ménages à contribution?

Xavier Bettel: Je peux vous assurer que le gouvernement fera ce qui est nécessaire au moment voulu. Les décisions que nous avons prises permettent de suivre une trajectoire qui nous permet de réduire le déficit que nous connaissons et qui était devenu une pratique courante. Certains auraient voulu aller plus loin. D'autres moins loin. Ce qui est important, c'est de gérer 'en bon père de famille'. Je ne veux pas d'un pays à feu et à sang...

paperJam: Dans son avis rendu sur le budget, la Chambre de commerce propose un plafond de 0,5% par an de progression des effectifs dans la fonction publique pour compenser mécaniquement les effets de l'accord salarial signé par le précédent gouvernement, et sur lequel il n'est pas possible de revenir. Est-ce une piste à laquelle vous réfléchissez ?

Xavier Bettel: Si je veux un gouvernement qui fonctionne, il me faut des équipes efficaces et donc le personnel nécessaire... Si après, les gens qui font du business au Luxembourg font le reproche que les procédures administratives ne sont pas assez rapides, parce que je n'ai pas assez de fonctionnaires, alors on me dira que le pays n'est pas attractif. Il faut donc trouver le juste milieu. On ne peut pas avancer dans certaines choses sans personnel supplémentaire. On a besoin de ces personnes pour pouvoir réaliser certains projets.

paperJam: Les questions relatives à la fiscalité, et notamment à l'impôt sur la fortune, ont été repoussées à l'examen d'une vaste réforme fiscale attendue pour 2017 et qui sera discutée à partir de l'année prochaine. Sur quelles bases souhaitez-vous mener ces discussions?

Xavier Bettel: Je répète qu'il n'y aura pas d'introduction d'impôt sur la fortune. C'est prévu dans l'accord de coalition. Nous devons juste veiller à ce que ceux qui gagnent plus participent plus et ceux qui ont moins contribuent moins. Il faudra évidemment discuter des tranches telles qu'elles existent actuellement, mais je ne veux pas empiéter sur des discussions qui n'ont pas encore été lancées.

 

 

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