"Il s'agit désormais de passer à l'étape suivante et d'impliquer l'ensemble du gouvernement et du secteur privé dans une vision commune, afin de tirer les opportunités des nouvelles technologies pour notre pays"

Interview: Lëtzebuerger Gemengen


Lëtzebuerger Gemengen: Vous avez présenté fin octobre 2014 les grandes lignes de la stratégie "Digital Létzebuerg", qui a pour vocation de consolider la position du Luxembourg dans le domaine de l'ICT. En quoi consiste exactement cette stratégie? Quel est le calendrier?

Xavier Bettel: "Digital Létzebuerg" est tout d'abord un mouvement général de modernisation dans un effort collectif du gouvernement, afin de continuer de développer ce que nous avons entamé au cours des dernières années au Luxembourg. Il s'agit désormais de passer à l'étape suivante et d'impliquer l'ensemble du gouvernement et du secteur privé dans une vision commune, afin de tirer les opportunités des nouvelles technologies pour notre pays.

En effet, d'énormes progrès ont été réalisés par le passé au niveau du développement des infrastructures: centres de données et connectivité internationale sont désormais à la pointe du progrès, et le déploiement de l'accès ultra-rapide à Internet au niveau national, pour connecter tous les foyers, avance au galop. Il s'agit désormais de développer davantage les services - les services innovants qui pourraient bénéficier au pays, tant aux entreprises qu'aux citoyens.

Pour cela, il faut favoriser l'innovation, rendre la vie plus facile à ceux qui veulent développer des projets et des services, simplifier et moderniser les procédures administratives, favoriser l'échange entre différentes disciplines. Ce sont des sujets qui sont à l'ordre du jour depuis longtemps. Et pourtant, nous avons un réel retard à ce niveau-là. Si nous voulons montrer un pays à la pointe de la technologie et innovant, nous devons illustrer cela non seulement par des infrastructures numériques de pointe, mais aussi par un changement profond, et ceci de manière transversale, dans tous les secteurs: changement de mentalité, d'organisation interne de l'État, de collaboration entre secteurs, entre privé et public. Et un tel changement ne se colle pas dans un calendrier, malheureusement. Il s'agit d'une ambition de longue haleine, nécessitant, d'une part, une détermination politique et collective, et, d'autre part, des petits pas, des petits pas... avec une vision à long terme.

Lëtzebuerger Gemengen: Comment cette stratégie sera-t-elle déployée sur le terrain?

Xavier Bettel: Il s'agit, dans une première phase, de commencer à travailler sur des sujets déjà identifiés comme les plus pressants : sans les nommer tous, il s'agit notamment de la thématique des compétences dont le Luxembourg a besoin et aura davantage besoin à l'avenir. Une telle thématique nécessite des actions à de multiples niveaux: à court terme, comment trouver les talents dont le pays a besoin pour se développer via les nouvelles technologies? Comment les entreprises qui recrutent peuvent-elles accroître la visibilité du Luxembourg en tant que pays où il y a encore de la création d'emploi, contrairement à bon nombre d'autres pays? Comment former nos chômeurs pour qu'ils puissent trouver à l'avenir encore des emplois dans un monde qui cherche de plus en plus de spécialistes? Comment mettre à profit les compétences très pointues que nous sommes en train de développer au sein de notre Université et de ses instituts spécialisés? Comment préparer nos enfants au monde de plus en plus numérique dans lequel nous évoluons, quel rôle pour l'école? Parmi toutes ces questions, il y en a qui sont du ressort de l'État, d'autres plutôt du secteur privé, mais qui nécessitent en général souvent une interaction entre les deux. Pour ce faire, des groupes de travail thématiques sont mis en place, afin d'identifier, ensemble, des propositions concrètes que nous pourrions alors mettre en œuvre.

La même idée se retrouve dans les autres thématiques identifiées, comme l'encadrement de l'innovation et des start-up, le développement du FinTech ou encore les défis et opportunités liées au Big Data. Nous sommes actuellement en train d'analyser ces thématiques, voir où l'on peut bâtir. sur le travail déjà amorcé, quelles initiatives existent déjà, voir s'il y a des synergies éventuelles, et identifier les chantiers orphelins qui doivent encore être attribués à un maître d'ouvrage. Ces dossiers sont ensuite traités sur le fond dans les différents groupes de travail qui sont en train de se mettre en place, dans une étroite collaboration entre le secteur public et le secteur privé.

Lëtzebuerger Gemengen: Au niveau gouvernemental, quels seront les ministères et les institutions principalement impliqués dans cette stratégie, et quels seront les moyens financiers et humains alloués?

Xavier Bettel: La présidence de ce projet est exercée conjointement par le Premier ministre et ministre des Communications et des Médias, par le Vice-premier ministre et ministre de l'Économie et par le ministre des Finances, qui coordonnent l'initiative, définissent les orientations politiques et veillent à l'élaboration de la stratégie. La cellule de coordination et de développement, composée de membres de ces trois ministères, représente le comité exécutif de la stratégie et prend en charge le travail de coordination. L'initiative "Digital Létzebuerg" est toutefois une initiative collective de l'ensemble du gouvernement. II s'agit d'une initiative foncièrement transversale, horizontale, qui concerne potentiellement l'ensemble des ministères, les communes, tout comme le secteur privé et le monde académique . "Digital Lëtzebuerg" se veut aussi un lieu d'échange et un endroit où peuvent naître de nouvelles idées et initiatives. Nous aimerions en faire une nouvelle manière de travailler au sein de l'administration, de regrouper les experts autour des thématiques qui les concernent, au-delà du ministère auquel ils sont attachés, afin de mettre en commun des compétences et d'utiliser de manière plus efficace les ressources dont nous disposons. Quant au budget, nous disposons d'un budget d'un million d'euros pour 2015, pour la phase de lancement et de mise en place de l'initiative. Mais de nombreux projets n'ont pas attendu cette initiative et sont déjà budgétisé dans les différentes ministères. Mais "Digital Lêtzebuerg" ne se limite pas à la mise en oeuvre des projets qui requièrent nécessairement des budgets. On peut faire beaucoup sans budget, par exemple en identifiant les modifications législatives qui sont nécessaires pour s'adapter à la société dématérialisée.

Lëtzebuerger Gemengen: Si le Luxembourg affiche des atouts indéniables pour se positionner comme place ICT de premier choix en Europe (infrastructures, savoir-faire, cadre législatif,...), quels sont les principaux défis qu'il reste à relever?

Xavier Bettel: En ce qui concerne les infrastructures ICT, tous les benchmarks internationaux confirment l'excellent positionnement du Grand-Duché, qui figure parmi les meilleurs en Europe dans le domaine. Or nous nous situons à un rang nettement moins avancé en ce qui concerne, entre autres, l'administration électronique et l'accessibilité des services en ligne au citoyen, ainsi que la simplification administrative pour la création d'entreprise. Mais, in fine, le plus grand défi reste le développement des talents et la formation aux métiers du futur. Ce défi n'est pas propre au Luxembourg: toute l'Europe, voire le monde entier, est bousculé par la rapidité des changements et des compétences nécessaires qu'impliquent les nouvelles technologies.

Lëtzebuerger Gemengen: Un problème récurrent rencontré par les entreprises actives dans le secteur ICT concerne en effet le manque de profils hautement qualifiés. Quel est le plan d'action du gouvernement sur cette question clé?

Xavier Bettel: Les compétences sont en effet LE facteur décisif du développement d'un secteur. Il s'agit d'intervenir sur deux terrains: notre système scolaire doit, d'un côté, arriver à développer les compétences nécessaires dans le monde d'aujourd'hui. De l'autre côté, en tant qu'objectif à court terme, je souhaite faciliter le recrutement de spécialistes venant de l'étranger. Pour cela, tout un travail horizontal est nécessaire, visant des sujets aussi divers que le cadre migratoire et fiscal pour les expatriés, l'image de marque du Luxembourg ou la qualité des infrastructures de transport/logement/culture/scolaires qui font du Luxembourg un pays où il fait bon vivre.

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