Interview de Xavier Bettel avec le Soir

"En politique, on est là pour s'adapter à la société (...)"

Interview: Le Soir

Le Soir: Vous arrivez à la tête du Luxembourg après Jean-Claude Juncker... En un an et demi, le mariage pour tous est légalisé. Maintenant, ces trois référendums. Envie de moderniser le pays? De le dépoussiérer?

Xavier Bettel: Vous parlez des questions de société. Mais en dix-huit mois, j'ai d'abord fait trois budgets. Une priorité que j'ai fixée, c'est d'éviter le dérapage au niveau des finances publiques. Le Luxembourg avait un déficit d'un milliard d'euros il y a treize ans. Déficit qui arrivait à treize milliards... Si on continuait sur cette lancée, j'allais devoir faire un emprunt sur les générations futures. Et puis nous avons entrepris de dépoussiérer à d'autres niveaux, pour avoir un pays qui s'adapte à son temps. Le référendum intervient dans ce chapitre du renouveau démocratique. Hier, j'avais une réunion d'information avec plus de deux cents personnes pour discuter du pour et du contre. C'est important de discuter avec les gens. On a souvent tendance à avoir peur de le faire quand on fait de la politique. En 18 mois, c'est vrai qu'on a voté une ribambelle de lois, préparé la séparation de l'Église et de l'État, ce référendum... L'État doit fixer un cadre et laisser le choix aux gens.

Le Soir: C'est un bond de modernité!

Xavier Bettel: Ça me fait plaisir si des observateurs extérieurs le disent! Mais pour moi, c'est un choix normal. Ce sont les valeurs pour lesquelles je me suis engagé en politique. Respecter le choix des gens, qu'il concerne la religion, la sexualité... On a aussi changé les textes sur l'avortement. En politique, on est là pour s'adapter à la société, ce n'est pas à la société de s'adapter à la politique. Je suis content que le Luxembourg soit moderne et considéré par d'autres pays comme tel.

Le Soir: Le pays a été trop conservateur pendant trop longtemps?

Xavier Bettel: Non. Il a évolué.

Le Soir: Il y a très peu de pays dans le monde qui ont accordé le droit de vote aux étrangers pour les législatives. C'est presque briser un tabou?

Xavier Bettel: Pourquoi? Rappelez-vous des discours qu'on a eus à Maastricht, sur le droit de vote aux étrangers aux élections communales. On a dit que des maires étrangers allaient reprendre les mairies, qu'il allait y avoir un afflux massif d'étrangers parce qu'ils savent qu'ils vont pouvoir changer les choses. Mais ça n'a pas eu lieu... C'est juste le fait de dire que l'on est citoyen là où l'on fait sa vie. Et en tant que citoyen on a des obligations, mais on a des droits aussi.

Le Soir: Un "oui" à cette question ne changera pas les équilibres électoraux? 28% d'électeurs étrangers, c'est un pourcentage important...

Xavier Bettel: Pour les élections municipales, c'est déjà le cas. Est-ce que ça a changé les équilibres? Non! Les gens se sentent chez eux, donc ils votent pour la personne qui défend la politique qui est dans l'intérêt du lieu où ils habitent. Et pas en fonction de leur nationalité.

Le Soir: C'est une recommandation générale à l'Europe?

Xavier Bettel: On parle de citoyenneté européenne: si l'on parle d'union politique, un jour ce sera un but. Mais je ne pense pas que ce soit encore le cas. Je vis dans un pays où 46% de la population n'a pas la nationalité. Pour éviter un déficit démocratique, il est important de savoir innover. C'est risqué. Mais au moins on en discute avec les électeurs. Et puis les autres partis ont dit que, quoi qu'il arrive, il faut continuer à travailler sur l'intégration.

Le Soir: Si vos concitoyens répondent trois fois non?

Xavier Bettel: Et bien j'aurai trois fois non. Vous savez, il y a des questions qui flottent comme ça pendant des années, sans qu'on arrive à se mettre d'accord. Laissez les gens trancher.

Le Soir: Vous menez ce référendum sur l'intégration des étrangers par le droit de vote, alors que les migrations sont au-devant de l'actualité.

Xavier Bettel: Quand ça va moins bien, on cherche un responsable. Faire de la politique sur le dos d'une minorité, c'est toujours dangereux.

Le Soir: Et la question de la répartition des migrants?

Xavier Bettel: Les quotas? On doit avoir une solidarité internationale. Si l'on n'arrive pas à trouver un accord, et que l'on doit voter au Conseil européen, y additionner les pour et les contre, ce sera grave. Il ne faudrait pas de votes quand on décide des destins des personnes, des tragédies humaines...

Le Soir: Mais vous êtes d'accord avec le principe d'une répartition des demandeurs d'asile entre les 28?

Xavier Bettel: Oui. Mais on doit se mettre d'accord sur une répartition géographique et proportionnelle, et qui évite d'amener de l'eau au moulin des populistes.

Le Soir: Autre domaine où le vent du changement souffle en Europe: la fiscalité. Un aspect belgoluxembourgeois est justement apparu dans l'actualité: une circulaire belge découlant du fait que le Luxembourg est toujours sur la liste des paradis fiscaux de l'OCDE.

Xavier Bettel: C'est une loi belge de 2010, il y a un automatisme prévu dans son application. On attendra la nouvelle réévaluation par l'OCDE. (Qui devrait constater que le Luxembourg peut être biffé de la liste des paradis fiscaux, NDLR.)

Le Soir: Avec la présidence européenne semestrielle, vous aurez à coordonner les travaux en matière fiscale: échange systématique des rulings, projets d'harmonisation... Le Luxembourg sera-t-il aussi dans la modernité en matière fiscale?

Xavier Bettel: Nous voulons continuer. Sur l'échange des rulings, nous prônons que les règles du jeu soient équitables. Mais le Luxembourg ne bloquera rien.

Le Soir: Le projet d'assiette fiscale commune consolidée de l'impôt des sociétés: pousserez-vous en faveur de ce projet ?

Xavier Bettel: Encore une fois: nous ne bloquons rien.

Le Soir: Ne rien bloquer et pousser vers l'avant, ce n'est pas la même chose.

Xavier Bettel: J'attends les textes. Je suis le premier à dire que sur la fiscalité, il faut des règles communes. Et le Luxembourg fera tout cela.

Le Soir: Quand on vous dit harmonisation, vous sautez au plafond?

Xavier Bettel: Je ne saute pas au plafond! (dit-il en bondissant.) Mais de quoi parle-t-on: d'impôts directs ou indirects? Nous avons une TVA sur les produits de première nécessité à 3%: je n'ai pas envie de passer à 21 ou 23% comme en Belgique, si c'est contraire à notre choix de politique familiale. Sur l'impôt des sociétés, on doit pouvoir parler de l'assiette. Mais si c'est pour dire qu'il faut réglementer tout de la même manière: je dis non!

Le Soir: Avec le Benelux, vous êtes se la ligne de démarcation culturelle entre le Nord et le Sud. Vous constatez des différences d'approche des deux côtés, par exemple sur le TTIP, l'accord commercial avec les USA?

Xavier Bettel: Si j'en vois, je ferai ce que mon pays fait: construire des ponts. D'ailleurs sur le TTIP j'ai demandé à la Commission et au Parlement européen qu'on organise sous ma présidence une conférence avec les syndicats et les patronats des 28 pays. J'aimerais savoir pourquoi au Nord on trouve cela bien, et au Sud pas. Et je ne veux plus entendre que le TTIP est traité à l'abri des regards. Construire des ponts, je veux aussi le faire avec la Russie et l'Ukraine. Je compte d'ailleurs m'y rendre. Nous sommes toujours dans une politique d'escalade.

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