Interview de Xavier Bettel avec le Jeudi

"Le mur n'est pas une solution"

Interview: Le Jeudi (Olivier Tasch)

Le Jeudi: Le mot d'ordre de la présidence luxembourgeoise est de mettre le citoyen au centre des préoccupations européennes. Le citoyen grec sera perplexe...

Xavier Bettel: Il s'agit pourtant bien de lui. Si son pays est en faillite, s'il n'y a plus d'économie, s'il n'y a pas de croissance, qu'il n'y a plus d'argent, alors le Grec est le premier perdant. En revanche, si l'économie tourne, que des emplois sont créés et les salaires payés, alors le Grec va bien. C'est pour cela qu'une solution pour la Grèce est une solution pour nous tous. La question n'est pas de savoir si l'on est sur la même longueur d'onde politique avec Tsipras ce qui, pour ma part, n'est pas le cas, sur l'échiquier politique nous sommes éloignés. Ce qu'il faut voir, c'est qu'il y a des mesures à prendre qui sont nécessaires et qui reconstruisent la confiance.

Le Jeudi: Est-ce que c'est un bon accord?

Xavier Bettel: Qu'est-ce que cela veut dire un bon accord?

Le Jeudi: Un accord qui tienne dans le temps...

Xavier Bettel: Je ne sais pas ce qui se passera demain. Je ne peux pas dire qu'il n'y aura plus jamais de problèmes. Avec les informations que j'ai eues, je sais que c'est une base qui permet de rétablir la confiance et qui montre que des efforts sont consentis. Il y a des pays qui ne voulaient plus rien faire pour la Grèce. Devant leur Parlement national, certains Premiers ministres ont eu du mal à se voir accorder une quelconque aide pour la Grèce. Aujourd'hui, les engagements sont pris. Ce n'est peut-être pas le meilleur accord, mais c'est le meilleur accord possible qui a réussi à avoir la signature de tous.

Le Jeudi: Mi août, suite à l'attaque dans le Thalys, d'aucuns ont immédiatement voulu remettre en cause Schengen. Qu'en pensez-vous?

Xavier Bettel: Tout d'abord que les frontières extérieures de Schengen doivent évidemment être contrôlées. Je rappelle aussi que les contrôles internes sont encore tout à fait possibles. Mais l'attaque du Thalys n'a rien à voir avec Schengen. L'auteur est un Marocain, qui aurait tout aussi bien pu avoir une autre nationalité, qui vivait en Europe. Mais l'attentat contre Charlie Hebdo (NDLR: le 7 janvier 2015) a été commis par des Français. Ce sont des acteurs individuels, des fondamentalistes qui sont de véritables bombes à retardement. Ce qu'il faut avant tout c'est de la prévention. Eviter que les gens partent, en Syrie par exemple, et surveiller ceux qui en reviennent. On ne peut pas enfermer tout le monde et c'est bien pour cela que nous avons besoin de services de renseignement efficaces qui échangent entre eux sur des personnes présentant un risque. On oublie bien vite les avantages de Schengen, le droit de se déplacer notamment; mais aussi l'échange entre la police et la justice qui a été accentué par l'accord. Stigmatiser ou parler immédiatement de restrictions ne me semble guère adéquat. Les libertés doivent rester le principe de base, il faut seulement les limiter s'il y a un réel danger. Il n'est donc pas question de jeter par-dessus bord des libertés pour lesquelles nous avons lutté pendant des années. Si l'on dit qu'il faut fermer nos frontières, alors Schengen est mort.

Le Jeudi: La frontière extérieure de Schengen est désormais habillée de barbelés hongrois. Quel est votre avis sur ce mur?

Xavier Bettel: Le mur n'est pas une solution. Prenons le problème à la racine. Il y a là des réfugiés politiques qui fuient des pays en guerre. Ceux-là doivent pouvoir entrer. Leur vie tient dans un sac plastique. Avec leur famille, ils ont tout quitté pour survivre, par peur d'être décapités, empoisonnés, gazés ou bombardés par des terroristes. Il y aussi d'autres demandeurs d'asile qui sont des demandeurs économiques. D'où l'importance d'établir la liste de pays sûrs pour assurer les procédures accélérées et pour que nous ne fassions pas d'amalgame.

Le Jeudi: Que faire pour ces réfugiés économiques?

Xavier Bettel: D'aucuns gloussent quand nous disons que notre politique de coopération est une politique préventive. Mais on en a la preuve aujourd'hui. Là où on arrive à offrir une perspective d'avenir - je ne parle pas des zones de conflit -, les jeunes restent. Sans perspectives, ils s'en vont.

Le Jeudi: Pour en venir au niveau national, que diriez-vous aujourd'hui du référendum de juin?

Xavier Bettel: Je ne le regrette toujours pas. C'était un bon exercice démocratique. Le résultat n'est évidemment pas celui pour lequel je m'étais engagé, mais il faut le respecter. Le principe du référendum est de demander une opinion, pas de l'imposer. Je constate un élan des citoyens qui veulent participer, je ne veux pas que cet élan retombe. Avec la Chambre, nous allons voir comment inclure davantage les gens dans la prise de décision. Je n'ai pas la recette miracle, mais il ne faut pas freiner l'élan participatif. On le voit avec les pétitions, les gens ont envie d'avoir leur mot à dire. On doit s'en réjouir dans un pays où l'on entend souvent que les gens sont lassés de la politique. Moi je pense que les Luxembourgeois ont envie de participer et ça me réjouit.

Le Jeudi: Le paquet -d'avenir, avec son principe de faire participer tout le monde, a-t-il été une erreur stratégique?

Xavier Bettel: Le paquet d'avenir, ce n'est pas de la stratégie. Il est question de sortir d'une spirale de surendettement. Je ne l'invente pas, toutes les agences de notation disent que nous avons conservé le triple A parce que nous avons fait le Zukunftspak. Cela ne veut pas dire que nous l'aurions perdu immédiatement, mais il était vacillant. Je ne suis pas un fétichiste du triple A, mais j'ai conscience de son importance pour notre pays. N'oublions jamais que le Luxembourg vit des services, et les entreprises du secteur cherchent un endroit où les finances de l'Etat sont saines. Je suis convaincu que si nous avions perdu ce triple A, nous n'aurions pas aujourd'hui les bons chiffres de croissance calculés par le Statec. Le paquet d'avenir n'était pas populaire, certes, mais il était nécessaire. Prendre un peu partout, j'appelle cela la solidarité pour arriver à un effort commun d'un milliard. Je mets au défi quiconque viendra me dire qu'il va aujourd'hui moins bien à cause du paquet d'avenir. On a peut-être reçu une claque de la part de tout le monde, mais c'est parce que le paquet est équilibré.

Le Jeudi: Les citoyens sont-ils égoïstes?

Xavier Bettel: Non, mais ils se demandent pourquoi ils ne peuvent pas avoir un petit peu plus.

Le Jeudi: Au regard des prévisions de croissance cela semble légitime...

Xavier Bettel: Ce n'était pas le cas l'année dernière. Et aujourd'hui, il ne faut pas tout dépenser tout de suite. C'est pour cela que nous avons créé le fonds souverain, parce que nous ne voulons pas laisser aux prochaines générations ce que d'autres nous ont laissé, c'està-dire rien. . Le problème du pays c'est que, pendant des années, on pouvait jouer au Saint-Nicolas. Le souci c'est qu'il doit y avoir quelque chose à distribuer. Et moi, j'ai commencé par perdre un milliard à cause du commerce électronique. Nous avions déraillé avec une dette qui a bondi de 7 à plus de 25%. Il a fallu remettre l'économie sur de bons rails.

Le Jeudi: Aujourd'hui, l'économie tourne à plein régime, votre cote de popularité est pourtant au plus bas...

Xavier Bettel: Juste après ma prise de fonction en tant que Premier ministre, je l'avais dit: mon score dans les sondages va baisser. Mais je veux que l'on me juge à la fin de mon mandat, sur base de la situation économique du pays, sur les chiffres du chômage et sur ce que le gouvernement aura fait pour le pays. En tout cas, ne rien faire n'est pas une option.

Dernière mise à jour