Interview de François Bausch dans Le Quotidien

Tram: "Nous avons gagné près de dix ans"

Interview : Le Quotidien (Erwan Nonet)

Le Quotidien : Le tram est en service, mais que son arrivée a mis du temps à se dessiner... 

François Bausch : L'origine du débat se situe en 1987, lorsque les verts ont participé à leur première campagne électorale pour les législatives dans la capitale. J'en étais - déjà! -mais je n'étais pas encore connu. Une de nos affiches portait le slogan : "Un tram pour la capitale"... Il sera là 30 ans après le lancement du débat. Les discussions ont été très longues. Il y a eu entretemps le projet BTB (Bus Tram Bunn, un train-tram-bus), finalement abandonné. La politique de parti nous a fait perdre 20 ans. Ce n'est qu'avec avec l'arrivée des verts au collège échevinal de la capitale en 2005, et la volonté de trois acteurs majeurs, à savoir Paul Helminger, Lucien Lux, et moi-même, et après l'étude du professeur Knoflacher lancée par le Mouvement écologique, que le débat a été relancé. Le plan MoDu, porté par Claude Wiseler à partir de 2009, donna l'impulsion définitive. C'était un concept théorique qui allait dans, la bonne direction et je présenterai sa deuxième version, le MoDu 2.0, en mai. 

Le Quotidien : Quel sentiment prédomine aujourd'hui? La satisfaction de l'inauguration du premier tronçon ou l'amertume d'un projet trop long à se concrétiser? 

François Bausch : Selon le plan MoDu, le tram aurait dû aller du Findel à la Cloche d'or en 2030. Nous avons gagné près de dix ans lors de cette législature, mais nous arriverons tout de même à la Cloche d'or avec deux ans de retard. Auchan et Deloitte seront là fin 2019 et le tram arrivera à Howald fin 2021. En 2014, l'opposition chrétienne-sociale avait voté contre l'extension du tram, mais je note aujourd'hui avec satisfaction que l'on n'entend plus de contestations. Au contraire, les échos sont plutôt élogieux. 

Le Quotidien : Le lancement du tram est un évènement et un investissement importants, mais pourra-t-il régler à lui seul les problèmes de mobilité dans la capitale? 

François Bausch : Bien sûr que non! Le tram seul ne résoudra aucun problème, il fait partie d'une offre que l'on veut la plus cohérente possible pour proposer des alternatives crédibles à la voiture. Il n'empêche, il s'agit d'un élément important qui permettra de relier les centres économiques de la Ville. Lorsque le trajet Findel-Cloche d'or sera en service, le tram permettra de sortir 2 200 bus de la capitale chaque jour, pratiquement tous entre 7h et 19h. Vous imaginez la hausse de la qualité de vie et l'amélioration de la fluidité! 

Le Quotidien : L'inauguration d'hier ne concerne que le premier tronçon. Compte tenu des travaux à venir, au cœur de la Ville, estimez-vous que le plus dur reste à venir? 

François Bausch : C'est moi qui ai voulu que l'on commence par le Kirchberg, justement parce que c'était le moins compliqué. Les équipes ont pu emmagasiner l'expérience qui leur permettra de mieux appréhender les travaux à venir. En même temps, cela permettait de créer plus rapidement cette liaison avec le funiculaire et de concrétiser tout de suite cet échange entre le train et le tram. L'idée était de montrer immédiatement l'efficacité du tram pour que tout le monde soit convaincu. Cela aidera à patienter pendant les travaux! Et de toute façon, la Ville de Luxembourg devait refaire tous les réseaux souterrains de l'avenue de la Liberté. Même s'il n'y avait pas eu le tram, il y aurait eu de gros travaux. Nous sommes donc en train de planifier les différentes phases pour nous coordonner. 

Le Quotidien : À un moment, il a été question de faire aller ce premier tronçon jusqu'à l'arrêt Théâtre, au-delà du pont rouge. Ce ne sera pas le cas finalement, que s'est-il passé? 

François Bausch : Nous n'avions rien promis et il est vrai qu'il y a quelques mois, nous avions évoqué cette possibilité. Mais il y a eu un petit problème à la sortie du pont. Il a fallu s'assurer que les vibrations provoquées par le passage du tram ne poseraient pas de problème au parking souterrain Schuman. Nous avons commandé plusieurs études et il a fallu en faire la synthèse, ce qui a pris deux à trois mois, un délai normal. Désormais, tout est dans l'ordre et si la météo est clémente, nous serons en avril à la place de l'Étoile. 

Le Quotidien : La place de l'Étoile, justement, sera un des pôles d'échanges multi-modaux. Quand sera-t-elle opérationnelle? 

François Bausch : Elle sera effectivement un lieu très important puisqu'il s'agira du terminus des bus venant de l'Ouest. Nous avons un accord avec le propriétaire des terrains pour créer une gare routière provisoire. Le bas de la route d'Arlon sera dévié pour mettre en place cette solution temporaire. Nous sommes en train d'analyser les différentes options. Elle sera opérationnelle avant les vacances d'été 2018. 

Le Quotidien : Comment seront gérés les tronçons qui suivront? 

François Bausch : L'avenue Emile-Reuter sera entamée après les vacances d'été 2018 et, ensuite, plusieurs chantiers seront menés de front pour que le tronçon place de l'Étoile - place de Paris soit ouvert dès la fin 2019. La ligne ira jusqu'à la gare à l'été 2020 et enfin, en décembre 2021, de l'aéroport à la Cloche d'or. 

Le Quotidien : Quelles autres lignes de tram voyez-vous dans un réseau idéal pour la capitale? 

François Bausch : Trois autres extensions, au moins, seront nécessaires. Une qui irait de la gare centrale jusqu'au P&R Bouillon, en passant par le futur quartier des Portes de Hollerich. Une autre qui desservirait le boulevard Konrad-Adenauer (sur le Kirchberg) jusqu'au quartier du Kiem, car de nombreux logements et emplois y seront créés, le lycée Michel-Lucius et probablement une école Waldorf vont s'y installer. Et il faudra également songer à une ligne entre la place de l'Etoile et Marner. 

Le Quotidien : Qu'en est-il des projets de liaison entre le sud du pays et la capitale, et notamment de l’idée d'un bus à haut niveau? 

François Bausch : La liaison entre Micheville, Esch, Schifflange, Mondercange et la Ville est essentielle, il faudra faire le bon choix. Nous sommes en pleine réflexion mais ce qui est sûr, c'est qu'il n'y aura pas de bus à haut niveau de service. Les flux actuels montrent que ce mode de transport ne sera pas suffisant. Il faut trouver autre chose et je présenterai la solution retenue en mai 2018, elle fera partie du MoDu 2.0. Je suis ouvert à toutes les propositions. Le train est une possibilité, mais sa mise en place est longue, coûteuse et il faut aller vite. Le monorail est une autre option qu'il faut étudier... Nous y travaillons. 

Le Quotidien : jusqu'où ira cette liaison ?

François Bausch : C'est une autre question. Soit son terminus sera la Cloche d'or, auquel cas elle devra desservir également la zone d'activité Poudrerie de Leudelange qui a besoin d'une telle desserte. Soit son terminus sera à Leudelange, auquel cas il faudra une liaison jusqu'à la Cloche d'or par une extension de la première ligne de tram. Là encore, une décision sera prise en mai prochain. 

Le Quotidien : Sur un plan plus global, la nécessité assumée par le gouvernement d maintenir un taux de croissance élevé ne rend-elle pas le travail de votre ministère impossible? Le développement des infrastructures ne peut pas suivre ce rythme... 

François Bausch : Il faut avoir un débat à ce sujet. Après la première révolution industrielle, à la fin du XIXe siècle, le pays a mis 87 ans pour croître de 100 000 habitants. En ce moment, nous avons ces 100 000 habitants de plus tous les sept ans et 100 000 emplois supplémentaires tous les onze ans. Nous allons dépasser très bientôt les 400 000 places de travail. C'est une croissance folle! Nous avons cherché d'autres régions avec une telle évolution, nous n'en avons trouvé aucune. 

Le Quotidien : Prônez-vous la décroissance? 

François Bausch : Non, car on peut également voir le PIB augmenter sans que cela soit synonyme d'une hausse excessive d'emplois et d'habitants. L'exemple de SES est parfait. Il faut simplement faire le choix d'une croissance sélective et parfois aussi dire non aux installations d'entreprises qui n'apportent pas de plus-value au pays. De toute façon, nous n'avons pas le choix car au rythme actuel, à un moment ou à un autre, l'économie sera freinée parce que les infrastructures ne seront plus adaptées et que la qualité de vie baissera. 

Le Quotidien : A posteriori, le choix de miser sur la logistique est-il si pertinent? 

François Bausch : La logistique est à double tranchant : d'un côté elle permet de rationaliser les transports et de les organiser de manière plus efficace et plus durable et d'un autre, elle en appelle forcément davantage sur le territoire. Mais elle est là et nous ne ferons pas machine arrière. 

Le Quotidien : Les secteurs des nouvelles technologies sont donc à privilégier? 

François Bausch : Elles représentent le plus gros potentiel car la valeur ajoutée créée est très importante. Les TIC, les finances, les technologies environnementales nécessitent de la main d'œuvre très qualifiée. La digitalisation va toucher beaucoup de secteurs et entraîner la création de milliers d'emplois. Il sera également important de ne pas les installer uniquement autour de la capitale. Les friches du sud du pays, notamment à Schifflange et Belval, s'y prêtent parfaitement. Tout comme la Nordstad, Clervaux ou Wiltz, qui se développent. 

Le Quotidien : L'industrie, par contre, n'est plus une solution à préconiser. 

François Bausch : Actuellement, une firme américaine, Knauf, souhaite s'implanter à Sanem. Elle produit de la laine de roche, ce qui n'est pas franchement écologique et qui ne correspond pas aux orientations que nous avons déterminées pour notre économie. Elle emploiera essentiellement une main-d’œuvre peu qualifiée qui sera certainement principalement frontalière. Le même cas de figure se pose pour une usine de yaourts qui veut s'installer à Bettembourg. Personnellement, je n'ai rien contre ces entreprises, mais nous ne pouvons plus attirer tout le monde. 

Le Quotidien : Pour limiter la circulation on parle également de favoriser le télétravail. Est-ce pertinent selon vous? 

François Bausch : Oui, l'idée est bonne. Mon ministère travaille d'ailleurs à la création d'un site de cotravail à Belval. Le faire de ce côté de la frontière a du sens puisque les questions des aménagements de la fiscalité et de la sécurité sociale ne se posent pas. Je suis très sceptique quant à la possibilité de créer de telles structures à l'étranger. Aménager les législations, si cela se fait, prendra énormément de temps et nous avons besoin de solutions rapides. 

Le Quotidien : Concernant l’A3, souhaitez-vous réserver la future troisième voie aux bus et au covoiturage? 

François Bausch : Du côté luxembourgeois, je souhaite que nous le fassions, au moins aux heures de pointe. Actuellement, le taux de remplissage des voitures est de 1,1. Si nous passons à 2, l'effet sur la fluidité sera déjà spectaculaire. Il faut l'encourager. Je souhaite également que cela se fasse du côté français et que le projet d'A31 bis se réalise. Une troisième voie réservée aux bus et au covoiturage entre Thionville et Luxembourg serait porteuse de sens, mais il faut un accord politique. Un groupe de travail dont font partie les Ponts et Chaussées luxembourgeois examine déjà ces questions. 

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