Lettre Juncker-Verhofstadt à M. José-Maria Aznar en vu du Conseil européen de Barcelone

Lettre du Premier ministre Guy Verhofstadt et du Premier ministre Jean-Claude Juncker au président du Conseil européen, M. José-Maria Aznar

1. Renforcer la stratégie européenne pour l'emploi et garantir la création d'emplois de qualité
2. Moderniser et améliorer la protection sociale
3. Accroître le rôle des partenaires sociaux dans la gouvernance de l'Union
4. Poursuivre la mise en ?uvre de l'agenda social

Le 12 mars 2002

Cher José-Maria,

Dans moins d'une semaine, nous allons nous retrouver à Barcelone pour un Conseil européen qui devra faire le point sur le processus de Lisbonne. Ces Conseils européens de printemps doivent ainsi devenir une véritable instance d'orientation stratégique pour l'ensemble des politiques économique, sociale et environnementale européennes. Ce rôle est d'autant plus déterminant que le contexte actuel implique une mobilisation de tous les Etats et de l'Union pour atteindre les objectifs de croissance, de plein emploi et de cohésion sociale qui ont été fixés à Luxembourg en 1997, puis à Lisbonne, Nice, Stockholm, Göteborg et Laeken.

Ces objectifs impliquent une meilleure intégration des dimensions économique, sociale et environnementale de la stratégie et une mise en cohérence des différents processus. Il convient, en particulier, de rapprocher les calendriers d'élaboration des grandes orientations de politique économique, des lignes directrices pour l'emploi, des stratégies européennes dans le domaine des retraites, et de l'inclusion sociale, de la stratégie de développement durable, tout en conservant leurs spécificités respectives dans le respect de l'autonomie des différents processus, afin de faire du Conseil européen de printemps l'étape politique décisive de leur adoption. D'autre part, le sommet social qui, en vertu des décisions prises à Laeken, précède désormais chaque Conseil européen de printemps, devra permettre de renforcer l'implication des partenaires sociaux dans la gouvernance européenne.

Il est plus que jamais essentiel de tendre à un équilibre entre la modernisation de l'appareil économique européen et l'assurance d'un haut niveau de protection, répondant aux impératifs d'égalité, de cohésion et de qualité des emplois qui sont au c?ur du modèle social européen.

Dans ce contexte, le Conseil européen de Barcelone devrait, parallèlement à ses conclusions dans le domaine économique, donner des impulsions dans les domaines sociaux suivants.

1. Renforcer la stratégie européenne pour l'emploi et garantir la création d'emplois de qualité.

Le Conseil européen devrait, en s'appuyant sur les acquis de Luxembourg, définir les orientations stratégiques qui permettront de relever les défis du marché européen de l'emploi et contribuer à la réalisation des objectifs de Lisbonne, en particulier celui du plein emploi de qualité. Il faudra en tout premier lieu s'attaquer au chômage structurel qui demeure élevé. Il s'agit à cet égard de créer des marchés de travail européens, intégrés et performants.

Le processus de Luxembourg a fait ses preuves: autour d'orientations et d'objectifs de moyen et long terme, fondés sur des rapports nationaux annuels, des recommandations et des échanges de bonnes pratiques, il constitue un exercice exigeant mais garant de la convergence communautaire en matière d'emploi. Il faut le simplifier sans l'affaiblir.

Dans cette ligne, le Conseil européen de Barcelone devrait souligner que:

  • même simplifiée, la stratégie européenne pour l'emploi devra continuer de s'articuler de manière équilibrée autour de priorités stratégiques (annualité des lignes directrices pour l'emploi, intégration des politiques, caractère de moyen et long terme, objectifs quantifiés, surveillance multilatérale, indicateurs quantitatifs et qualitatifs de suivi), en tenant compte des acquis de Göteborg et de Laeken,
  • la stratégie européenne de l'emploi peut contribuer à mieux gérer le changement: les mutations en cours exigent des travailleurs européens mieux formés, plus mobiles et plus motivés, des trajectoires professionnelles plus sécurisées et une flexibilité accrue. Il faut intégrer dans les lignes directrices la prévention et l'accompagnement des restructurations, parallèlement aux travaux des partenaires sociaux européens à ce sujet,
  • l'investissement dans les ressources humaines doit être accru, en garantissant un égal accès à la formation et à la participation à la société de la connaissance et en impliquant l'ensemble des acteurs (entreprises, partenaires sociaux, pouvoirs publics).

2. Moderniser et améliorer la protection sociale

Il a été décidé, l'an dernier, que les Etats Membres devront élaborer leur politique en matière de pension, grâce à la méthode ouverte de coordination, à la lumière d'objectifs communs qui devront garantir la viabilité tant sociale que financière des régimes de pensions et qui devront permettre que les régimes de retraite puissent répondre aux défis du vieillissement de la population européenne. A partir du mois de septembre de cette année, les Etats membres devront rendre compte les uns aux autres au moyen de "Rapports Stratégiques Nationaux" de la politique menée.

Par ailleurs, de grands progrès ont été enregistrés concernant la mise en oeuvre de la méthode ouverte de coordination dans le domaine de l'inclusion sociale, qui a été concrétisée par l'adoption du premier Rapport conjoint sur l'inclusion sociale, l'accord portant sur un ensemble multidimensionnel d'indicateurs communs à l'ensemble de l'Union et la décision du Conseil et du Parlement européen concernant un Programme d'action communautaire dans ce domaine. Ces résultats représentent quelques-unes des avancées décisives devant permettre d'atteindre l'objectif de Lisbonne d'éradiquer la pauvreté et de promouvoir l'inclusion sociale.

Enfin, les discussions de ces derniers mois sur l'approche du vieillissement de la société ont montré que malgré les nettes différences entre les régimes, les Etats membres se retrouvent face aux mêmes grands défis en matière de soins de santé et de soins aux personnes âgées. Les systèmes de santé de tous les Etats Membres doivent tenir compte des objectifs à long terme: accessibilité, qualité et viabilité financière.

En vue de la concrétisation de la collaboration européenne dans ces domaines politiques, le Conseil européen de Barcelone devrait:

  • inviter le Conseil à adopter, dans la perspective du prochain Conseil européen de printemps (2003), un ensemble d'indicateurs en matière des pensions qui permettent de mesurer les progrès des Etats membres concernant des régimes de pension satisfaisants et financièrement accessibles qui répondent aux besoins changeants.
  • confirmer l'engagement des Etats Membres en matière d'éradication de la pauvreté et en matière de lutte contre l'exclusion sociale.
  • mandater le Conseil d'approfondir les enjeux de l'accessibilité, la qualité et la viabilité financière des systèmes de soins de santé pour le Conseil européen de mars 2003, qui déterminera les orientations pour une coopération européenne en matière de soins de santé.

3. Accroître le rôle des partenaires sociaux dans la gouvernance de l'Union

A Laeken, les Chefs d'Etat et de Gouvernement ont entériné les conclusions du sommet social en faveur du développement au niveau européen du dialogue social bipartite et de la concertation sociale tripartite.
Dans cette ligne, le Conseil européen de Barcelone devrait:

  • prendre note de l'accord européen conclu à propos de la formation tout au long de la vie,
  • encourager les partenaires sociaux à entamer la négociation d'un accord sur la gestion des aspects sociaux des restructurations économiques, dans la ligne de la récente communication de la commission,
  • encourager la Commission à faire, en vue de leur adoption à Copenhague, des propositions concrètes visant à transformer le sommet social de printemps en instance de concertation sociale tripartite au niveau européen,
  • encourager les partenaires sociaux à accélérer leurs travaux afin de pouvoir présenter en décembre 2002, comme demandé à Laeken, un programme de travail pluriannuel en matière de dialogue social bipartite,
  • encourager les partenaires sociaux à faire des propositions concrètes d'ici au sommet social du printemps 2003 en matière de médiation sociale européenne.

4. Poursuivre la mise en oeuvre de l'agenda social

L'objectif du plein emploi de qualité ne pourra être atteint que par les réformes structurelles figurant dans l'agenda social européen adopté lors du Conseil européen de Nice: implication des travailleurs face aux changements, facilitation de l'activité féminine par une plus grande égalité face aux charges domestiques et aux rémunérations, facilitation du vieillissement actif par un renforcement de la formation tout au long de la vie et des politiques de qualité, lutte contre l'exclusion et les discriminations pour faciliter la participation du plus grand nombre au marché du travail.

Il est dès lors primordial que le "tableau de bord" de l'agenda social européen fixe des engagements précis dans les domaines prévus pour l'année à venir et soit intégré dans le rapport de synthèse de la Commission.

A cet égard, le Conseil européen de Barcelone devrait s'engager:

  • évaluer les directives sur les licenciements collectifs et sur le transfert d'entreprises et, si cela s'avère nécessaire, réviser la directive sur le comité d'entreprise européen.
  • moderniser les règles assurant le maintien des droits à la sécurité sociale des travailleurs migrants en aboutissant en 2002 sur la révision du règlement 1408.
  • améliorer l'accès transfrontalier à des soins et des produits de santé de qualité.
  • donner dès 2002 des suites au livre vert sur la responsabilité sociale des entreprises.
  • lancer l'évaluation des directives " licenciement collectif " et "transfert d'entreprises".
  • adopter une directive cadre sur l'égalité entre les hommes et les femmes d'ici 2003.
  • développer la stratégie communautaire en matière de santé-sécurité au travail en 2002.

Voilà quelques suggestions qui pourraient alimenter nos travaux à Barcelone. Dans l'attente de vous y rencontrer, nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Cher José-Maria, l'assurance de notre haute considération.

Jean-Claude JUNCKER - Guy VERHOFSTADT

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