Discours du président Josep Borell Fontelles devant le Parlement luxembourgeois

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Här President,
Dir Dammen an dir Hären Deputéierten,

C'est un honneur et un plaisir pour moi de m'adresser à vous aujourd'hui à l'occasion de ma visite officielle à Luxembourg.

Au  cours des travaux de la Convention sur le futur Traité constitutionnel, qui a été signé à Rome le 29 octobre dernier, j'ai pu me rendre compte de toute l'activité déployée par les membres de ce Parlement. Je me souviens en particulier des documents de M. Helminger sur les autorités locales en Europe et de ceux de M. Fayot sur le système institutionnel.

L'étroite collaboration qui existe entre le Parlement européen et vous, à travers la COSAC, a toujours été enrichissante. C'est d'ailleurs au cours de la dernière présidence luxembourgeoise, en 1997, qu'il a été décidé d'inviter les pays candidats de l'époque comme observateurs aux réunions de la COSAC. Je suis convaincu que notre collaboration continuera d'être fructueuse dans le futur.

Monsieur le Président,

Investiture de la Commission

Dans le cadre de notre collaboration, je voudrais aborder avec vous les points les plus marquants de notre programme de travail actuel et futur. Ces points concernent la vie quotidienne de tous les Européens.

Permettez-moi de commencer par les événements qui ont jalonnés la procédure d'investiture de la Commission et que vous ont sans doute préoccupé et,  peut-être déplu àcertains d'entre vous.

Le 27 octobre dernier, le PE n'a pas été amené à se prononcer par un vote. Le Président Barroso a compris qu'il n'aurait pas un appui politique suffisamment fort et a demandé un délai pour remanier sa proposition de Collège des Commissaires européens.

Aujourd'hui, 18 novembre, le PE a investi la nouvelle Commission Barroso par 449 pour; 149 contre et 82 abstentions.

Quelles leçons tirer de ce moment fort de démocratie parlementaire européenne?

En premier lieu, je tiens à vous exprimer ma conviction que ce qui s'est passé a fortifié la démocratie au sein de l'UE, a renforcé nos institutions, a favorisé l'intérêt des citoyens pour le débat politique européen et a rendu plus effectif le respect de leurs droits fondamentaux.

En deuxième lieu, je n'ai à aucun moment considéré qu'il s'agissait d'une crise institutionnelle ou d'un bras de fer entre les institutions. Ce qui s'est passé s'inscrit dans la normalité d'un débat démocratique qui a suscité un grand intérêt de l'opinion publique.

Ce débat a beaucoup porté, même si pas exclusivement, sur des sujets de société extrêmement sensibles: la question cruciale de la politique d'asile et d'immigration, le rôle des femmes dans la famille et le travail, la non-discrimination des personnes en raison de leurs préférences sexuelles, la relation entre éthique et politique.

Dans une Europe qui vient de se doter d'une Charte des droits fondamentaux, il est normal que l'on débatte de ces sujets là. Le Parlement européen n'a jamais discriminé quiconque en fonction de ses croyances.

En troisième lieu, le Parlement européen a démontré qu'il n'est pas un "tigre de papier" et que les "hearings" ne sont pas une simple formalité.

 On ne peut que se satisfaire que le Parlement européen a exercé ses compétences de manière responsable. Le PE existe. Il devient visible auprès de l'opinion publique car il a su engendrer un vrai débat politique européen. Désormais, il est écouté par les gouvernements.

Notre démocratie européenne n'est pas une démocratie de façade. Notre Parlement n'est pas, non plus, une Chambre d'enregistrement.

Je crois sincèrement que le Parlement a contribué à renforcer les valeurs sur lesquelles l'Europe est fondée. Le PE n'a fait rien de moins ni rien de plus que son travail institutionnel et politique.

Le Parlement n'a fait qu'exercer les compétences qui lui sont conférées par les traités. Il est impossible d'attribuer des pouvoirs à une institution issue du suffrage universel à condition qu'elle ne les exerce pas.

Pour les nouvelles auditions de cette semaine à Strasbourg, le Parlement européen a travaillé avec diligence et rapidité. Je tiens à insister sur le fait que le processus démocratique n'a en aucun cas été "soldé". En effet, nous n'avons réduit aucune des exigences initiales même si pour des raisons fonctionnelles le PE a accepté de réduire l'utilisation des langues pour la procédure écrite.

Dès aujourd'hui, nous avons une Commission plus forte et un PE plus crédible.

Et c'est l'Europe qui a gagnée.

Cette Commission n'est pas née dans l'indifférence. Et c'est une bonne chose pour l'avenir.

J'ai dit ce matin au Président Barroso que le PE souhaite un nouveau partenariat entre nos deux Institutions. Il doit être fondé sur le respect mutuel et la confiance réciproque. Il doit être mené avec efficacité et guidé par notre volonté commune de rendre l'UE plus démocratique, plus solidaire et plus responsable de ses devoirs à l'égard des européens.

Turquie

Permettez-moi maintenant d'aborder un point de notre agenda immédiat: la Turquie, ce pays dont le Premier ministre, M. Erdogán, était hier en visite officielle au Grand-duché de Luxembourg.

Des questions comme celle de la Turquie donnent toute sa raison d'être à notre vie parlementaire. Comme vous le savez certainement, la Commission européenne a décidé de recommander l'ouverture des négociations avec la Turquie.

J'ai proposé au Parlement qu'il se prononce en décembre sur l'ouverture des négociations. Et le 17 décembre,  j'expliquerai le point de vue du PE aux membres du Conseil européen.

On retrouve au sein de notre Assemblée les mêmes clivages que ceux qui existent entre Etats membres ou au sein de ceux-ci. Il est par conséquent difficile de prévoir le résultat du vote.

Mais, que cela nous plaise ou non, la Turquie est un pays candidat.

Plusieurs pays membres ont fait part de leurs grandes craintes à cet égard et les voix des personnalités religieuses et politiques opposées à cette adhésion ont été très "bruyantes".

Avant de poursuivre, je tiens à préciser que la décision effective sur l'adhésion ne sera prise qu'au terme d'un processus que l'on devine long et plein d'obstacles mais dont dépendent l'essence, la nature et les objectifs du projet européen.

Quand nous utilisons les mots "Europe démocratique", nous savons ce qu'est la démocratie mais nous n'avons pas défini le mot "européen" ni l'expression "être européen". Je crois qu'on ne saurait affronter ce débat, sans faire table rase des réflexions à l'emporte-pièce et des idées préconçues. Il faut situer le débat dans une perspective stratégique et sur le moyen terme.

Le défi le plus important qui attend l'Europe de demain est sa relation avec le monde de l'Islam. Cette relation passe par l'Irak, l'Afghanistan et la Palestine, mais également par le partenariat euroméditerranéen que nous avons négligé depuis Barcelone 1995.

Elle passe également par l'intégration de l'émigration dans nos sociétés. Les musulmans sont 14 millions en Europe et un milliard dans le monde. Il nous appartient de démontrer au monde musulman que nous ne traçons pas nos frontières en fonction du choc des civilisations que certains s'obstinent à provoquer.

Nous avons tout intérêt, nous Européens, à consolider un islamisme démocratique en Turquie et les perspectives de l'adhésion peuvent contribuer à ce processus.

Le hasard a voulu que le débat sur la Turquie coïncide dans le temps avec le débat sur la Constitution européenne mais les problèmes d'organisation de l'Union européenne ne deviennent pas plus compliqués parce que les négociations avec la Turquie commencent. La Turquie ne peut servir d'excuse à l'idée que nous avons de la Constitution. Les négociations avec la Turquie seront très longues et nous aurons encore tout le temps de nous demander quelle Europe nous voulons.

Comme on le voit, les frontières européennes ne sont pas définies. On dit souvent que l'Europe est la rencontre d'une géographie et de nombreuses valeurs, mais de quelles valeurs? et de quelle géographie?

Autant de questions qui nous obligent à un travail de pédagogie politique.

Le Parlement européen rendra son avis lors de la deuxième session du mois de décembre prochain et le transmettra au Conseil européen qui doit en décider. Mais au bout du compte, comme pour n'importe quelle autre adhésion, c'est le Parlement européen qui détient la clé de l'adhésion de la Turquie.

Constitution

Le Grand duché de Luxembourg a décidé que la Constitution européenne serait soumise à référendum (consultatif) le 10 juillet 2005. C'est un fait très important dans un pays où le dernier référendum remonte à 1937.

Le Parlement européen s'est donné pour tâche de dynamiser les débats européens sur la ratification du traité constitutionnel et d'y participer. Les députés Corbett et y Méndez de Vigo élaborent actuellement un rapport sur lequel on votera le 15 décembre et qui sera le rapport de référence politique que nous présenterons aux citoyens.

Nous entendons débattre de ce Traité constitutionnel TEL QU'IL SE PRÉSENTE ACTUELLEMENT et non comme nous aurions aimé qu'il fût.

Le Parlement européen souhaite devenir un grand FORUM qui donnerait l'exemple d'un débat ouvert, pluriel et démocratique. Le débat s'annonce complexe pour des raisons d'identité, d'idéologie ou encore à cause des idées différentes – encore que toutes également respectables – des uns et des autres sur l'Europe.

L'important est de ne pas priver le citoyen du débat là où il y a un référendum ou de l'informer sur le débat en cours, à travers les canaux habituels, là où il y a ratification parlementaire.

Cette tâche, nous ne voulons pas l'accomplir seuls. Les gouvernements, qui ont tous signés cette Constitution à Rome le 29 Octobre dernier, et les Parlements Nationaux, qui étaient à nos côtés pendant les travaux de la Convention, devraient se joindre au débat car cela ne saurait qu'être bénéfique pour la participation citoyenne.

Nous ne pouvons pas perdre de vue que cette Constitution représente une étape décisive sur la voie d'une communauté politique.

Dans cette Constitution le Parlement Européen s'affirme en tant que co-législateur à part entière grâce à la généralisation de la procédure de codécision. Celle-ci couvre désormais les domaines de la justice et des affaires intérieures. Ils sont considérablement renforcés en vue de lutter plus efficacement contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière.

Une Constitution pour l'Europe implique l'acceptation virtuelle d'un peuple européen s'exprimant au sein d'une Europe politique qui affirme ses valeurs fondatrices.

Je suis très content d'apprendre que le peuple luxembourgeois sera appelé à la ratifier. La ratification est une manière de regagner la confiance des citoyens européens. Parlons-leur des défis à relever. A nous de parler de l'Europe, de son identité, de ses valeurs, de ce qu'elle signifie, de sa raison d'être.

Expliquons-leur que ce traité constitue un cadre dont l'évolution repose entre leurs mains afin de rendre notre Europe capable de relever les défis du troisième millénaire. En commun, nous le ferons mieux qu'aucun pays ne saurait le faire seul.

Faisons un effort pédagogique et motivons les citoyens européens afin de vaincre les deux grands ennemis de notre démocratie : l'ignorance et l'indifférence.

Luxembourg : lieu de travail du Parlement

Finalement, M. le Président, permettez-moi de dire quelques mots à propos de votre pays comme un des lieux de travail du Parlement Européen.

Tout d'abord, j'ai toujours défendu les trois lieux de travail. Ils sont dans les traités.

C'est l'article unique du protocole sur la fixation des sièges des institutions des Communautés européennes, annexé au Traité d'Amsterdam, qui le précise et nous avons conclu un accord avec le gouvernement luxembourgeois afin que ces dispositions puissent être appliquées correctement, mais avec la flexibilité nécessaire.

La majorité du personnel du Parlement européen est affectée à Luxembourg et y restera affectée

L'avenir de notre politique immobilière à Luxembourg est claire : le regroupement de tous les services du PE sur un seul site d'ici 7 à 8 ans.

Comme vous le savez nous avons acheté l'année dernière le bâtiment Konrad Adenauer. N'est pas la meilleure preuve de notre volonté de pérenniser notre situation à Luxembourg? Je voudrais vous rassurer.

Pour terminer, les perspectives financières

Bien que nous nous avancions ici sur un terrain mouvant et de prédictions risquées, il ne faut pas perdre le nord de notre objectif commun qui est celui des Européens qui ont de l'ambition et une hauteur de vues.

Si l'Europe veut réellement relever tous les défis qu'elle s'est fixée, si elle veut vraiment atteindre l'objectif de devenir en 2010 l'économie la plus compétitive, la plus performante au monde, comment atteindre cet objectif avec seulement 1% du PNB? 

Aussi le Parlement européen a-t-il décidé d'élever le débat politique et de répondre à cette question par la création d'une commission parlementaire ad hoc que je présiderai moi-même en raison de l'importance qu'elle revêt; elle ne se limitera pas à une comptabilité réductrice mais transcendera la perspective politique de l'Europe à quinze années d'échéance.

Et ce, avec un œil braqué sur l'horizon et l'autre sur la réalité juridico-politique qui nous ramène au rôle fondamental du Parlement européen sur ce terrain.

Sans lui, sans son accord, il n'y aura pas de perspectives financières ni aujourd'hui ni après la ratification du Traité constitutionnel.

Les négociations seront difficiles.

Nous le savons tous.

Mais il faudra qu'une volonté politique se dégage pour régler la question du droit de veto, que, sur ce point, tous les pays ont appliqué sans compter que tous ces pays demandent des choses contradictoires et incompatibles ou irréalisables avec les ressources disponibles ou tristement prévisibles.

La caractéristique des parlements a toujours été de se prononcer sur la nécessité ou non des guerres et de résoudre des questions budgétaires. Heureusement, cette nécessité n'est plus un problème en Europe. Espérons maintenant que tous les parlements de l'Union européenne, en ce compris celui du Grand duché de Luxembourg, nous aide à régler les questions budgétaires dans une perspective commune et pour notre futur commun.

Je vous remercie.

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