Discours de S.A.R. le Grand-Duc à l'occasion de la visite d´État en République slovaque, lors du dîner du 7 septembre

Monsieur le Président,
Chère Madame Gašparovicová,
Excellences, Mesdames, Messieurs,

J'aimerais vous remercier avec la Grande-Duchesse des paroles si chaleureuses que nous venons d'entendre et qui nous ont beaucoup touchés.

L'accueil qui nous fut réservé ensemble avec le Vice-Premier ministre, le ministre de l'Économie en République Slovaque, nous a ravis et nous vous exprimons toute notre reconnaissance.

J'y vois l'illustration d'une amitié entre deux nations qui, à défaut d'avoir accompli ensemble un long chemin, se sentent déjà proches par le cœur et par les aspirations de leurs peuples.

Pour étayer ce constat, d'aucuns cherchent en particulier à l'occasion d'événements aussi solennels comme celui qui nous réunit aujourd'hui, des similitudes voire des proximités historiques.

Certes, nos racines historiques et culturelles respectives remontent à des époques fort lointaines. Je pourrais évoquer à ce titre un passé commun confiné à la première moitié du 15e siècle, à une époque où Sigismond de Luxembourg, Empereur du Saint Empire germanique-romain, portait également la couronne de Roi de Hongrie.

Force est de constater que depuis, nos contrées respectives ont connu bien des avatars souvent tragiques avant d'émerger comme des entités reconnues et respectées dans le concert des nations.

La démarche engagée à ce titre par votre pays se trouve paradoxalement être à l'opposé de celle que le Luxembourg a été obligé de suivre:

  • alors que la nation slovaque fondée sur une langue et une culture propres étant un fait reconnu, les Slovaques engagés dans une bataille de rappropriation de leur histoire n'ont cessé de revendiquer la création d'un état à eux. Cette démarche, où la nation précède l'état, se trouve à l'opposé de celle de mon pays. Ce dernier doit en réalité sa création en tant qu'état souverain à la volonté politique des grandes puissances du 19e siècle, alors que le sentiment d'appartenance à une même nation ne se forgea que progressivement en particulier à travers les épreuves des deux grands conflits qui ont déchiré notre continent.

Monsieur le Président,

Dans la mesure où cette visite officielle constitue "une première", il me paraît essentiel de rendre hommage en cette circonstance à la personnalité exceptionnelle de celui qui, avec Vaclav Havel, a représenté le phare de la dissidence tchécoslovaque, j'ai nommé Alexandre Dubcek, ce héros tragique de notre temps, qui ne pouvait plus accepter la mise au pas de toute une nation. 

Nous connaissons la suite, hélas à savoir un pays où les historiens devenaient des laveurs de carreaux, les philosophes et les écrivains des chauffagistes, bref un pays où la culture fut étouffée et la mémoire interdite.

Une époque encore si proche qualifiée avec cet humour noir que vous avez avec les Tchèques en partage de "l'ère du pain", une époque où la peur pour son pain quotidien prédomina sur toutes les autres motivations humaines et en particulier sur le sens de la dignité et de la responsabilité, sur le devoir de solidarité et sur la vie de l'esprit. Bref, sur l'ensemble de ces valeurs qui à l'origine ont fait la grandeur de votre peuple.

Combien est admirable dès lors le sursaut des peuples de cette partie de l'Europe longtemps enfermés et cadenassés pour l'avènement d'une vie faite de vérité et de liberté.

Monsieur le Président,

A présent, les destinées de nos deux pays sont engagées dans la construction européenne, il nous faut veiller que les incertitudes du moment présent quant à l'avenir de cet irremplaçable projet ne provoquent des réflexes égoïstes où chacun défend ses acquis au détriment d'une solidarité globale.

Comme l'a souligné récemment un acteur de la scène européenne le risque est de voir le malaise social perceptible dans de nombreux états-membres déboucher sur des craintes sécuritaires générant exclusion, racisme, peur de l'immigration, tension entre communautés et égoïsmes nationaux.

Je ne saurais toutefois passer sous silence que nos nouveaux partenaires de l'Europe centrale et orientale vivent dans le doute et l'incertitude dans la mesure où ils ignorent quand et jusqu'à quel point ils pourront effectivement disposer  des soutiens financiers qui leur ont été promis par la Communauté européenne.

Il reste que nous ne pourrons pas totalement isoler ce débat budgétaire, en souffrance depuis juin, du débat plus général qui doit nous amener à repenser notre identité et notre vocation communes.

Rappelons-nous, pour ce qui est des finalités de l'Europe, la formule de Sénèque: "Il n'existe pas de vent favorable pour celui qui ignore quel port il veut atteindre".

Il faut espérer que la "pause-réflexion" que s'est donnée le Conseil européen nous fournira le cap qui nous permettra d'identifier le port recherché.  L'Europe a non seulement la capacité, mais aussi le devoir de se reprendre. Elle ne le fera "qu'en reprenant les rênes de cette civilisation dont elle a précipité la chute pendant des siècles et singulièrement le dernier". (Vaclav Havel)

Monsieur le Président,

Alors que nous sommes parfois enclins à douter de nous-mêmes, le reste du monde rêve de l'Europe, un modèle gagnant, une réussite exceptionnelle sans équivalent dans l'histoire.  Il est vrai ses modes de fonctionnement peuvent paraître ésotériques, ses procédures touffues. Reconnaissons toutefois que la réalité de nos sociétés est aussi de moins en moins simple, à fortiori celle d'une société européenne faite de 25 nations souveraines.

Et pourtant chacun peut s'y épanouir et prospérer. On le voit bien au niveau de la République Slovaque déjà qualifiée de "tigre de la nouvelle Europe". Nos hommes d'affaires ne s'y trompent pas.  Débarquant ce soir à Bratislava ils seront fort attentifs demain à l'écoute des plus hautes autorités slovaques comme de leurs partenaires en affaires.  L'atmosphère culturelle, académique et intellectuelle ambiante dans ce magnifique pays qui nous accueille aujourd'hui est la traduction que votre pays est irrémédiablement engagé sur la bonne voie!

Excellences, Mesdames, Messieurs,

C'est dans cet esprit qu'avec la Grande-Duchesse, je vous invite à lever votre verre et à boire avec moi à la santé du président de la République et de Madame Gašparovicová, à la prospérité de la République slovaque, au bonheur de ses citoyens, à l'entente et à l'amitié entre nos deux nations dans un monde pacifique et solidaire.

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