Lydie Polfer à la Conférence mondiale contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l'intolérance

Madame le Président,
Madame le Secrétaire général,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi à mon tour de vous féliciter, Madame le Président, de votre élection ; permettez-moi également de remercier par votre intermédiaire les autorités sud-africaines et les gens de Durban de l’accueil si chaleureux qu’ils nous réservent.

Je souscris aux positions défendues à cette tribune par mon collègue belge, S.E.M. Louis Michel, au nom de l’Union européenne.

En proposant à l’Afrique du Sud d’accueillir cette troisième conférence mondiale contre le racisme, Mme Mary Robinson, Haut Commissaire aux Droits de l’Homme, a signalé dès le départ que le débat sur le racisme est forcément un débat chargé d’émotions.

Ici seuls les plus jeunes n’ont pas vécu sous le régime raciste de l’apartheid. Si le régime a disparu, le vécu reste, et avec lui les traumatismes, les réflexes ; bref autant de blessures et de tensions dont une société doit se guérir pour pouvoir envisager avec sérénité son futur.

Ici, plus qu’ailleurs on connaît la valeur cathartique d’institutions en charge de l’établissement de la vérité et de la réconciliation. Mais si le monde vient célébrer à Durban la fin de l’apartheid, c’est qu’aujourd’hui, la communauté internationale dans son ensemble répudie la mentalité raciste qui a permis que le racisme s’installe comme doctrine d’Etat.

Qui pourrait nier aujourd’hui que le racisme – à savoir la théorie de la hiérarchie des races – a fourni un puissant alibi aux dérives esclavagistes et coloniales, tout comme elle a fourni à l’anti-sémitisme séculaire l’apparence scientifique nécessaire pour produire l’adhésion de l’homme moderne à l’extermination du peuple juif.

Le racisme n’a pas inventé le déni d’humanité – ces pratiques se perdent dans le nuit des temps – mais l’invention d’une humanité séquestrée dans différentes catégories raciales aura permis au déni d’humanité de s’insinuer dans la modernité : c’était la parade aux droits de l’homme.

Nous connaissons la suite : l’abolition de l’esclavage s’impose fût-ce au prix de guerres fratricides, le tribunal de Nuremberg - pour juger les crimes du régime nazi - établit la notion de crime contre l’humanité, les guerres d’indépendance et la décolonisation en finissent avec le mythe civilisateur de l’entreprise coloniale. L’ONU se fonde sur la Déclaration universelle des droits de l’homme, et pose expressément l’universalité comme anti-thèse à la discrimination.

Nous sommes les héritiers de cette modernité contradictoire, et si le monde se penche aujourd’hui à Durban sur les pesanteurs du passé, c’est qu’au-delà des responsabilités et des souffrances individuelles, ce passé nous conditionne, et de ce fait demande à être problématisé par la communauté internationale prise dans son ensemble.

La plupart de nos nations ont un moment de leur histoire qui n’a pas été à la hauteur des exigences de l’humanité.

La réconciliation qui est à la base de l’Union européenne inspire et nourrit notre action contre les velléités de la xénophobie et du racisme. L’Union européenne a dans ses ambitions de faire participer ses partenaires de par le monde à cet acquis, par sa politique de gestion et de prévention des crises, sa politique de coopération visant à éradiquer la pauvreté, source de nombreux conflits, et à favoriser l’éducation.

Au moment où la mondialisation nous confronte avec des problématiques inédites, notamment dans le domaine de la migration ; au moment où le nombre des demandeurs d’asile ne cesse d’augmenter, il est particulièrement important de pouvoir parer au danger de réactions unilatérales en développant des approches communes.

Aussi quand on reproche aujourd’hui à l’Europe de vouloir entraver le commerce international par des considérations sociales ou environnementales, on perd de vue - me semble-t-il - que le consommateur européen, pour avoir longtemps servi de débouché au commerce colonial, refuse aujourd’hui d’aborder la globalisation dans les mêmes conditions d’ignorance et de compromission.

Dans l’adhésion passive à l’esprit du temps, l’intolérance prolifère : c’est un danger permanent.

A Durban, le combat contre le racisme a comme cadre de référence le monde contemporain. Cette conférence ne pourra rendre justice aux victimes. Mais elle place les Etats devant leurs responsabilités politiques.  

Nous avons le devoir d’identifier dans notre passé les mécanismes producteurs de racisme et dans notre présent leurs prolongements. Nous avons le devoir de clarifier les principes de la lutte contre l’intolérance y compris sous ses formes les plus insidieuses, celles précisément que nous véhiculons sans y prendre garde.

Le devoir de mémoire, parce qu’il aide à la prise de conscience des horreurs et de la culpabilité qui nous hantent, est oeuvre de libération. 

Nous travaillons sous le regard inspiré et critique d’une multitude de représentants de la société civile : dans leur diversité ils nous rappellent que notre démarche se doit d’être réceptive et inclusive.

La solidarité envers ceux des pays qui ont été victimes de pratiques racistes de gouvernement demande à être affirmée comme telle. Cette solidarité est universelle, elle est indépendante des relations bilatérales mais se justifie comme un des éléments du combat contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et les autres formes d’intolérance.

Que nous puissions aujourd’hui concevoir qu’un pays ait le droit de mobiliser la solidarité internationale pour s’approprier son passé, restituer la mémoire mutilée des victimes, travailler son identité - au même titre qu’il le fait dans le cadre de la lutte contre la pauvreté - me semble participer de l’état d’esprit qui a porté la communauté internationale à poser le développement comme un droit humain.

Même si cette tendance à mettre en œuvre les droits de l’homme dans toute leur extension demande à être gérée avec prudence, elle est dès aujourd’hui à l’origine d’une attention plus grande à la façon dont la dimension des droits de l’homme s’insère dans tous les domaines de l’activité humaine.

Nous y sommes sollicités en tant que responsables politiques.

Durban doit être le début d’un processus qui permettra au monde d’investir dans le présent et dans le futur sans retomber dans les fautes du passé.

Je vous remercie.

                                    

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