Erna Hennicot-Schoepges au 50e anniversaire de la Fédération européenne des Associations d'Ingénieurs

Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,

Je suis très honorée de pouvoir m’adresser à votre illustre assemblée, réunie ici aujourd’hui à l’occasion du 50ième anniversaire de FEANI. Merci de m’avoir réservé ce privilège.

Nous sommes tous d’accord pour dire que ce sont les ingénieurs qui, par leur métier, ont largement contribué au développement économique du Luxembourg et de l’Europe tout entière. Le XXième siècle a été le siècle des grandes usines sidérurgiques et d’une industrie sidérurgique florissante. La richesse qui est celle du Luxembourg d’aujourd’hui n’aurait été possible sans les connaissances, les compétences, le savoir-faire et l’engagement des ingénieurs qui ont su faire tourner les usines et chauffer les hauts-fourneaux pendant les périodes fastes, mais aussi à des moments où la situation économique n’était plus aussi favorable.

Mais réduire le métier d’ingénieur aux seuls aspects techniques, primordiaux il est vrai, serait lui faire injure. Dans le domaine du génie civil, par exemple, les ingénieurs contribuent à l’aspect et à l’ambiance d’une ville en créant des infrastructures qui combinent fonctionnalité et symbolique. Prenez l’exemple des ponts. Les différentes parties de notre capitale sont reliées par des ponts qui datent de périodes différentes. Les deux ponts les plus connus, le Pont Adolphe et le Pont Grande-Duchesse Charlotte combinent fonctionnalité et symbolique et reflètent ainsi l’esprit de leur époque. Aux moments respectifs de leur construction, ces deux ouvrages témoignèrent des prouesses techniques et les ingénieurs de l’époque réalisèrent ce qui aux yeux de la population était alors une tâche impossible.

Mais ces deux ponts sont aussi porteurs d’une symbolique autre. Les deux ponts témoignent aussi des attentes et des espoirs de la population luxembourgeoise à deux moments différents de son histoire. Les deux ponts reflètent l’esprit de leur époque. Le Pont Adolphe est l’emblème de la ville de Luxembourg. En achevant la construction du Pont Adolphe, qui relie le centre de la ville au quartier de la gare et qui donne donc accès direct aux chemins de fer, les Luxembourgeois tournèrent le dos à une époque révolue et s’engagèrent sur la voie des développements technologiques du XXième siècle. Le pont Grande-Duchesse Charlotte qui relie le centre de la ville de Luxembourg au quartier européen, où nous nous trouvons en ce moment, témoigne de notre volonté, non seulement d’accueillir des institutions européennes, mais aussi d’inclure une dimension européenne dans notre identité nationale. Vous conviendrez donc que ces deux ouvrages sont bien plus que de simples voies d’accès ou de transit ! Et c’est ainsi que les travaux des ingénieurs acquièrent une dimension culturelle.

Puisque le développement économique du Luxembourg a toujours été très tributaire du métier d’ingénieur, la formation au métier d’ingénieur a toujours occupé une place à part. Traditionnellement, les étudiants luxembourgeois doivent effectuer une partie de leurs études supérieures dans des universités étrangères, et les futurs ingénieurs ne font pas exception à cette règle. C’est ainsi que les ingénieurs luxembourgeois font leurs études dans les plus grandes universités européennes et il est souvent souligné que la diversité des parcours académiques de ces ingénieurs est un facteur de compétitivité pour les entreprises qui les emploient et pour le pays tout en entier. Je ne peux qu’approuver cette façon de voir. Le fait que les étudiants luxembourgeois soient obligés de passer quelques années e formation à l’étranger leur donne une compétence interculturelle dont ne peuvent se prévaloir que très peu d’autres étudiants. La mobilité des étudiants est tellement ancrée dans notre tradition qu’elle fait pratiquement partie de notre identité nationale.

Haut de page

Mais, en dépit de cette mobilité à laquelle nous tenons tant, nous offrons une formation complète au Luxembourg, à l’Institut Supérieur de Technologie. L’IST est l’équivalent d'une Fachhochschule en Allemagne. Au cours des dernières décennies, l’IST s’est énormément développé. Issu d’une École Technique destinée à former les futurs techniciens, donc école à vocation professionnelle, l’IST s’est peu à peu métamorphosé en institution d’enseignement supérieur qui, bien que fortement enraciné dans le contexte économique luxembourgeois, a noué des contacts avec des universités voisines. C’est ainsi que l’IST a signé un accord de coopération avec l’ENIM de Metz, accord qui prévoit la possibilité pour les étudiants de poursuivre une 5ième année de formation à Metz.

Néanmoins, malgré le tableau très optimiste que je viens de brosser, la formation des ingénieurs nous préoccupe aussi quelque peu. Ainsi, nous avons du constater que de moins en moins d’étudiants se destinent au métier d’ingénieur. Cette tendance est préoccupante dans le sens qu’elle semble suggérer que notre société est saturée de technologie et qu’elle cherche refuge dans sciences "plus molles" telle la psychologie par exemple. D’autre part, n’oublions pas que l’économie luxembourgeoise est avant tertiaire et que nous avons quelque peu tendance à oublier l’importance des activités industrielles. Mais nous avons besoin d’une structure économique en équilibre, d’une structure économique qui connaissant un développement durable des secteurs industriels et technologiques. En d’autres mots ; nous souhaiterions que le métier d’ingénieur continue à contribuer à la richesse économique de notre pays.

Ce sont ces raisons, entre autres, aussi qui sont à la base de notre projet de création de l’Université de Luxembourg. Pour nous, le terme Université n’implique pas l’idée d’une institution offrant un vaste éventail de formations dans de nombreux domaines. Ceci n’est ni le lieu ni le moment pour entrer dans les détails de ce projet, mais permettez-moi de m’arrêter brièvement aux principes fondateurs de l’Université de Luxembourg.

L’Université de Luxembourg aura les caractéristiques suivantes :

  • Elle sera une université de recherche et mettra l’accent sur l’unicité recherche-enseignement

  • Elle aura une dimension internationale

  • Elle sera basée sur le principe de la mobilité des étudiants

  • Elle sera multilingue

  • Elle offrira différents types de formations, celles à caractère académique, fondamental et celles à caractère professionnalisant

Haut de page

Nous sommes persuadés que cette nouvelle structure sera un élément clé pour préparer notre pays aux défis de ce siècle. Une société de la connaissance a besoin d’une production de connaissance et qui d’autre que l’université est créatrice, détenteur et vecteur de connaissance. L’Université a donc à jouer un rôle primordial dans une économie basée sur la connaissance. Elle est le catalyseur du changement.

Il y deux requis pour une entreprise qui travaillent dans le domaine de la connaissance :

  • le recrutement et la capacité de fidéliser une main d’œuvre efficace et productive

  • des produits, des technologies et des services compétitifs.

Les opportunités qui s’ouvrent aux universités sont grandes : à travers leur mission principale, qui est l’unicité de la recherche et de l’enseignement, elles peuvent livrer aux entreprises les éléments de base pour les rendre aptes à affronter la société de l’information.

L’université que nous nous proposons de créer répondra à ces objectifs : elle devra se spécialiser, se fixer des objectifs clairs, précis pour atteindre l’excellence dans des domaines bien ciblés.

L’université que nous nous proposons de créer ne sera pas la tour d’ivoire ; elle sera ancrée dans le tissu économique et social. Mais son succès dépendra aussi de la volonté de l’industrie et des secteurs concernés de contribuer à son développement. Je ne plaide pas pour un désengagement de l’Etat, mais je plaide pour une responsabilité partagée.

Le fait d’inclure dans notre proposition une faculté de technologie témoigne de notre conviction que le secteur industriel continuera à jouer un rôle important dans l’économie du pays et que la profession d’ingénieur est une profession d’avenir.

Mais cette profession aura à relever certains défis. J’ai brièvement mentionné la dimension culturelle dans le travail de l’ingénieur. J’ai pris comme exemple les ponts qui relient certaines partie de la ville de Luxembourg. Cette dimension culturelle s’est fait plus cruellement sentir dans l’attaque terroriste sur les tours du World Trade Center. Les pertes en vies humaines ont été affreuses, et nous avons toujours du mal à contrôler nos émotions. Mais ce ne sont pas seulement le bilan tragique et la douleur humaine qui peuvent expliquer notre désarroi. L’attaque a également été dirigée contre nos valeurs, celles qui sont partagées par les sociétés ouvertes qui rejettent toute forme d’obscurantisme. L’effondrement des tours a causé une onde de choc qui a également menacé nos valeurs. L’immeuble était plus qu’un immeuble. Il était le symbole d’une société ouverte. En ce sens le matériel et l’immatériel étaient en symbiose. Le travail de l’ingénieur à l’avenir sera de veiller à ce que de telles symbioses se reproduisent. L’ingénieur sera à la fois technicien et humaniste – le fait d’ancrer la formation de ce nouveau type d’ingénieur dans une université permet de donner à cette formation des perspectives multiples.

FEANI est un interlocuteur indispensable dans le développement de la formation d’ingénieurs. Votre association, monsieur le président, a établi et publié des critères pour pouvoir définir la profession d’ingénieur, elle a joué un rôle des plus importants dans la définition de curricula en termes de contenus et de durées d’études. Vos procédures d’accréditation sont les éléments phares dans le secteur et il n’est donc pas surprenant que vous soyez appelés à intervenir de façon active dans le processus de Bologne.

Ainsi, en guise de conclusion, Monsieur le Président, mesdames et messieurs, recevez mes félicitations pour le travail accompli et partagez avec moi la certitude que dorénavant votre mission tant importante vous mettra sur la route du prochain cinquantenaire, donc du centenaire de votre association. Donc félicitations pour le travail accompli et bonne chance pour votre avenir

Dernière mise à jour