Charles Goerens à la 4e Conférence ministérielle de l´Organisation mondiale du Commerce, Doha, le 10 novembre 2001

Monsieur le Président,
Monsieur le Directeur général,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi à mon tour de vous féliciter, Monsieur le Président, de votre élection ; permettez-moi également de remercier par votre intermédiaire le gouvernement du Quatar et les gens de Doha de l’accueil qu’ils nous réservent.

Quand votre pays a pour la première fois posé sa candidature pour offrir l’hospitalité à cette quatrième conférence ministérielle de l’OMC, nous étions loin de deviner la charge émotionnelle qui allait progressivement peser sur la conduite des travaux de cette organisation. Vous avez maintenu votre engagement et vous l’honorez aujourd’hui alors que les événements du 11 septembre confrontent la communauté internationale à la menace terroriste. Doha en ce sens constitue un effort de retour à la normale, un effort que les 142 Etats membres consentent en connaissance de cause, et qui démontre au besoin l’importance qu’ils attachent à l’OMC.

Aujourd’hui nous saluons la Chine et Taipei chinois qui rejoignent l’OMC, et d’autres les suivront, confirmant ainsi la vitalité du système commercial multilatéral basé sur des règles et la pertinence de ce système pour un nombre croissant de femmes et d’hommes à travers le monde.

Faut-il  en conclure à une obligation de résultat ? La conjoncture économique et les menaces de récession font apparaître le lancement d’un nouveau round comme une garantie contre les dérives protectionnistes et l’accroissement des inégalités. Il nous importe de préserver la perspective  de nouvelles opportunités de marché à l’intérieur d’un cadre réglementaire clairement défini. Aux prises avec des acteurs divers, et - n’hésitons pas à le dire - inégaux, la libéralisation des échanges, pour être équitable dans ses retombées, demande  un processus de négociation minutieux et une mise en œuvre solidaire.

Nous abordons Doha avec un agenda plus lisible que celui auquel nous étions arrivés il y a deux ans. Ce progrès, pour modeste qu’il soit, ne provient pas vraiment d’un sursaut de dernière minute, il représente plutôt le travail d’écoute et de synthèse de ceux qui comme Stuart Harbinson ont essayé de rétablir la confiance dans la capacité du système commercial multilatéral à agir dans l’intérêt de l’ensemble des acteurs en présence.

Si nous nous trouvons aujourd’hui devant un document de base raisonnablement décevant, c’est que ce document reste perfectible. Mais à ce stade il faut l’autorité et l’engagement des responsables politiques que nous sommes pour accepter les contraintes de l’exercice en présence, à savoir un équilibre satisfaisant entre libéralisation et régulation, et le prix de cet équilibre, à savoir des concessions réciproques.

Pour mon pays qui fait partie de l’Union européenne et donc de cette partie du monde qui a peut-être affiché le plus d’ambitions, le chemin de Seattle à Doha aura comporté une série de remises en question. Devant l’ampleur du mouvement contestataire et malheureusement devant les excès de violence de sa frange extrémiste, la joie de disposer enfin d’une organisation avec des dents - comme on dit vulgairement - a cédé le pas à une réflexion sur le fonctionnement interne de l’organisation et l’utilisation que nous en faisons.

Aujourd’hui l’Union européenne ne se présente pas avec une position de négociation revue à la baisse – l’essentiel de nos revendications demeure inchangé – notre objectif n’est pas d’imposer des solutions toutes faites mais d’explorer ensemble des directions nouvelles et de répondre à un besoin de clarification.

Si mon pays avec l’Union européenne maintient aujourd’hui  sa revendication de voir abordées à l’OMC la question du lien entre commerce et environnement, et celle du lien entre commerce et développement social et si nous maintenons la revendication de voir dans l’agriculture les éléments d’un service d’intérêt général qui dépassent la seule dimension de la production, ce n’est pas par manque de sensibilité aux réactions que ces sujets ont pu provoquer en-dehors de l’Union, mais c’est pour répondre à une inquiétude certaine qui se fait jour au sein de nos opinions publiques.

Quand on reproche aujourd’hui à l’Europe de vouloir entraver le commerce international par des considérations sociales ou environnementales, on perd de vue - me semble-t-il - que le consommateur européen, pour avoir longtemps servi de débouché au commerce colonial, refuse aujourd’hui d’aborder la globalisation dans les mêmes conditions d’ignorance et de compromission - et c’est aussi le cas pour l’investisseur.

Le droit à l’information demande à être pris en compte dans l’organisation des échanges : l’incertitude, comme nous le confirme l’actualité, est un facteur d’insécurité et de déstabilisation. Le principe de précaution doit pouvoir s’appliquer avec inversion de la charge de la preuve, la sécurité alimentaire et la confiance du consommateur en dépendent.

Dans le secteur agricole la réforme en cours est essentielle à beaucoup d’entre nous, elle doit être poursuivie par le biais d’une libéralisation progressive qui tienne dûment compte des aspects non-commerciaux de l’agriculture, en particulier de son caractère multifonctionnel.

L’élimination des subventions agricoles qui prend parfois l’allure d’un must libre-échangiste permet peut-être de prédire la disparition à terme des exploitations petites et moyennes en Europe ou ailleurs, mais cette mesure radicale n’engendre pas forcément les retombées attendues dans la lutte contre la pauvreté. Nous pouvons continuer à déplacer les problèmes, mais plus pour longtemps.

L’OMC est parvenue à un point de rupture : les difficultés que les PVD rencontrent dans la mise en œuvre des accords de Marrakech indiquent des déséquilibres qui ne peuvent plus être résorbés par des mesures de rattrapage uniquement. S’il est vrai que certains problèmes plus techniques peuvent être évacués rapidement, d’autres -précisément en raison de leur caractère structurel- demandent à être traités dans le cadre plus large d’une négociation globale. La prise en compte des problèmes spécifiques des pays en voie de développement doit précisément être la préoccupation constante qui fera de ce cycle un cycle du développement.

Dans le domaine de la propriété intellectuelle, les  situations d’urgence qui se posent en termes de santé publique confrontent tant les pays pauvres que les pays  riches à l’interprétation de l’accord ADPIC. Nonobstant les divergences d’approche sur cette question nous avons une obligation de résultat. La flexibilité indispensable doit être assurée pour permettre l’accès aux médicaments notamment à ceux des pays en voie de développement qui n’ont pas les facilités de production.

Ces sujets s’imposent d’eux-mêmes à notre agenda, ils ont des enjeux commerciaux mais pas uniquement. C’est pour cette raison que les réponses aux problèmes qu’ils posent doivent être trouvées par le biais d’une négociation commerciale au sein d’une organisation multilatérale qui porte avec les autres institutions internationales la responsabilité du développement durable.

En proposant un agenda aussi inclusif que possible l’Union européenne n’agit pas autrement.

Je vous remercie.

Dernière mise à jour