Henri Grethen à l'occasion du Colloque "Logiciels et Propriété intellectuelle: droits d'auteur, marques, iDEPOT, brevets"

Mondorf-les-Bains, le 3 décembre 2001

Mesdames, Messieurs,

Les enjeux de la propriété intellectuelle dans la société de l'information, tel est le sujet, vaste, je vous l'avoue, qui sera discuté cet après-midi lors de ce colloque.

Par propriété intellectuelle, on entend les droits sur les créations de l'esprit, que ce soient les inventions, les œuvres littéraires et artistiques, mais aussi les symboles, les noms, les images et les dessins et modèles dont il est fait usage dans le commerce.

Les experts distinguent généralement deux aspects :

  • la propriété industrielle, d’une part, qui comprend les inventions, les brevets, les marques, les dessins et modèles industriels et les indications géographiques, et,

  • le droit d'auteur, d’autre part, qui comprend les œuvres littéraires et artistiques, les œuvres musicales, les œuvres d'art ainsi que les créations architecturales.

Il est important de préciser ici que les programmes d'ordinateur sont protégés en tant qu'œuvres littéraires et donc couvertes par le droit d’auteur au sens de la Convention de Berne.

Vaste sujet, disais-je en guise de préambule, et c'est pourquoi l'accent sera mis cet après-midi sur les logiciels et la propriété intellectuelle, et il me revient donc l'honneur de vous faire part de quelques réflexions sur la propriété intellectuelle comme arme stratégique, comme moyen de profiter des investissements en Recherche et Développement.

Mesdames, Messieurs,

Le droit d'auteur a connu cette année au Luxembourg un aboutissement législatif important avec l'entrée en vigueur de la loi du 18 avril 2001, texte qui remplace les anciennes dispositions législatives qui dataient de plus de 25 ans et qui ne correspondaient plus aux évolutions du concept du droit d'auteur dans la société de l'information.

La nouvelle loi définit en effet de façon explicite la protection conférée par le droit d'auteur pour ce qui concerne, entre autres, les programmes d'ordinateur bien entendu, mais également les sites Internet ainsi que les bases de données.

Une innovation intéressante de la nouvelle loi est la création d’un Registre des droits d'auteur, des droits voisins et des bases de données qui permettra aux entreprises d’inscrire une œuvre afin de pouvoir en revendiquer la paternité.

Une étude diligentée auprès d’un grand expert du droit d’auteur devra permettre d’explorer le site luxembourgeois comme havre d’attache pour des sociétés de valorisation des droits intellectuels au niveau international. Nous verrons bien sous quelles conditions une niche pourra être créée pour le Luxembourg.

Pour réaliser ces projets et préparer des nouvelles réformes dans le cadre des directives communautaires, un commissaire aux droits d’auteurs rejoindra le ministère de l’Economie dans les prochains jours.

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Mesdames, Messieurs,

Depuis leur création, l'activité des Bureaux Benelux n'a cessé de croître en raison de l'importance grandissante prise par les marques qui constituent, à n'en pas douter, un instrument fondamental de protection de l'innovation et de la création. Les marques représentent également un moyen d'authentification des produits et des services et sont par là des vecteurs de communication cruciaux pour les entreprises, à condition, et j'insiste sur ce point, à condition que les entreprises en aient conscience.

Il y a quelques jours à peine, le Bureau Benelux a remis solennellement un projet de Convention au Conseil interparlementaire Benelux, convention qui, une fois adoptée,  modernisera profondément l’enregistrement et la validité des marques dans les trois pays.

Une étude effectuée récemment par l'ILRèS auprès d'un échantillon d'entreprises du Benelux a en effet mis en évidence que l'importance du dépôt était insuffisamment prise en compte par les entreprises, celles-ci, dans leur grande majorité, ayant répondu que le dépôt de la marque était peu important, 38% des entreprises interrogées qualifiant même l'enregistrement de la marque comme n'étant "pas important du tout". 

Autre constat inquiétant: en cas de dépôt d'une marque ou d'un modèle, 61% des entreprises interrogées ne sauraient pas à qui s'adresser. Seulement 4% des entreprises luxembourgeoises ont connaissance du Bureau Benelux des Marques.

C'est pourquoi les campagnes de sensibilisation et d'information organisées régulièrement depuis quelques années déjà par les services compétents du Ministère de l'Economie devront être intensifiées et ciblées en priorité vers les PME/PMI, sans pour autant négliger les professions qui servent de relais et de conseil aux entreprises, à savoir les mandataires en propriété intellectuelle et les études d'avocats principalement, mais aussi les chambres professionnelles, les agences de publicité et de communication pour ne citer que ces quelques exemples.   

Dans ce contexte, je peux d'ores et déjà vous annoncer qu'il sera prochainement possible de déposer sa marque en ligne et que le registre des marques Benelux sera consultable via Internet. J’aurai le plaisir et l’honneur de vous convier à une démonstration de ces nouvelles facilités d’accès au cours de l’année prochaine.

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Mesdames, Messieurs,

Il existe un autre instrument de protection du logiciel qui n’est pas encore suffisamment connu.

Je veux parler de l'enveloppe iDEPOT. C’est un nouveau service offert par le Bureau Benelux des Dessins ou Modèles depuis le 1er janvier 1999. Ce moyen de preuve est notamment connu et largement utilisé en France depuis de nombreuses années sous le nom d'enveloppe Soleau, du nom de son inventeur.

J'en arrive enfin à la brevetabilité des logiciels qui, comme vous le savez très certainement, Mesdames, Messieurs, constitue un sujet très controversé à l'heure actuelle.

Certains considèrent en effet que les brevets dans ce domaine stimuleront l’innovation en encourageant les investissements nécessaires pour développer des logiciels. Les coûts fixes élevés et les coûts de reproduction dérisoires menacent l’industrie du logiciel.

D’autres estiment au contraire que ces brevets risquent d’asphyxier la concurrence et de freiner ainsi la diversité de l’innovation. Les deux arguments ont beaucoup d’adeptes. Le cas Microsoft illustre à merveille le dilemme auquel sont confrontés les décideurs politiques. 

Un élément rallie cependant les deux parties en présence: la situation juridique actuelle n’est guère satisfaisante du fait de son manque de clarté, de son incertitude  juridique et du fait de divergences dans l'application des législations nationales.

Ceci a pour conséquences de désavantager les entreprises européennes par rapport à leurs concurrents américains, les Etats-Unis ayant en effet progressivement délivré de nombreux "brevets logiciels" dont certains portent sur des fonctionnalités élémentaires, sans activité inventive probante, sans réelle innovation.

En Europe, la jurisprudence de l'Office européen des brevets a favorisé la délivrance de "brevets logiciels" et il importe donc de trancher clairement la question.

Le système du brevet a ceci de particulier qu'il impose aux inventeurs de révéler le contenu de leurs inventions tout en leur garantissant un droit exclusif. En contrepartie de la protection conférée, le demandeur du brevet doit divulguer intégralement son innovation en permettant ainsi la diffusion des connaissances et le transfert de technologie.    

Le brevet sur les logiciels peut-il aussi remplir cette double fonction ?  Là est toute la question.

Les partisans de la brevetabilité soutiennent que tel est le cas, à condition que la publication obligatoire qui accompagne le brevet soit suffisamment explicite et dépourvue d'ambiguïté, ce qui, lorsque les logiciels sont particulièrement complexes, peut être difficile à mettre en application. En outre, et contrairement aux autres domaines de la technique, l'état de l'art en matière de logiciel n'est pas actuellement contenu dans les bases de données brevets et, par voie de conséquence, les offices de brevets ne disposent pas encore de bases de données leur permettant de faire des recherches d'antériorité efficaces à un coût raisonnable.

Il convient cependant de garder à l'esprit les principes qui ont fait le succès des brevets dans les domaines les plus complexes, et notamment que soient bien mis en évidence la nouveauté, l'activité inventive, l'effet technique et enfin la publication claire.

Voilà autant de sujets que nous serons amenés à clarifier prochainement, la Commission européenne ayant récemment réitéré son intention de publier une proposition de directive à ce sujet. Le colloque d'aujourd'hui intervient donc à point nommé pour relancer, si besoin est, le débat sur la scène nationale et européenne.

Le Conseil National de la Propriété Intellectuelle sera d'ailleurs convoqué tout prochainement pour débattre de la question.

Revenons-en maintenant, si vous le permettez, au point de départ du colloque de cet après-midi que je résumerais en une seule question :  

Quelle doit être la stratégie en matière de propriété intellectuelle au sein de l'entreprise ?

J’ai insisté pour que les dirigeants d’entreprise et leurs représentants soient étroitement associés à cet événement en nous faisant part de leurs expériences, de leurs interrogations, voire, qui sait, de leur perplexité ou de leurs craintes.

Mesdames, Messieurs,

Ce colloque doit être informateur, formateur mais aussi critique.

Je vous remercie pour votre attention et vous souhaite par avance un débat enrichissant et constructif.

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