Xavier Bettel au sujet du discours sur l'état de la nation

"Je veux responsabiliser les gens, pas diviser le pays en deux"

Geneviève Montaigu / Le Quotidien: On attendait beaucoup de cette déclaration sur l'état de la Nation, mais beaucoup y ont vu une répétition du programme de la coalition et finalement peu d'avancées concrètes. Pourquoi?

Xavier Bettel: Ce n’était pas une déclaration de budget, mais nous avons tout de même donné du contenu. Par exemple, nous avons dit que Madame Cahen était en train de travailler sur le dossier des allocations et, dans les prochaines semaines, nous aurons les chiffres concrets. On nous demande en trois mois de réaliser le programme de 5 ans. Je suis content de l'intervention de Jean-Claude Juncker qui a dit lui-même qu'en trois mois ce n'était pas possible de tout faire. Cela ne sert à rien de tout précipiter et je tiens à signaler que la dernière mesure d'économie que le CSV ait proposée concernait les bourses d'études et tout le monde sait aujourd'hui que l'on est passé de 55 millions - à 178 millions d'euros de dépenses. A quoi sert-il de vouloir foncer sans prendre le temps d'étudier les répercussions qu'une mesure peut entraîner. Je préfère prendre du temps avant de proposer des mesures concrètes. On a annoncé des économies de 250 millions et ce n'est pas rien. Il faut compenser la perte de la TVA sur le commerce électronique.

Geneviève Montaigu: Jean-Claude Juncker vous a répondu qu'il ne pouvait guère mettre de l'argent de côté sans creuser la dette...

Xavier Bettel: Il a dit que s'il avait mis de l'argent de côté, il aurait dû faire une dette, c'est vrai! Mais il aurait dû se demander comment économiser, comment éviter certaines mesures coûteuses, c'est précisément ce que le nouveau gouvernement lui reproche. Mais avant, la politique était faite selon le prochain sondage, selon les prochaines élections. Si vouloir faire chuter le chômage, faire baisser la dette publique doit passer par une perte de 4 points dans les prochains sondages, tant pis. Mais il faut prendre ses responsabilités.

Geneviève Montaigu: La France veut mener une fronde contre l'orthodoxie budgétaire en Europe. Qu'en pensez-vous?

Xavier Bettel: Bruxelles ne fixe pas des règles pour se faire plaisir. Bruxelles dit que l'on doit faire attention, parce que la dette publique reste une dette et que les générations futures devront la rembourser. Je pense que l'on ne doit plus penser à hier et aujourd'hui, on doit surtout penser à demain.

Geneviève Montaigu: Pour en revenir à votre déclaration sur l'état de la Nation, vous sembliez expliquer que les ministres de la nouvelle coalition ont dû d'abord procéder à un état des lieux des différentes administrations. Avez-vous eu de grosses surprises en ouvrant les tiroirs?

Xavier Bettel: Oui, nous avons eu des surprises. Par exemple, la loi dite omnibus relative à la simplification administrative était à peine entamée, les plans sectoriels qui étaient soi-disant terminés doivent être entièrement revus. Je l'ai dit à la tribune de la Chambre, le plan sectoriel logement a dû être corrigé, car sinon, nous allions perdre plus de mille hectares de terrains constructibles, c'est énorme. Nous n'avons pas seulement trouvé des dossiers dans les tiroirs mais aussi des gens que l'on avait oubliés. Il était important de discuter avec l'ensemble des fonctionnaires de toutes les pistes possibles. Je suis également très content du dialogue que j'ai entamé avec les partenaires sociaux et qui n'existait plus depuis ces dernières années au Luxembourg.

Geneviève Montaigu: Vous avez répété être très attaché au dialogue et vous l'avez redit à plusieurs reprises à la tribune de la Chambre. Par exemple concernant le référendum, dont vous voulez discuter au préalable avec les députés, ou la question de la séparation de l'Église et de l'État qui passera par une discussion avec les parties concernées. En sera-t-il de même pour la réforme de la politique familiale?

Xavier Bettel: Il est certain qu'il faut prôner le dialogue, mais là où on ne trouve pas de réponse, on sera obligé de prendre des décisions. Le gouvernement trouvera à chaque fois des gens qui s'opposeront à telle ou telle mesure. Si le dialogue ne peut pas fonctionner, le gouvernement prendra ses responsabilités. On ne peut pas, ces cinq prochaines années, ne pas prendre de décisions parce que l'un ou l'autre est contre. Corinne Cahen a vu les partenaires sociaux et elle les reverra avec des propositions concrètes.

Geneviève Montaigu: Ce sont précisément ces propositions concrètes qui étaient attendues...

Xavier Bettel: Elles sont toujours à l’étude (sourire et silence).

Geneviève Montaigu: Concernant la politique du logement et le plan sectoriel qui vous a réservé des surprises, on a du mal à penser que l'ancien gouvernement, pourtant mis sous pression concernant le problème du logement, ait pu faire l’économie de mille hectares de terrains constructibles. Expliquez-nous.

Xavier Bettel: Nous avons eu comme information que si le plan sectoriel logement était adopté en l'état, on allait retirer mille hectares. Quand on parle de l'évolution du prix et que l'on retire mille hectares au Grand-Duché de Luxembourg, on risque de beaucoup perdre. Concernant ces plans sectoriels, le gouvernement va se retirer ce week-end (samedi et hier) pour les étudier.

Geneviève Montaigu: Votre décision de ne plus appliquer le taux super-réduit de 3% sur les logements locatifs mais celui de 17% à compter du 1er janvier 2015 fait craindre le pire, selon les critiques de l’oppsition et de la Fédération des artisans, qui prédisent une recrudescence du travail au noir et une hausse des loyers...

Xavier Bettel: Le travail au noir n'est pas influencé par la TVA. Il doit être combattu par le contrôle. Et le dumping social doit être également combattu, raison pour laquelle Nicolas Schmit a pris des initiatives au niveaux national et européen en la matière. Quant aux loyers, c'est le principe de l'offre et de la demande qui les fixe. Si le gouvernement fait ce qu'il veut faire en proposant plus de possibilités de construire, cela permettra d'avoir plus d'offres. La TVA n'a rien à voir là-dedans.

Geneviève Montaigu: Vous dites vouloir discuter du référendum avec les députés, mais avez-vous déjà quelques pistes?

Xavier Bettel: Dans l'accord de coalition, nous avons déjà cité certaines pistes. S'il y a un accord au niveau politique en commission des Institutions et en commission de la Constitution, si elles disent qu'il y a une majorité acquise pour changer ce point ou un autre au niveau de la Constitution, il faudra voir. Je souhaite faire un référendum dans lequel on pose une question claire aux gens, avec lequel on les responsabilise et je n'ai pas envie de diviser le pays en deux.

Geneviève Montaigu: Pourquoi ne pas avoir abordé la question du droit de vote des étrangers dans votre déclaration?

Xavier Bettel: Je n'ai pas non plus parlé de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, ni du cumul des mandats. Ce sont des points qui doivent être discutés au sein de la commission. Nous avons des pistes qui ne sont pas exclusives. Encore une fois, si on ne trouve pas d'accord politique, on demandera aux gens ce qu'ils en pensent.

Geneviève Montaigu: La modulation de I’index telle que vous l'avez abordée a suscité bien des interrogations et personne n'a vraiment compris où vous vouliez en venir...

Xavier Bettel: Mais si, j'ai été très clair. Actuellement, il y a deux possibilités. Il est écrit dans l'accord de coalition que l'on va continuer le système qui prévaut actuellement, c'est-à-dire une tranche indiciaire par an. Nous voyons que l’inflation ne nous incite pas au versement de deux tranches par an et on se demande s'il est opportun de légiférer quand la situation économique du pays nous dit que l'on a besoin de légiférer. Le gouvernement est d'avis que si l'inflation augmente très fortement et que l'économie n'est pas assez forte pour supporter une deuxième tranche d'index, alors il faudra légiférer. Actuellement, il n'en est nul besoin.

Geneviève Montaigu: L'Union des entreprises luxembourgeoises (UEL) affirme que la compétitivité ne sera pas aidée par la réforme du dialogue social ni par la hausse brutale des cotisations de la Mutualité des employeurs. Que lui répondez-vous?

Xavier Bettel: Le dialogue social est important! Le texte est en discussion et le dialogue social que nous voulons relancer débute dans les entreprises. Concernant la hausse des cotisations des employeurs, il faut savoir que nous avons un trou et on doit en discuter. Mais on verra. Je riens juste à préciser qu'en tant que Premier ministre, je ne suis ni le porte-parole de l'UEL ni celui des syndicats. Je suis là pour trouver un équilibre, conserver la paix sociale, reconstruire le dialogue social et assurer des perspectives et une stabilité à ce pays.

Geneviève Montaigu: Vous avez voulu déposer le projet de loi sur la réforme du Service de renseignement de l'État le jour de votre première déclaration sur l'état de la Nation. Pourquoi était-ce si important pour vous?

Xavier Bettel: On a vu que le travail et le fonctionnement du SREL ont nui à toutes les institutions et la confiance des citoyens en a été bien ébranlée. J'étais content de pouvoir dire, par ce dépôt, que l'on commençait par redonner confiance aux gens vis-à-vis des institutions. Ce texte propose un contrôle interne et je disposerai d'un fonctionnaire du ministère d’État qui assistera aux réunions du SREL et aux réunions de la commission de Contrôle parlementaire. Moi-même, je reçois le SREL en compagnie du ministre de la Justice et du ministre de la Sécurité intérieure et on se voit pour chaque réunion.

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