Interview de Xavier Bettel avec le Quotidien

"L'intégration est permanente dans notre pays où la diversité fait notre richesse"

Interview: Le Quotidien (Geneviève Montaigu)

Le Quotidien: Le CSV, principal parti de l'opposition, vous reproche de ne pas vous emparer de certains sujets qui font le lit des partis d'extrême droite, leur laissant ainsi un boulevard à chaque élection en Europe. Avez vous des tabous?

Xavier Bettel: On doit pouvoir parler de tout, mais la manière d'en parler est importante. Le CSV nous a livré un discours qui évoque des peurs en relation avec une communauté dont quelques éléments peuvent effectivement représenter une menace. Claude Wiseler a parlé des peurs des gens, sans s'arrêter sur le logement ou sur l'emploi qui font partie des problèmes réels. Ce qui m'a gêné, c'est de l'entendre dire que les gens avaient peur de la façon dont l'islam allait se développer. Mais les gens ont des craintes par rapport à l'islamisme, c'est-à-dire une société qui fonctionne selon les règles religieuses de la charia. Ils ont mis de l'huile sur le feu en parlant des réfugiés ignorant tous les efforts menés par l'OLAI, des cours d'intégration qui sont organisés, de tous ces bénévoles qui travaillent au quotidien au niveau de l'éducation, de l'apprentissage des langues, etc. Et quand on parle de l'islam, on nomme la religion des musulmans. Le CSV a un peu tout mélangé, créant un flou regrettable, en s'en prenant à une communauté sans définir clairement l'ennemi. Et la seule motion que les chrétiens -sociaux déposent après deux jours de débat concerne l'interdiction de la burqa. Conclusion logique.

Le Quotidien: Donc, ces peurs dont parlait Claude Wiseler n'existent pas, selon vous?

Xavier Bettel: Il ne faut pas nier que les gens se posent des questions. Il y a une différence entre une peur et une interrogation et le fait de ne pas obtenir de réponse. Quand je parlais des réfugiés tout à l'heure, j'expliquais ce qui est fait en matière d'intégration et ça rassure les gens de savoir que l'on ne laisse pas une société parallèle s'installer dans ce pays. Il ne faut pas oublier que les réfugiés que nous accueillons ont fui le terrorisme. Un terroriste qui est parti de Syrie en tant que terroriste n'a jamais été un réfugié.

Le Quotidien: Que répondez-vous alors à Claude Wiseler qui parle des peurs des gens quant au développement de l'islam?

Xavier Bettel: C'est simple, concernant l'islam, nous avons signé une convention avec la shoura, donc le culte musulman au Luxembourg, pour que l'on puisse travailler ensemble et c'est ce que nous faisons. Les amalgames de M. Wiseler blessent avant tout les musulmans qui vivent chez nous. Ce d'autant plus que le culte musulman, selon la convention, s'exerce librement et publiquement dans le cadre des droits et libertés constitutionnels, et dans le respect de l'ordre public. Arrêtons de stigmatiser toute une communauté qui n'aspire qu'à vivre en paix chez nous.

Le Quotidien: Vous avez fait une douzaine de réunions dans les communes qui accueillent des réfugiés, vos propos ont-ils répondu à leurs attentes?

Xavier Bettel: Ces échanges ont en tout cas permis d'abattre des stéréotypes au lieu d'en créer de nouveaux. Nous allons vers les gens avec des réponses à leurs interrogations, c'est ce qui compte. Le vivre ensemble fonctionne bien et de nombreuses associations y contribuent aussi quottdiennement. L'intégration ne concerne pas seulement cette seule communauté que le CSV a ciblée avec insistance, l'intégration est permanente dans notre pays où la diversité fait notre richesse.

Le Quotidien: Cette richesse est-elle aussi l'identité du pays?

Xavier Bettel: Non, c'est notre richesse, pas notre identité. Chacun a son identité, son ADN, son histoire. Ce qui est important, c'est que ces identités ne vivent pas les unes à côté des autres, mais les unes avec les autres. L'identité luxembourgeoise, c'est son histoire, ses traditions qu'il faut respecter et c'est aussi son ouverture à l'identité de l'autre qui lui a permis de créer cette richesse dans la diversité que j'évoquais tout à l'heure.

Le Quotidien: Regrettez-vous de ne pas avoir abordé ces sujets dans votre déclaration sur l'état de la Nation?

Xavier Bettel: J'ai parlé du terrorisme et des libertés en faisant le lien entre les deux. J'ai également fait le lien entre la politique européenne et les réfugiés en évoquant l'accord avec la Turquie, mais c'est vrai, je n'ai pas parlé des peurs des gens et je n'ai pas fait d'amalgames. Non, je n'ai aucun regret de ne pas être entré dans ce jeu dangereux.

Le Quotidien: La perspective d'un Luxembourg comptant 1,2 million d'habitants est une autre crainte...

Xavier Bettel: En 2002, Jean-Claude Juncker avait déclaré qu'en 2026 on atteindrait les 560 000 habitants, un nombre que nous avons finalement déjà atteint. A l'époque de sa déclaration, il avait dit que l'on devait en discuter pour s'y préparer. Mais le problème, c'est que les plans sectoriels qui nous auraient dit comment répondre à ce développement démographique n'ont jamais été faits. Ce qui est important, c'est de ne pas faire dans le quantitatif en se disant qu'il faut 1,2 million d'habitants à l'avenir pour survivre. Il faut faire du qualitatif et assurer avant tout des conditions de logement dignes aux gens qui décident de venir vivre chez nous. Ensuite, il faut prévoir les infrastructures et c'est dans cette perspective que nous investissons dans le tram, le rail, les routes, les transports en commun en général et la mobilité douce dans le cadre d'un développement durable. Il se trouve certaines personnes, comme le fait le CSV, qui pensent que l'on peut freiner ce développement.Comment voulez-vous faire cela? Interdire aux gens et aux sociétés de venir s'installer au Luxembourg?Non, il faut au contraire travailler d'arrache-pied pour préserver l'environnement et la qualité de vie et les concilier avec notre croissance. C'est un patrimoine qui nous a été confié et il faut éviter sa destruction.

Le Quotidien: On peut donc concilier un tel développement avec la préservation du patrimoine naturel, selon vous?

Xavier Bettel: Oui. Il faut juste prévoir. Aujourd'hui, quand une personne construit dans un secteur qui comprend tel ou tel biotope, il doit compenser. Mais encore faut-il qu'il trouve des zones de compensation et ce n'est pas simple. Alors nous allons le faire pour lui en tant qu'État. Nous constituons et gérons les réserves foncières dans un fonds de compensation écologique.

Le Quotidien: Prévoyez-vous également de concilier ce développement avec le système social actuel?

Xavier Bettel: Il est important de faire une analyse des réformes qui ont été menées jusqu'à maintenant et c'est ce que nous faisons avec le système des pensions. Il ne faut pas se voiler la face, les gens sont de plus en plus âgés, donc il faut sans cesse recalculer et prévoir. Rien n'est donc figé et on voit que le "mur des pensions" que l'on disait très proche, s'est bien éloigné grâce notamment aux nouveaux emplois créés.

Le Quotidien: Un autre reproche formulé à la suite de votre déclaration devant les députés a été l'absence de la moindre référence à l'affaire Lux-Leaks et aux Panama Papers qui sont aussi une affaire politique en lien avec la reconnaissance du statut de lanceur d'alerte. Pourquoi ce choix délibéré?

Xavier Bettel: Concernant les Lux Leaks, je le répète, un procès a lieu actuellement et je refuse de m'en mêler. En tant que Premier ministre, je respecte avant tout notre code pénal. Quant au statut de lanceur d'alerte, je rappelle que le ministre de la Justice, Félix Braz, est actuellement en train d'examiner une modification de la loi que nous avons au Luxembourg sur les lanceurs d'alerte. Non seulement, elle a le mérite d'exister et nous sommes un des rares pays à disposer d'une telle législation, mais encore travaillons-nous à son amélioration. Mais je dirais d'une manière générale que l'optimisation fiscale a été notre fonds de commerce pendant des années, un système qui marchait à fond et qui est légal et on savait bien y faire. Arrêtons de cracher sur notre passé, je suis content simplement aujourd'hui que l'on ne figure sur plus aucune liste noire ou grise et que la Place soit connue pour son savoir-faire en matière d'autres produits financiers.

Le Quotidien: Du coup, pas de chapitre, nation branding dans la déclaration 2016?

Xavier Bettel: Concernant le nation branding, nous avons encore eu des ateliers il y a quelques semaines qui ont travaillé sur ce sujet. Et je crois sincèrement que ma déclaration, qui livrait un état de la Nation positif avec un chômage en baisse, une croissance en hausse et des finances publiques saines, est la meilleure publicité que je puisse faire pour le pays.

Le Quotidien: Passons sur la colère du patro nat pour choisir de conclure avec la Culture, un portefeuille que vous avez pris faute de candidats ou par réel intérêt, ou un peu des deux?

Xavier Bettel: Par passion! Regardez mon bureau (NDLR : une galerie de pop art)! Le ministère de la Culture n'est pas là pour imposer la culture, mais pour la soutenir. Dans cette société où on essaye de stigmatiser les différences, la culture est là où les différences font la richesse. Depuis que je suis ministre de la Culture, j'ai barré un mot de mon vocabulaire qui est le mot "moche". Je dis aujourd'hui qu'il y a des choses qui sont "plus complexes". La culture, c'est là où chacun doit pouvoir échanger avec l'autre dans le respect de la diversité. Il faut arrêter de croire que la culture c'est ce que j'aime et pas ce qu'aime l'autre. Ce qui est important, c'est l'éveil à la culture et commencer très tôt à l'école et peut-être même que certains parents qui ne s'y intéressaient pas, commenceront à le faire avec leurs enfants.

Dernière mise à jour