Interview: Luxemburger Wort (Marie-Laure Rolland)
Luxemburger Wort: Monsieur le Premier ministre, cela fait six mois que vous faites la navette entre le ministère d'État et l'hôtel des Terres rouges. Comment gérez-vous votre agenda?
Xavier Bettel: J'ai la chance d'avoir Guy Arendt comme Secrétaire d'État. Il s'occupe de la gestion au quotidien. Moi je passe le plus souvent possible, au moins deux fois par semaine pour voir les dossiers et en discuter avec lui.
Luxemburger Wort: Pourquoi assumer une double casquette, alors que le ministère de la Culture apparaît à certains comme un ministère de moindre importance?
Xavier Bettel: Au-delà du fait que j'ai une passion pour la culture, j'ai voulu placer cette fonction au plus haut niveau de mon gouvernement. On vit une période où la culture a, pour moi, l'un des rôles les plus importants de notre société. On essaie de nous diviser, de stigmatiser les différences, les religions, les nationalités... La culture est le lieu où ces différences disparaissent. On perçoit une oeuvre qu'elle soit peinte, écrite, chantée... - pas ce qu'il y a derrière.
Luxemburger Wort: Le poste de directeur général du ministère de la Culture est de facto vacant depuis plusieurs mois. Pensez-vous remplacer Bob Krieps?
Xavier Bettel: Ce qui est important pour moi est le travail en équipe et l'organisation. J'aimerais avoir des compétences bien définies pour chacun et un organigramme clair. Lorsque l'organisation sera en place, on prendra les dernières décisions sur qui fait quoi.
Luxemburger Wort: Pensez-vous qu'il y a une "exception culturelle" dans les choix politiques? Est-ce compatible avec une vision "libérale" de la société?
Xavier Bettel: Les artistes ne sont pas des fonctionnaires. On n'est pas obligé de donner un tremplin à des artistes qui n'ont pas les moyens de réussir. Tout le monde n'est pas né avec cette capacité. Mais si un artiste a un véritable don, alors ce tremplin doit exister pour qu'il puisse montrer ce dont il est capable. Il faut trouver un bon équilibre entre le soutien de l'État et la viabilité économique de l'activité artistique. L'État ne doit pas être la seule source de revenu.
Luxemburger Wort: Le budget du ministère de la Culture ne cesse de décroître depuis 2006. Il est passé de 1,41 % du budget global à 0,87 % en 2016. La tendance va-t-elle se poursuivre?
Xavier Bettel: Non. Mais je ne veux pas en dire plus à ce stade car nous sommes en pleine négociation budgétaire.
Luxemburger Wort: Quelles sont vos priorités?
Xavier Bettel: Il est important d'investir dans l'infrastructure, dans la vie culturelle, dans la créativité, dans l'éveil à la culture. L'un de mes principaux challenges est d'ouvrir la culture à tous.
Luxemburger Wort: Comment y parvenir?
Xavier Bettel: Par exemple en organisant l'année prochaine une exposition qui rassemblera les trésors de notre patrimoine dispersés dans différents musées. Nous avons du beau patrimoine mais nous n'en montrons pas les fleurons. Il faut aussi mieux valoriser les artistes nationaux qui ont parfois plus de succès à l'étranger qu'au Luxembourg.
Luxemburger Wort: Les musées ont une politique trop élitiste à vos yeux?
Xavier Bettel: Non. Le problème est que les gens ne sont pas conscients du patrimoine qu'on a, de sa richesse et de sa diversité. Ils se déplacent pour un Picasso mais ne vont pas voir Kutter au MNHA. On dit souvent qu'il faut amener les gens vers la culture. Moi j'ai envie d'amener la culture vers les gens. Que l'on fasse des choses avec le public, pour le public.
Luxemburger Wort: Vous avez lancé à la surprise générale l'idée de créer une Galerie nationale d'art. Pourquoi?
Xavier Bettel: Je voudrais souligner qu'il ne s'agira pas d'un "ghetto d'artistes luxembourgeois". C'est tout simplement une institution qui sera située dans un endroit stratégique et qui permettra de réunir le meilleur de la production artistique luxembourgeoise passée - Steichen, Wercollier, Majerus... - et présente. Il n'y a pas que le petit train, le bock, la cuisine et les mines à montrer aux touristes. Il y a aussi un patrimoine culturel. Qu'on le montre et qu'on en soit fier!
Luxemburger Wort: Steichen, Wercollier, Majerus... ce sont des artistes que l'on peut déjà voir au MNHA ou au Mudam...
Xavier Bettel: J'ai envie d'avoir un lieu qui les réunisse. Que l'on ne soit pas obligé de chercher où est le Kutter, où est le Majerus...
Luxemburger Wort: Ce sera un lieu d'exposition ou un musée?
Xavier Bettel: Les deux.
Luxemburger Wort: N'est-ce pas un luxe alors que certains musées n'ont quasiment plus les moyens de faire des acquisitions pour leurs collections?
Xavier Bettel: Certains le verront peut-être comme un luxe mais je trouve que c'est nécessaire. Et bien sûr que les musées nationaux ont les moyens de collectionner! Le MNHA vient d'acquérir un Craig Hanna qui n'est pas l'oeuvre la moins chère...
Luxemburger Wort: Quels sont à votre avis les secteurs culturels dont les besoins sont les plus criants?
Xavier Bettel: Chacun défend sa chapelle, ce qui est tout à fait normal. C'est pour cela que j'aurai la chance, lors des prochaines Assises, d'avoir un échange avec les professionnels du secteur. On m'a critiqué là-dessus en disant que mon ministère ne donnait pas d'orientation à la culture. Mais pour moi il est très important de rester ouvert, de ne pas dire "la peinture c'est cela", "l'architecture c'est cela"... La culture doit venir d'en bas, des gens. Je guide mais je n'impose pas. Sauf pour les infrastructures. Là il faut voter et il faut une majorité.
Luxemburger Wort: Mais il y a quand même des choix politiques, par exemple lors de la renégociation des conventions culturelles par Maggy Nagel. Finalement, quel en a été l'impact?
Xavier Bettel: Cela s'est passé l'année dernière et je suis en train d'en analyser l'impact avec Guy Arendt.
Luxemburger Wort: Le système de paiement à posteriori par projet ne fragilise-t-il pas le système associatif?
Xavier Bettel: Il me semble important de subventionner suivant les projets, et non l'agape de fin d'année et l'organisation de l'assemblée générale. Cela étant, lorsque des associations ont des problèmes, on les reçoit et on discute.
Luxemburger Wort: Avez-vous le sentiment que la confiance est revenue sur la scène culturelle depuis votre arrivée?
Xavier Bettel: Pour ma part, le contact que j'ai avec la scène culturelle me semble franc et honnête. Je cherche le dialogue et les Assises culturelles sont un rendez-vous à ne pas rater. Cela étant, je ne suis pas ministre de la Culture pour plaire à tout le monde.
Luxemburger Wort: Finalement, compte-tenu de votre agenda chargé, avez-vous le temps de lire et si oui, quoi?
Xavier Bettel: J'aime beaucoup lire, en particulier des livres d'histoire comme les biographies d'Hélène Carrère d'Encausse. En période de vacances c'est plutôt John Grisham. J'aime aussi la BD. La dernière que j'ai lue est "XIII" de Jean Van Hamme. Et puis je regarde des séries télé. En ce moment c'est "How to Get Away with Murder".