Interview de Claude Meisch dans le Quotidien

"Fier de ce que l'on a réalisé durant 5 ans"

Interview: Le Quotidien (Claude Damiani)

Claude Damiani: Toute rentrée scolaire est synonyme de fin des vacances estivales pour les élèves. Et vous-même, avez-vous pris des vacances et êtes-vous bien reposé en vue de votre dernière rentrée scolaire de cette législature, mais surtout en vue des élections législatives du 14 octobre?

Claude Meisch: Je me suis rendu à deux reprises sur la côte belge pour des séjours de courte durée et puis je suis parti une semaine, en famille, sur l'île Grande Canarie. Et oui, j'ai eu l'occasion de bien me reposer et je suis pleinement motivé pour la rentrée, mais également pour l'échéance électorale bien évidemment! (NDLR : Claude Meisch est cotête de liste du DP, dans la circonscription Sud)

Claude Damiani: Abordons le vif du sujet â présent : vous avez succédé, fin 2013, à Mady Delvaux (LSAP) aux fonctions de ministre de l'Éducation nationale. Avez-vous d'emblée souhaité imposer votre marque de fabrique libérale, dans le sens d'une rupture radicale avec l'action politique de votre prédécesseur?

Claude Meisch: Je suis quelqu'un qui privilégie le travail dans la continuité : mon début de mandat a plutôt été marqué par ma volonté de poursuivre les bonnes choses déjà mises en place, mais aussi par des corrections ponctuelles, au lieu de réformer structurellement tout le système. Lorsque l'on compare, avec un certain recul, l'action de Madame Delvaux et la mienne, la grande différence qui apparaît, est que j'ai conféré beaucoup d'importance au facteur confiance envers les acteurs du terrain. Je ne suis pas un ministre qui décide depuis son bureau de la façon dont un enseignant doit travailler, des offres que les écoles doivent proposer ni de l'encadrement précis et identique pour tous les élèves et dans toutes les écoles. Je suis plutôt quelqu'un qui estime que de bonnes décisions peuvent être prises au niveau local, sans toutefois laisser la place à un certain laisser-faire. De plus, je suis connu comme étant une personne ayant une opinion très précise et qui est d'avis que les politiciens doivent prendre leurs responsabilités et des décisions.

En clair, j'estime qu'il y a des objectifs qui doivent être définis et développés par les politiciens. Pour ma part, j'ai défini et développé, conjointement avec mon ministère, différents objectifs au cours de mon mandat: aller dans la direction de l'inclusion des élèves à besoins spécifiques, travailler en concertation avec les parents d'élèves, améliorer la communication entre les acteurs scolaires, se servir des nouvelles technologies de communication...

Quant aux moyens et aux méthodes avec lesquels ces objectifs-là doivent être atteints, je suis d'avis que cette compétence soit du ressort des acteurs du terrain. Ce sont aux enseignants, directions d'établissement scolaire et aux comités mis en place au sein des écoles de prendre les décisions. Cette vision me différencie assez largement de celle qu'avait la ministre à laquelle j'ai succédé.

Claude Damiani: L'empreinte Meisch, c'est également la diversification de l'offre scolaire, non?

Claude Meisch: Effectivement. Je ne suis pas le ministre qui pense qu'il n'y aurait qu'un seul et unique modèle éducatif adaptable à tous les élèves. Des querelles sont nées au cours des dernières décennies par rapport à la question : "quel est le modèle idéal pour tous les enfants du Grand-Duché?" Je considère que cette question n'a pas lieu d'être, car chaque élève est différent, dispose de talents propres, nourrit ses ambitions personnelles et parle diverses langues au sein de son foyer. En ce sens, j'ai beaucoup travaillé sur le dossier de la diversification de l'offre scolaire.

Je rappelle que le leitmotiv de mon action politique est de proposer "des écoles différentes pour des élèves différents". Je pense que cette conception a profondément marqué cette législature, notamment parce que la diversité, qui fait la richesse de notre pays, doit être prise en compte, afin d'assurer le succès de notre système éducatif.

Claude Damiani: Vous avez lancé un grand nombre de réformes au cours de votre mandat : si vous deviez mettre en avant LA réforme qui aura été, selon vous, la plus nécessaire, mais aussi celle dont vous êtes le plus fier, quelles seraient-elles?

Claude Meisch: J'estime que la réforme de l'éducation différenciée était absolument nécessaire, car j'ai toujours constaté qu'il y avait un manque de personnel qualifié pour encadrer les enfants à besoins spécifiques. Le Luxembourg était considérablement en retard sur ce point par rapport à d'autres régions et pays de I'UE. L'éducation différenciée n'avait pas été réformée depuis 1973, mais aujourd'hui l'intégration et l'inclusion scolaires sont plus que jamais à l'ordre du jour!

Claude Damiani: Pour être direct, comment jugez-vous votre propre bilan, de manière globale?

Claude Meisch: Personne, au pays, ne dit que nous n'avons pas travaillé au sein du-ministère, afin de réformer le système éducatif. Après, vous savez, dans l'éducation, on a l'habitude d'évaluer et d'octroyer des notes, mais on n'a pas l'habitude de s'autoévaluer.

Cela étant, je suis fier de ce que l'on d a réalisé au cours des cinq dernières années. Je suis fier d'avoir donné l'impulsion et mis toute mon énergie en vue d'atteindre mes deux objectifs principaux : moderniser le système éducatif et le rendre davantage équitable et plus adapté aux besoins de nos élèves. Je constate que nous avons bien avancé sur ces deux points! Je sais que le travail n'est pas achevé et qu'il faudra continuer. En bref, je ne dirais pas que mon bilan est excellent et que tout ce qu'il fallait réaliser l'a été, parce que cela est inconcevable dans le domaine de l'éducation.

Claude Damiani: Et d'un point de vue davantage personnel, quel bilan dressez-vous de votre mandat?

Sans hésiter, j'évoquerais l'ouverture du lycée de Differdange comme étant l'événement qui m'a le plus touché d'un point de vue émotionnel, au cours de mon mandat. J'ai grandi dans cette ville, je me suis battu pour avoir ce lycée, en tant que citoyen, en tant que politicien, en tant que bourgmestre de Differdange...

Pouvoir le planifier, ouvrir ses portes et pouvoir enfin l'inaugurer, m'a particulièrement touché. Cet événement fait partie de mon bilan privé de cette législature.


Claude Damiani: Nourrissez-vous des regrets par rapport à l'action que vous menez depuis que vous êtes ministre?

Oui, en effet, il y a une chose que je regrette : je n'ai pas entamé mon mandat en faisant une "tournée de dialogue", à l'image de ce que j'ai fait au cours des deux dernières années de mon mandat. Je me suis en effet rendu régulièrement dans les écoles pour discuter avec les enseignants, les directions, les élèves et leurs parents mais en fin de mandat.

J'ai pu expliquer ma méthode, exposer les grands défis dans l'Éducation nationale, mais surtout écouter les attentes des acteurs du terrain, par rapport aux inconvénients que ces derniers rencontrent dans leur travail quotidien et vis-à-vis des grands paquets de réformes que j'ai lancés.

Si c'était à refaire, je le ferais autrement. Cela dit, j'ai tout de même beaucoup consulté les syndicats et autres représentants du système éducatif durant ces cinq ans, bien que je sois d'avis que l'on acquiert un autre angle de vue lorsqu'on discute du fonctionnement quotidien des écoles.

Claude Damiani: Concernant le futur très proche et vu que certaines de vos réformes ne sont pas finalisées ni implémentées intégralement sur le terrain, sans parler des chantiers prévisionnels qui se présenteront inévitablement, il apparaît évident que vous souhaiteriez rempiler pour cinq ans de plus à Éducation nationale.

Confirmez-vous nourrir cette ambition et pourquoi cet intérêt pour ce portefeuille ministériel bien précis?

Claude Meisch: C'est une évidence, effectivement.

Ceci dit, je ne veux pas être ministre pour être ministre, mais je fais de la politique pour changer les choses, réformer et donner plus de chances de réussite aux jeunes. Je reconnais, avec humilité, que je n'étais pas un expert du domaine de l'éducation, lors de ma prise de fonctions fin 2013 et je ne prétends pas non plus l'être devenu entretemps. Cela étant, je dois avouer que je suis fasciné par ce milieu. Toutes ces questions touchant au bon développement des jeunes, afin qu'ils puissent prendre leurs responsabilités en tant que jeunes adultes au terme de leur scolarité, qu'ils parviennent à une bonne intégration sur le marché du travail, qu'ils deviennent des citoyens responsables qui prendront des décisions pour rendre la société meilleure, mais aussi des décisions en faveur de leurs proches et de leur propre cheminement de vie, me fascinent encore plus aujourd'hui qu'il y a cinq ans. Pour toutes ces raisons, j'aimerais bien poursuivre dans ces fonctions ministérielles, mais ce choix appartiendra aux électeurs. Et puis, il faudra aussi voir si le futur programme gouvernemental, qui découlera du résultat des élections, aura assez de force et se proposera de donner les réponses adéquates aux défis qui se posent.

Claude Damiani: Quels seront-ils, concrètement, ces défis du futur que vous évoquez?

Claude Meisch: Il reste beaucoup de choses à faire comme, par exemple, pérenniser la Bildungsdësch (NDLR : idée d'une table ronde, lancée par Claude Meisch, autour de laquelle se retrouveraient, aux côtés du ministre, les acteurs scolaires, les syndicats, mais aussi les partis politiques, un peu à l'image d'une tripartite), c'est-à-dire adapter le modèle socioéconomique luxembourgeois au domaine éducatif. Je constate qu'il y a beaucoup de querelles et de divergences autour de l'éducation et cela est tout à fait normal, puisque le système éducatif est un moteur du développement sociétal. Le problème est que cela peut nuire aux écoles et aux enseignants, qui ne peuvent pas toujours travailler en toute sérénité. Dans ce cadre, j'estime qu'il faut travailler sur le consensus entre toutes les parties prenantes, un consensus qui serait garanti au-delà d'une législature de cinq ans, afin d'assurer une certaine continuité et sérénité: les acteurs du terrain ne doivent pas craindre, à chaque élection, que le modèle qu'ils ont eux-mêmes développé et pour lequel ils se sont investis et adaptés, soit à remis en question tous les cinq ans.

Daniel Damiani:  Pensez-vous vraiment que l'on puisse pérenniser une forme de consensus autour de l'éducation?

Claude Meisch: Je vois que cela est concevable : il y a eu beaucoup de discussions, notamment critiques, au sujet de mes réformes, mais quand je lis des programmes électoraux des trois autres grands partis (CSV, LSAP et déi gréng), je n'en trouve aucun qui propose une réelle alternative.

Même le CSV ne dit pas qu'il souhaiterait faire marche arrière et revenir sur l'une ou l'autre réforme.

Daniel Damiani: Il paraît, justement, qu'une certaine députée du CSV, Martine Hansen en l'occurrence, aimerait beaucoup reprendre votre poste de ministre...

Claude Meisch: Cela est absolument légitime (il sourit)! J'espère même qu'il y en a d'autres qui aimeraient prendre mon poste, après les élections. Il reviendra aux électeurs de juger de notre action durant les cinq dernières années au sein de ce ministère.

Pour ma part, j'estime que le système éducatif correspond bien mieux à la diversité de notre population d'élèves qu'il y a cinq ans.

J'aimerais bien être jugé sur ce point et sur un programme électoral pour l'avenir. Madame Hansen a proposé, de son côté, un programme que je ne comprends pas très bien, parce que son parti a voté contre presque toutes les réformes que nous avons proposées (au cours de la législature), mais maintenant, alors que le scrutin approche, il n'y a aucun autre modèle qui est proposé de la part du CSV. Je le répète : je ne vois pas d'alternative réelle du côté du CSV, du LSAP ou de déi gréng!

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