"On peut gagner les élections en restant démocrates"

Interview de Xavier Bettel dans le Quotidien

Interview: Le Quotidien (Geneviève Montaigu)

Le Quotidien: Êtes-vous toujours à la tête d'un paradis fiscal?

Xavier Bettel : Je ne sais es qui considère encore le Luxembourg comme un paradis fiscal, je ne l'ai plus entendu depuis longtemps de manière officielle. Je pense, au contraire, que le Luxembourg a eu droit à d'autres qualificatifs dans des articles très élogieux des médias internationaux qui parlaient d'oasis avec une économie qui fonctionne bien et je préfère de loin ce terme. Il y a un peu plus de cinq ans, quand j'ai pris le pouvoir, le Luxembourg figurait sur toutes les listes grises et noires et nous avons réussi à en sortir. Nous sommes devenus un pays où les compétences, le savoir-faire, la stabilité politique, les infrastructures et un système fiscal attractif respectueux des standards internationaux sont unanimement salués. Je n'ai lu que des articles qui évoquent un modèle qui fonctionne.

Le Quotidien: L'Union européenne parviendra-t-elle un jour à obtenir une harmonisation fiscale que la Commission appelle de ses vœux?

Xavier Bettel: La fiscalité est une compétence nationale et la fiscalité au Luxembourg fait aussi partie d'une politique sociale, une politique avec un taux super réduit pour les produits d'hygiène, les vêtements pour enfants, la restauration, comme nous le prévoyons... Je n'ai pas envie d'augmenter ma fiscalité de 10, 15 ou 20 % parce que d'autres pays n'arrivent pas à gérer leurs dépenses publiques d'une autre manière.

Le Quotidien: La théorie du ruissellement et les premiers de cordée vous y croyez?

Xavier Bettel: Non, il faut arrêter de penser que fiscalité et économie sont ennemies. La fiscalité fait partie de l'économie. Si je dispose d'une fiscalité qui motive les gens à travailler et à investir, j'aurais une économie qui marchera mieux. Je dois créer l'argent que je veux dépenser. Si je veux une bonne politique sociale, je dois d'abord avoir une économie qui fonctionne grâce à des atouts attractifs sans tomber dans le piège du dumping fiscal qui permet à des sociétés de payer moins d'impôts par rapport à d'autres.

Le Quotidien: Le Luxembourg n'est plus le pays des boîtes aux lettres?

Xavier Bettel: Le Luxembourg a fait des efforts énormes et la substance est devenue la réalité et la boîte aux lettres l'exception.

Le Quotidien: Le Luxembourg fait partie des pays qui freinent la taxe des géants du net que sont Google, Ammon, Facebook et Apple, autrement dit la taxe GAFA, pourquoi?

Xavier Bettel: Nous défendons les intérêts économiques européens. J'étais le premier à dire qu'il fallait trouver une solution, mais je pense que l'économie européenne doit rester compétitive et ne peut pas se permettre de faire partir ces entreprises vers Londres ou Dubai. Surtout Londres, car il ne faut pas oublier que Londres nous quitte demain.

Le Quotidien: Aujourd'hui, plus d'un tiers des transactions boursières est effectué par des robots. Faut-il en avoir peur?

Xavier Bettel: La digitalisation a droit désormais à un ministère dédié, car nous estimons que la numérisation a un rôle important qui ne cessera de croître. Il est vrai que certains emplois qui existent aujourd'hui vont disparaître, mais d'autres vont se créer. Il faut être prêt et si on a peur, cela signifie qu'on n'est pas prêt. Demain, l'intelligence artificielle sera une réalité et si des robots effectuent des transactions boursières, il faut savoir que demain notre réfrigérateur fera nos courses et des bus et des voitures rouleront seuls. Certains emplois qui existent aujourd'hui n'existaient pas il y a 15 ans. L'intelligence artificielle est aussi une question de souveraineté. Si demain l'Europe et donc aussi le Luxembourg ne sont pas prêts pour l'intelligence artificielle comme l'est la Chine, nous nous trouverons coincés entre les États-Unis et la Chine.

Le Quotidien: Si les robots provoquent une nouvelle crise financière, aura-t-on les reins assez solides pour y faire face?

Xavier Bettel: Les robots ne remplaceront jamais l'émotion et nous saurons garder nos fondamentaux. En outre, une hypothétique crise financière ne serait provoquée par des robots mais par les marchés.

Le Quotidien: Parlons Europe. Que ressentez-vous aujourd'hui quand vous arrivez au Conseil des ministres composé en partie de figures qui balaient d'un revers de la main les valeurs européennes?

Xavier Bettel: Premièrement, on peut gagner les élections en restant démocrates et le Luxembourg l'a démontré. Deuxièmement, il ne faut pas oublier le projet de paix qu'est l'Union européenne. Certains la voient comme un tiroir-caisse, d'autres ne veulent que profiter de seS avantages. Mais l'Europe s'est donné des règles quand tout va bien mais aucune quand tout va mal et elle a des difficultés à sanctionner.

Le Quotidien: Il y a donc des lacunes à combler...

Xavier Bettel: Je pense que nous devons faire des réformes profondes sur le mode de fonctionnement, même au niveau de la désignation, car je suis favorable aux listes transnationales au niveau des élections européennes. Nous avons des "Spitzenkandidaten" qui ne sont candidats nulle part, comme ce fut le cas de Jean-Claude Juncker. Le symbole fort serait un candidat qui se présente dans les 27 pays, mais je sais que tout le monde ne partage pas mon point de vue. Il faut rappeler les valeurs démocratiques et on voit que les accords de Schengen sont à bout de souffle et il faut se positionner.

Est-on favorable à des frontières ouvertes sans politique de l'immigration commune? Je dis que l'un ne va pas avec l'autre. Nous devons avoir des contrôles aux frontières extérieures qui fonctionnent et je n'ai pas envie d'avoir tous les 15 jours un collègue européen qui me contacte pour savoir comment on se répartit des migrants qui viennent d'arriver par un bateau. Nous devons avoir un mécanisme de répartition qui fonctionne.

Le Quotidien: Le Premier ministre belge, qui est un de vos proches, a sauté pour avoir défendu cette position. Qu'avez-vous ressenti?

Xavier Bettel: Charles Michel a sauté parce qu'il est resté fidèle aux engagements de son gouvernement, dont la N-VA faisait partie. Charles Michel n'a pas voulu tomber dans l'opportunisme politique, ça lui a coûté son poste, mais je respecte énormément les gens qui ne changent pas d'avis par pur opportunisme politique. Charles Michel est resté fidèle à la Belgique, qui a décidé avec la N-VA de signer le pacte de Marrakech pour des migrations plus sûres et plus dignes. Mais la N-VA, après les élections communales, a vu qu'elle gagnait des voix en Flandre et elle a voulu dépasser par la droite. Je dis chapeau à Charles Michel car la politique c'est aussi avoir des convictions et les défendre, ce qu'il a fait.

Le Quotidien: Les citoyens européens ne s'y retrouvent plus dans cette politique européenne. Peut-on leur en vouloir?

Xavier Bettel: On ne peut pas dire que l'on ne veut pas de contrôles aux frontières et pas de politique commune de l'immigration et faire accepter ça par les citoyens européens qui ne voient pas de règles claires. Nous avons des gens déboutés que l'on ne peut pas renvoyer chez eux car les pays les refusent, donc nous avons besoin de règles communes, une liste de pays sûrs et des retours organisés et communs. Si les tribunaux décident que ces personnes n'ont pas le droit de rester, on ne peut pas dire après que si leur pays d'origine n'en veut plus dans ce cas-là c'est définitif et ils restent en Europe.

Le Quotidien: L'ltalie, qui supprime les aides publiques à la presse, c'est très inquiétant pour le ministre des Communications et des Médias que vous êtes?

Xavier Bettel: Dans beaucoup de pays, la presse, quand elle n'est pas considérée comme amie, devient un ennemi et c'est très inquiétant. La presse, pour moi, a sa liberté. En tant que ministre, j'ai voulu augmenter l'aide à la presse à travers les journalistes et non plus le papier. La presse vit une crise de crédibilité et des récents exemples le prouvent, comme l'affaire du journaliste du Spiegel en Allemagne qui a falsifié ses articles. En France, les "gilets jaunes" s'en prennent à la presse, c'est très dangereux. J'ai la chance au Luxembourg de pouvoir compter sur une presse qui est très diversifiée. Une démocratie se mesure aussi au nombre de journalistes indépendants qui existent.

Le Quotidien: Vous évoquiez les "gilets jaunes". Que pensez-vous de ce mouvement qui met à mal un autre de vos amis, Emmanuel Macron, le président français?

Xavier Bettel: Il faut pouvoir écouter et échanger, mais je n'accepte pas la violence, la destruction des biens publics et des monuments historiques.

Je pense que les mesures que le président Macron a annoncées, que ce soit au niveau des heures supplémentaires ou du SMIC, vont dans la bonne direction qui est celle de vouloir diminuer le fossé entre les plus riches et les plus pauvres, mais il ne faut pas perdre de vue la dette publique qui est grandissante en France.

Le quotidien: Une question plus personnelle : que regrettez-vous de votre ancienne vie?

Xavier Bettel: L'anonymat (il rit), mais cela fait partie de la fonction. Mais je ne regrette rien dans le fond.

Le Quotidien: Qu'auriez-vous regretté si vous aviez dû quitter le gouvernement?

Xavier Bettel: De pouvoir faire avancer les choses. Je pense que le Luxembourg aujourd'hui n'est plus le même qu'il y a cinq ans et je n'ai pas envie que l'on fasse marche arrière. J'aime les gens, j'aime faire de la politique pour eux et je puise mon énergie auprès d'eux.



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