Le ministre de la Coopération et de l´Action humanitaire, Charles Goerens en Israël et dans les Territoires palestiniens

Du 16 au 18 mars 2004, Charles Goerens, ministre de la Coopération et de l’Action humanitaire, était en visite en Israël et dans les Territoires palestiniens dans le but de faire une évaluation de la situation humanitaire sur place.

Charles Goerens a ainsi visité les territoires de la West Bank et de Gaza et s’est entretenu avec de nombreuses personnalités israéliennes et palestiniennes, dont les ministres palestiniens des Affaires étrangères Nabil Shaath, des Finances Dr. Salam Fayad et de la Planification Nabil Kassis.


Charles Goerens et Nabil Shaath

À l’issue de cette visite, Charles Goerens a répondu aux questions du Service Information et Presse du gouvernement (SIP).

SIP: Monsieur le Ministre, vous venez de visiter les Territoires palestiniens et de vous entretenir avec des responsables politiques et des représentants des sociétés civiles palestinienne et israélienne. Quels est votre sentiment ?

Charles Goerens: Mon impression est que nous ne sommes qu’au début d’un processus - si jamais la paix s’installe - qui va encore durer longtemps, parce qu’il se déroule devant une toile de fond étriquée. On sait aujourd’hui que les Israéliens veulent se retirer de la bande de Gaza, ce qui ne diminuera pas la responsabilité de l’Autorité palestinienne mais, au contraire, les forcera à prouver - même s’il ne s’agit que d’une partie des Territoires palestiniens - que la situation sera viable.

Ceci implique qu’ils assument les responsabilités politiques, qu’ils soient capables d’une reconstruction économique, qu’ils soient en mesure d’établir une gouvernance digne de ce nom et qu’ils deviennent un partenaire fiable pour la communauté internationale. Ceci présuppose également que certaines conditions soient remplies, à commencer par la bande de Gaza. Sans aide internationale, il sera impossible de réussir cette entreprise parce que, en dépit de la qualité et de l’éducation des Palestiniens et indépendamment des sommes transférées par la diaspora palestinienne, qui constituent une part considérable des richesses, beaucoup de choses restent à faire. Je vois une montagne de problèmes politiques, sécuritaires et économiques dans cette région. La position israélienne a le mérite de paraître claire, mais ne l’est pas tellement parce qu’elle présuppose, en fait, beaucoup de bonne volonté et peut-être même un peu de chance pour que l’on puisse réussir.

SIP: Un mot est toujours revenu dans tous vos entretiens: la sécurité. Est-ce là vraiment la clé du succès pour l’avenir de la région ?

Charles Goerens: Ce n’est pas aussi simple que cela. La sécurité est certainement un point d’entrée stratégique où les intérêts de l’Autorité palestinienne et d’Israël se rencontrent. Le seul qui ait réussi jusqu’ici à toucher l’âme des Israéliens était l’ancien président égyptien Saddat qui a dit à la Knesset en 1976: "Vous avez un problème de sécurité. Je vous ai compris, c’est aussi mon problème". Cela a déclenché un processus dont l’impact et les effets positifs se ressentent encore de nos jours. Aujourd’hui, la situation est similaire. Si ce choix était fait aujourd’hui par les deux côtés, la chance de succès serait réelle. Mais on voit aussi que des problèmes subsistent. Je n’ai par exemple pas pu apprendre de mes interlocuteurs si et comment les différentes fractions palestiniennes peuvent être contrôlées - notamment le Hamas. Je n’ai pas entendu ce nom dans mes entrevues, mais il n'en reste pas moins qu’il s’agit d’un problème sérieux.

Ensuite, il faut que le "problème" Gaza, si solution il y avait, reste compatible avec les phases successives de la feuille de route qui prévoient des élections et une indépendance totale des Territoires palestiniens. C’est dire que si la première étape - qui présuppose déjà des investissements substantiels des parties en termes de sécurité - devait réussir, il faudrait que l’engagement pour les étapes suivantes soit crédible. Sans être le premier à donner son avis sur cette question, j’estime tout de même que ce sera là le cocktail avec lequel seront faites la paix et la sécurité de cette région. 

SIP: Le Luxembourg contribue à hauteur de € 4 millions par an, en moyenne, à l’effort de développement des Territoires palestiniens. Les grandes orientations de la politique de coopération luxembourgeoise, à savoir la lutte contre la pauvreté mais également la pérennisation des projets de coopération, ne doivent-elles pas être perçues ici comme une sorte d’aide d’urgence permanente ?

Charles Goerens: Non. On a investi également dans des structures, dans des programmes scolaires et la mise en place d’une faculté d’agronomie. Les fonds qu’on met à disposition des projets de l’UNRWA (Programme de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés palestiniens) sont destinés à la formation. Ce sont des investissements pour l’avenir. Ce sont bien sûr des aides d’urgence mais qui s’inscrivent également dans une stratégie à long terme. Si on avait plus de ces projets et si la communauté internationale était un peu plus impliquée, la situation serait peut-être moins grave qu'aujourd’hui.

SIP: Depuis que vous êtes ministre de la Coopération et l’Action humanitaire, vous avez visité à plusieurs reprises les pays cibles de la Coopération luxembourgeoise. Quelles sont, selon vous, les grandes différences entre la coopération avec ces pays et la situation particulière dans les Territoires palestiniens?

Charles Goerens: D’abord, dans la plupart de nos pays cibles nous n’avons pas à gérer les conséquences d’un conflit antérieur. Ensuite, nous voyons que les Territoires palestiniens ont déjà un acquis certain dans plusieurs domaines, notamment l’éducation où les Palestiniens ont fait des efforts énormes. Avec cela comme base et avec toutes les autres conditions remplies, les chances de réussite sont donc présentes. Mais l’écart entre les différentes conditions est énorme. Les gens ici sont terriblement pauvres, même si la pauvreté n’est pas synonyme de sous-développement, qui se manifeste d’une manière tout à fait différente.

Mais il y a aussi des parallèles entre nos pays cibles et les Territoires palestiniens. Dans quelques-uns de nos pays cibles en Afrique, la majorité des habitants est d’obédience musulmane et ne sont pas indifférents au conflit israélo-palestinien. Et ces gens ont parfois le sentiment - c’est un sentiment, mais pas pour autant erroné - que la communauté internationale combat non pas le terrorisme mais l’Islam. Dans ce domaine, nous devons absolument faire un effort de communication afin de clarifier les choses: notre partenariat pour un monde plus juste inclut aussi la lutte contre le terrorisme et non pas la lutte contre leurs croyances.

SIP: La coopération serait donc, en fait, de la politique de paix avec d’autres moyens ?

Charles Goerens: Sans aucun doute. Ce que nous essayons de faire ici c'est d’agir de façon préventive, ce qui malheureusement n’est jamais aussi visible que les attentats, comme ceux perpétrés dimanche dernier à Ashdod, ou les opérations militaires de l’armée israélienne à Gaza, dont nous avons pu avoir quelques impressions auditives ces quelques  jours. Personne n’a jamais pu avoir accès aux informations de 20 heures avec l’information qu’un conflit a pu être évité. Nous nous inscrivons donc dans une logique à long terme, mais qui reste irremplaçable puisque rien n’a été trouvé jusqu’ici qui puisse l’égaler en termes de résultats.

SIP: Pendant votre séjour en Israël, vous avez visité le monument du souvenir de l’Holocauste à Yad Vashem. Quelles furent vos impressions ?

Charles Goerens: L’étude de la Shoah aide à mieux comprendre les événements du 20e et 21e siècles. Mais ce qui est de plus en plus clair pour moi est que nous ne devons jamais faire l’amalgame entre la Shoah et les événements dans cette région. Ce qui me désole est que l’antisémitisme renaît à nouveau en Europe en raison du conflit israélo-palestinien et que des ressentiments contre les Juifs soient utilisés par le monde arabe pour mettre en évidence l’impossibilité d’un arrangement pacifique dans la région. C’est une relation de cause à effet que je dois réfuter catégoriquement. De plus, il faut savoir qu’une bonne partie des forces vives d’Israël sont des survivants de l’Holocauste et qui n’ont que le désir de pouvoir vivre en paix. Pour eux aussi la situation actuelle est extrêmement tragique.

Au-delà, Yad Vashem a le mérite de pouvoir faire une contribution énorme à notre mémoire avec ses plus de 4 millions de pièces authentiques qui sont autant de preuves pour ce qui s’est passé et sont, pour moi, une garantie pour prévenir un deuxième Holocauste.

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