Claude Meisch: "Le plafonnement des loyers reste d'actualité"

Interview avec Claude Meisch dans paperjam.lu

Interview: paperjam.lu (Marc Fassone et Thierry Labro)

 

Paperjam: Si l'on en croit la note 42 de l'Observatoire de l'habitat sur les préférences des résidents en matière de politique du logement, deux points ressortent: l'obligation faite aux promoteurs privés de construire des logements moins chers et l'introduction de plafonds sur les prix de vente et les loyers. Pensez-vous que les promoteurs négligent les logements abordables au profit d'une offre plus rémunératrice? Que pourrait alors faire le gouvernement?

Claude Meisch: Construire moins cher en réduisant la qualité n'est pas une solution: cela se paiera plus tard. S'il faut reconstruire au bout de dix ans... En revanche, grâce à une adaptation des normes et des prescriptions, nous pouvons construire davantage de mètres carrés de bonne qualité - une qualité raisonnable - mais à moindre coût.

C'est dans cette direction que nous voulons aller avec le règlement national des bâtisses.

Paperjam: Où en est-on sur le point oublié de la réforme des baux d'habitation, à savoir le plafonnement des loyers et aussi celui des prix de vente?

Claude Meisch: Je crois que nous n'aurons jamais un marché entièrement réglementé pour les logements au Luxembourg. Les prix seront toujours fixés par le marché. Notre priorité - notre obligation même - est de faire en sorte que l'offre soit suffisante et que le marché trouve un équilibre permettant à chacun de financer son logement. Et pour les plus fragiles, il existe des programmes sociaux qu'il faudra évidemment renforcer. Il faut encourager les communes et tous les acteurs à faire davantage pour permettre aux personnes disposant des revenus les plus modestes de se loger.

Concernant le plafonnement des loyers, la matière est complexe en raison des intérêts divergents, clairs et nets, entre propriétaires et investisseurs d'un côté et locataires de l'autre. Mais les uns ne peuvent vivre sans les autres et il est nécessaire d'arriver à un consensus. Si le plafonnement des loyers a été retiré de la réforme des baux d'habitation, c'est avant tout parce que je ne voulais pas ajouter un choc législatif à un marché déjà suffisamment perturbé. Mais le plafonnement des loyers reste d'actualité. Les discussions au sein de la Commission du Logement à la Chambre des députés sont constructives. On pourrait envisager d'adapter la législation autour des 5% actuellement en vigueur, une réglementation inapplicable sur le terrain et peu transparente. Et, point qui me tient à coeur: indépendamment du plafond qui sera choisi, il faudra créer une instance chargée de contrôler le dispositif et d'assurer une médiation effective entre les parties. Les actuelles commissions des loyers sont dépassées et leur fonctionnement n'est plus adapté à la réalité.

Nous discutons également d'un cadastre des loyers qui permettrait d'avoir une idée sur les loyers payés pour tel ou tel type de bien à tel ou tel endroit. Cela contribuerait à rendre le marché plus transparent qu'il ne l'est.

Paperjam: Peut-on créer un cadastre des loyers quand on ne dispose toujours pas un registre national des bâtiments?

Claude Meisch: Le gouvernement veut établir un registre national des bâtiments et des logements. Cela permettra d'avoir une vision claire du parc existant et de sa part inoccupée. Dans les cas d'inoccupation injustifiée et persistante, une taxe considérable devra être payée. D'autant plus qu'il existe aujourd'hui des incitatifs pour encourager les propriétaires à confier leur logement à la gestion locative sociale (GLS).

Il faut aussi taxer les terrains classés en périmètres constructibles et non utilisés dans un délai raisonnable. Les propriétaires qui bénéficient largement d'un tel classement pour leur terrain doivent contribuer à la collectivité en s'acquittant, là aussi, d'une taxe considérable.

Paperjam: Peut La principale opposante à ce budget est la bourgmestre de la principale ville du pays et membre de votre pays. L'opposition de Lydie Polfer est-elle de nature à empêcher la création d'un tel registre?

Claude Meisch: Son opposition est très exagérée. Nous en avons parlé et elle m'a assuré qu'il n'y avait pas de divergence avec le programme gouvernemental, et qu'elle soutiendrait le projet à la Chambre des députés. La création d'un tel registre a toujours été son ambition, mais elle n'a jamais pu la concrétiser faute de bases légales. Des bases légales que nous allons désormais donner aux communes dans la loi afin qu'elles puissent prendre les bonnes décisions.

Paperjam: À combien estimez-vous le nombre de logements vacants aujourd'hui au Luxembourg?

Claude Meisch: À 10.000 environ.

Paperjam: Les relations avec les communes sont cruciales pour mener une politique du logement qui produise des effets sur le terrain. L'une de vos premières annonces, lorsque vous avez pris ce ministère, a été de dire qu'il faudrait davantage dialoguer avec elles. Quelles sont aujourd'hui vos relations avec les communes?

Claude Meisch: L'année dernière, j'ai rencontré une cinquantaine de bourgmestres et de collèges échevinaux, avec lesquels j'ai eu des discussions très ouvertes. Les communes sont favorables au développement du parc de logements abordables, à condition que cela profite à leur population - un point sur lequel je les ai rassurées. À la suite de ce tour des communes, nous avons pris plusieurs décisions. Nous avons instauré, au sein de notre ministère, un service de soutien aux communes, en contact permanent avec les décideurs politiques ainsi qu'avec les équipes administratives et techniques, afin de les aider à suivre leurs projets. Nous avons également écouté les communes pour la réforme du pacte logement, instrument de financement de la politique du logement des communes.

Nous avons également élargi et harmonisé les subventions destinées à soutenir les besoins en infrastructures directement liés à la création de nouveaux quartiers. Enfin, nous sommes en train d'introduire, dans le plan sectoriel logement, des dispositions qui favoriseront la mise en réserve de terrains bien situés pour développer des projets immobiliers. Des projets qui, s'ils sont portés par les communes - soit sur leurs fonds propres, soit en collaboration avec le secteur privé - pourront bénéficier de subventions majorées. Nous voulons travailler au plus près des communes en matière de logement.

Paperjam: Et qu'en est-il des relations avec les communes frontalières dans le cadre de développement transfrontalier comme Belval?

Claude Meisch: Il est indispensable d'harmoniser ces développements. C'est ce que nous faisons actuellement avec la friche industrielle du crassier des Terres Rouges, dont la plus grande partie se situe sur le territoire français. Nous travaillons en étroite collaboration avec les autorités françaises, aux niveaux communal, départemental et même national. Et si elles développaient des projets pour le côté français de Belval, nous les soutiendrions. Je suis convaincu que de tels projets doivent dépasser les frontières. Pourquoi ne pas, dès lors, se mettre ensemble pour planifier la Grande Région de manière plus cohérente que ce qui a été fait jusqu'à présent?

Paperjam: Est-ce que les spécificités administratives de nos pays voisins, particulièrement la France et la Belgique ne freinent pas ce type de développements?

Claude Meisch: Vous ne me ferez pas critiquer l'organisation interne des États voisins. C'est avant tout une question de volonté politique, et je pense que cette volonté existe. Je l'ai constaté avec le développement du crassier des Terres Rouges, où tout le monde va dans le même sens. Compte tenu de l'attractivité du Grand-Duché en tant qu'employeur, la partie française du projet présente un fort potentiel économique.