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Martine Deprez: "Je n'ai aucune raison de douter du soutien du Premier ministre"
Interview avec Martine Deprez dans L'essentielInterview: L'essentiel (Nicolas Martin)
L'essentiel: Quelle est votre réaction à la lettre des syndicats au Premier ministre qui vous accuse de privatiser et de commercialiser le système de santé au Luxembourg?
Martine Deprez: Je comprends qu'ils se posent des questions quant aux déclarations que j'ai faites, mais je ne vois pas l'urgence de procéder ainsi. Car c'est un pas après l'autre. Le gouvernement précédent a procédé à l'ouverture de sites supplémentaires (extra-hospitaliers) concernant quatre services dédiés. Nous avons repris le dossier en novembre 2023 et reçu deux demandes d'ouverture de sites qui sont en fonction ou le seront sous peu. À la Cloche d'Or (imagerie médicale) et Grevenmacher (mammographie planifiée, hôpital non chirurgical, service d'oncologie).
L'essentiel: Quelle est votre ligne sur ce dossier?
Martine Deprez: Je suis la logique de l'accord de coalition qui dit qu'en tant que gouvernement, nous voulons élargir l'offre vers l'extra-hospitalier, sans en dire plus, mais avec l'idée d'offrir un accès plus équitable, plus rapide et surtout sécurisé aux patients.
L'essentiel: Comprenez-vous les craintes qu'une association, sur certains projets, de médecins libéraux, d'investisseurs et de promoteurs puisse prioriser la rentabilité?
Martine Deprez: Je comprends les craintes parce qu'on a des exemples de l'étranger qui montrent que, dès qu'il y a des investisseurs qui sont impliqués dans des sociétés, cela peut amener à la dérive. Et ce n'est pas ce que nous voulons. Nous, on va mettre en place la possibilité de créer des sociétés médicales constituées exclusivement de médecins, sans apport financier de tierce personne. Et le financement des sites supplémentaires, en cours d'élaboration, se fait par forfait où l'on prend en charge des frais de location, mais pas de construction.
L'essentiel: Cette crainte d'une médecine à deux vitesses est aussi liée au fait que les médecins veulent des tarifs libres. Le seront-ils?
Martine Deprez: Pour l'instant, je me rallie encore à l'accord de coalition, la médecine au Luxembourg restera conventionnée et on ne compte pas ouvrir la tarification. Les tarifs sont toujours à négocier avec la CNS et le taux de prise en charge est à la discrétion de la CNS. Donc, on fixe un tarif pour qu'il soit équitable, pour qu'il soit accessible et pour qu'il soit identique dans tout le pays et pour tous les médecins concernant la même spécialité. On veut rester dans ce cas de figure.
L'essentiel: Cela veut dire que dans dix ans, il y n'aura pas des patients qui seront plus ou moins bien ou vite soignés selon leurs moyens?
Martine Deprez: Non. À moins que vous ayez la chance d'avoir assez d'argent pour contracter des assurances privées qui vous offrent éventuellement plus de prise en charge que la CNS.
L'essentiel: Il existe une rupture entre l'hospitalier et l'extra-hospitalier avec des intérêts divergents. Sont-ils conciliables?
Martine Deprez: Moi, je vois le parcours du patient qui commence auprès de son généraliste. Ce dernier, s'il voit un problème, fait un lien avec un spécialiste auquel il peut l'adresser. Le patient doit avoir le libre choix de son spécialiste et la majorité d'entre eux ont un lien avec un hôpital pour pouvoir profiter d'activités médicales qui puissent se passer en toute sécurité à l'intérieur d'un établissement hospitalier. Maintenant, on est en train de créer des sites supplémentaires d'établissements hospitaliers. Et si cette expérience fonctionne, pourquoi ne pas offrir à des sociétés de médecins la même possibilité. Avec des liens plus ou moins prononcés avec un hôpital parce qu'il faut toujours un back-up, si jamais la structure est fermée le week-end, si le médecin n'est pas joignable le week-end, il faut qu'il participe à un service de garde. Donc moi, je vois un parcours du patient, je ne vois pas tellement la dichotomie extra et intrahospitalier.
L'essentiel: Avez déjà prévu les garde-fous?
Martine Deprez: Les garde-fous sont en train d'être discutés avec les parties prenantes et la loi qui va voir le jour contiendra tous les garde-fous. Ça devra se passer de la même façon que dans les sites supplémentaires.
L'essentiel: Comment avez-vous vécu cette attaque frontale des syndicats?
Martine Deprez: Depuis que je suis en fonction, j'ai côtoyé beaucoup de partenaires sociaux, salariat et patronat et le ton dans les discussions a été assez éprouvant. D'abord sur l'assurance pension et concernant l'assurance maladie. La lettre qu'ils ont envoyée au Premier ministre a juste fait le résumé de tout ce qu'ils ont pu affirmer à mon encontre. C'est juste une manifestation de tout ce qu'on a vécu.
L'essentiel: Y voyez-vous un procès d'intention?
Martine Deprez: Non, je ne pense pas, mais il y a des différences de vue, des différences d'appréciation et moi, je suis une personne qui est assez honnête, assez transparente et parfois, la transparence ne joue pas en votre faveur si vous avez en face des personnes qui sentent éventuellement des craintes, qui sentent des dangers à venir.
L'essentiel: Le monde politique n'est pas le vôtre à l'origine. Est-ce que vous regrettez d'y être entrée, seriez prête à le quitter?
Martine Deprez: D'abord, je suis une personne qui ne craint par le travail. Ensuite, je suis très optimiste, très positive. Donc j'aime trouver des solutions aux problèmes. Et finalement, on grandit avec ces défis. Là, je me sens bien, je suis sollicitée, mais le travail fait plaisir, notamment de résoudre des situations difficiles. J'espère, comme pour la discussion sur l'assurance pension, arriver à un compromis et à une situation où tout le monde tire dans la même direction dans l'intérêt de l'assuré et dans l'intérêt du patient surtout.
L'essentiel: Les attaques politiques vous posent-elles problème?
Martine Deprez: Je fais partie du parti politique CSV depuis 1986, donc des situations politiques, j'en ai déjà vu, sans être au premier rang. Cela ne m'a pas tellement choquée et je me sens grandir avec. Naturellement, parfois mon entourage me dit: "Est-ce que tu n'aurais pas mieux fait de rester enseignante?" mais je leur dis "non". J'ai fait un choix, je l'assume. Et au jour le jour, cela me fait plaisir de pouvoir travailler dans l'intérêt de l'assuré, du patient et le côté politique, il faut le vivre, vivre avec et il faut naturellement avoir une personnalité qui peut l'assumer.
L'essentiel: Ressentez-vous assez de soutien du Premier ministre face à ces épineux dossiers?
Martine Deprez: Le Premier ministre préside le gouvernement et il se met devant chacun de ses ministres et je n'ai nulle raison de douter du soutien du Premier ministre.
L'essentiel: Même si des rumeurs évoquent un remaniement qui pourrait vous concerner?
Martine Deprez: Je ne me fie jamais à des rumeurs, je me fie à des faits. Je suis une mathématicienne, je me fie à des réalités et la réalité est que l'on est un gouvernement soudé. On vit une coalition et les discussions se passent bien au sein du gouvernement.