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"Sans jeunes agriculteurs, pas de souveraineté alimentaire"
Interview avec Martine Hansen dans Le QuotidienInterview: Le Quotidien (David Marques)
Le Quotidien: Depuis le début de votre mandat, vous vous engagez à mener une politique reposant sur un dialogue étroit avec les acteurs de terrain et une action empreinte de pragmatisme. Cette méthode a-t-elle fait ses preuves?
Martine Hansen: En ce qui concerne le dialogue, je pense que l'objectif a pu être atteint. Dès le départ, nous avons misé sur des échanges réguliers dans le cadre du Landwirtschaftsdësch et du Wäibaudësch (NDLR: tables rondes sur l'agriculture et la viticulture). Le dialogue ne se limite toutefois pas à ces deux formats plus formels. À chaque fois, lorsqu'un dossier de taille arrive sur la table, on échange avec la Chambre d'agriculture, qui est notre plus important partenaire.
Mais je juge aussi très important d'effectuer régulièrement des visites sur le terrain pour aller sentir le pouls auprès des exploitations agricoles. Cela me permet d'avoir une meilleure vue sur les problèmes auxquels les agriculteurs ou viticulteurs sont confrontés.
Le Quotidien: Comment les agriculteurs et les viticulteurs accueillent-ils ce dialogue plus appuyé?
Martine Hansen: Je pense qu'il était vraiment nécessaire de renouer avec ce dialogue.
Ce sont eux qui savent le mieux comment peuvent être mises en application différentes mesures.
Les expériences des acteurs de terrain sont importantes pour aborder les défis qui se posent. Lors du premier Landwirtschaftsdësch, nous avons mis en place une task force pour nous attaquer à la réduction des émissions d'ammoniac. Ce sont les agriculteurs qui connaissent les rouages de leur exploitation et qui peuvent, donc, juger au mieux quels leviers peuvent être activés. On ne peut pas avancer en agissant seul.
Le Quotidien: Vous avez mentionné à deux re prises les tables rondes réunissant les ministères de tutelle et les représentants du monde agricole et viticole. Ce format a-t-il vraiment permis de signer des avancées sur des dossiers plus critiques?
Martine Hansen: Lors du premier Landwirtschaftsdësch, nous avons commencé à discuter du statut de l'agriculteur actif. Je me souviens d'être sortie à deux ou trois reprises de la salle pour laisser les représentants du secteur s'accorder sur leurs besoins.
Des adaptations de la loi agraire ont pu être décidées dans le consensus.
Des avancées ont aussi pu être réalisées, avec le ministre de l'Environnement, sur les constructions en zone verte. En automne, des adaptations de la loi sur la protection de la nature seront mises sur la table.
Au même moment, le ministre du Travail va déposer son texte de loi pour mieux réglementer le travail saisonnier. La diversification est en couragée par la création du point de contact Agri-Innovation. En outre, la loi sur la subvention pour la construction de serres agricoles a pu être rapidement adoptée. Un appel à projets sera lancé en septembre, et j'espère que l'on pourra développer davantage la culture de fruits et de légumes, où un important manque existe au Luxembourg.
Le Quotidien: Avez-vous réussi à mener la politique agraire plus pragmatique que vous prônez?
Martine Hansen: Nous avons réussi à avancer dans la recherche de solutions pragmatiques. Il reste certainement encore du chemin à parcourir. Pour moi, il est primordial que l'on puisse appréhender une réglementation. Si personne ne la comprend, elle ne sert en rien la cause de l'agriculture. Encore une fois, il n'est possible de trouver ces solutions pragmatiques qu'en concertation avec les acteurs de terrain. Afin de permettre aux agriculteurs de savoir comment ils avancent sur la trajectoire fixée pour réduire les émissions d'ammoniac, et procéder, le cas échéant, à des adaptations, nous avons mis en place un outil de monitoring. Il nous faut en développer davantage.
Le Quotidien: Les réglementations pour la protection de l'environnement constituent un autre défi majeur pour le secteur agricole. Les solutions pragmatiques développées avec le ministre de l'Environnement sont critiquées, car elles se raient adoptées au détriment de l'environnement. Cette critique est-elle justifiée?
Martine Hansen: Nous n'avons en rien dilué les obligations environnementales. On a mis en place des incitations financières pour les agriculteurs acceptant de renoncer à l'utilisation du glyphosate. Les programmes pour la réduction de l'emploi de pesticides sont également un succès. On avance dans la bonne direction, en continuant à miser sur le volontariat.
Le Quotidien: Les députés libéraux André Bauler et Luc Emering viennent de vous adresser une question parlementaire sur l'intérêt de fusionner les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement, une idée suggérée dans les colonnes du journal Letzeburger Bauer. S'agit-il d'une option réaliste, voire nécessaire, à vos yeux?
Martine Hansen: J'ai pris note de cette question parlementaire. Dans l'accord de coalition conclu entre le CSV et le DP, les ressorts ministériels ont été définis ensemble. Il n'y aura pas de changement à ce niveau. Pour le reste, ce n'est pas à moi de commenter l'éditorial d'un journal.
Le Quotidien: Le bio est une autre solution pour rendre l'agriculture plus durable. Le gouvernement précédent avait fixé à l'horizon de cette année 2025 l'ambitieux objectif d'atteindre 20% de sur faces agricoles bios. Le bilan actuel fait état d'une surface d'un peu plus de 5 %. Quel sont vos projets dans ce domaine?
Martine Hansen: J'ai dit, dès le départ, que l'objectif de 20% était irréaliste. Malgré tout, nous sommes parvenus à développer davantage l'agriculture bio.
L'option pour les exploitations de mener une transition partielle a été assez bien accueillie sur le terrain.
Le plan de promotion des produits bios dans les restaurants scolaires gérés par Restopolis joue aussi un rôle. Le nouveau plan d'action national de promotion de l'agriculture bio sera prêt d'ici à la fin de l'année. Néanmoins, je ne sais pas encore si l'on va se donner un nouvel objectif chiffré.
Le Quotidien: Qu'en est-il de la promotion plus globale des produits locaux, notamment dans la restauration collective?
Martine Hansen: Nous travaillons sur un plan d'action pour la promotion d'une alimentation saine, qui devrait, lui aussi, être finalisé avant la fin de l'année. Un des points majeurs est la nécessité de promouvoir davantage les produits locaux. Plusieurs actions sont menées, notamment le nouveau projet "Landwirtschaft erliewen ", qui permet aux enfants de découvrir dès le plus jeune âge l'agriculture et nos bons produits locaux.
Le Quotidien: Que ce soit au Luxembourg ou à l'échelle de I'UE, le problème de la succession des agriculteurs et viticulteurs gagne en importance. Quelle est votre stratégie pour vous attaquer à ce chantier majeur?
Martine Hansen: Sans jeunes agriculteurs, il ne sera pas possible d'assurer la souveraineté alimentaire que nous souhaitons atteindre. Ils ont besoin d'une perspective et d'une sécurité de planification. Il s'agit d'une de nos grandes priorités. Un premier atelier sur le renouvellement générationnel a eu lieu au printemps, un deuxième est prévu en octobre ou novembre. Le commissaire Christophe Hansen va présenter son plan d'action en septembre. On verra alors quels seront les éléments à transposer au Luxembourg. Comme cela est ancré dans l'accord de coalition, nous avons absolument besoin d'un guichet unique pour guider les jeunes qui veulent reprendre une exploitation ou en créer une nouvelle. Les questions qui se posent sont très variées. Des aspects économiques, juridiques et aussi psychologiques sont à prendre en considération. Il n'est pas simple de gérer une transmission. L'espoir est de réussir à finaliser encore cette année un concept.
Au niveau européen, vous vous engagez aussi fortement pour une approche plus pragmatique dans le domaine des réglementations.
Le Quotidien: Avez-vous réussi à trouver des alliés pour vous attaquer à cette lourde mission?
Martine Hansen: La Commission européenne parle de simplification. Elle doit donc, le moment venu, la mettre en œuvre.
Un bon exemple est le règlement contre la déforestation. Pourquoi l'imposer à des pays comme le Luxembourg ou l'Autriche, où il n'existe aucun problème en la matière? On crée un nouveau monstre administratif pour démontrer qu'il n' existe pas de problème, alors que nous le savons déjà.
Ce genre de choses n'est plus accepté sur le terrain.
Le Quotidien: Le commissaire Hansen est-il un allié, sachant que la simplification administrative dans le domaine agricole est une de ses grandes priorités?
Martine Hansen: Oui, je le pense. Il comprend et connaît les difficultés rencontrées par les exploitations. Il s'agit d'un très grand avantage par rapport à quelqu'un qui n'a pas cette connaissance du terrain. Parcontre, je ne sais pas si le prochain budget de l'UE va constituer une simplification administrative.
Le Quotidien: Au-delà de sa lourdeur administrative, le cadre financier pour les années 2028 à 2034 ne prévoit plus un budget à part entière pour l'agriculture. Les critiques sont nombreuses, y compris au Luxembourg. Comment jugez-vous le plan mis sur la table?
Martine Hansen: Je trouve vraiment qu'il s'agit d'un mauvais signe que l'agriculture ne dispose plus d'un budget séparé, alors que nous parlons beaucoup de l'importance du secteur et de résilience pour assurer la sécurité alimentaire. On doit au moins au commissaire Hansen l'enveloppe sécurisée de 300 milliards d'euros qui va profiter à une partie de la politique agricole. Mais cette partie est inférieure au budget dont on dispose actuellement. Et on n'est pas sûr de pouvoir toucher les autres fonds mis en perspective par la Commission. D'ores et déjà, il semble assuré que sur les 1.700 agriculteurs actifs au Luxembourg, ils seront 400 à être concernés par les coupes budgétaires, dont une série de jeunes. On risque donc de les pénaliser, alors qu'on a besoin d'eux pour reprendre en main les exploitations. Beaucoup de questions restent à clarifier.
Le Quotidien: Une autre préoccupation est la mise en application de l'accord de libre-échange avec les pays du Mercosur. Disposez-vous entre temps des garanties nécessaires assurant que le secteur agricole ne sera pas pénalisé par les importations de produits agricoles en provenance d'Amérique du Sud?
Martine Hansen: Pour l'ensemble des accords de libre échange, je m'engage à l'échelle européenne à ancrer et faire respecter les clauses miroirs. Par exemple, on ne peut plus permettre l'importation de produits pour lesquels ont été utilisés des pesticides interdits dans l'UE. Le commissaire Olivér Vârhelyi, en charge de la Santé, veut livrer du concret avant la fin de l'année. À Bruxelles, il faut faire preuve d'endurance, sans être assuré d'obtenir les résultats escomptés.