"Plus de personnel, de proximité et de prévention"

Interview: Paperjam (Thierry Labro et Marc Fassone)

Paperjam : Quel regard portez-vous sur votre première année au ministère des Affaires intérieures?

Léon Gloden : Nous avons bien travaillé jusqu'à aujourd'hui. Je vais vous raconter une petite histoire. Peu après mon assermentation, j'ai croisé dans la rue François Bausch, mon prédécesseur aux Affaires intérieures. Il m'a félicité et m'a dit la chose suivante: « Le plus beau jour dans une carrière de ministre, c'est celui de la prestation de serment. Après tu ne reçois que des coups. » J'en ai effectivement reçu pas mal... Mais le poste continue de me passionner. L'éventail des affaires que j'ai à superviser est très large: la sécurité civile, la police, les communes, l'immigration et ensemble avec le Premier ministre et le ministre des Affaires économiques le service secret. Police et communes, je connaissais la matière. Ce sont des sujets sur lesquels j'ai longtemps travaillé. Ce n'était pas le cas de l'immigration. C'est une matière que j'ai dû assimiler. Une matière importante où la dimension humaine est prépondérante. Personne ne quitte son pays natal juste pour le plaisir. Il faut en être conscient. Je suis très fier de cette administration de près de 200 personnes qui fait chaque jour un très bon boulot dans un contexte psychologique pas évident.

Paperjam : Puisque l'on parle de coups, le projet de loi 8426, le Platzverweis, conséquence directe de la polémique sur la lutte contre la mendicité agressive devait être déposé en début d'année. Il ne l'a été que ce 25 juillet. Pourquoi un tel retard?

Léon Gloden : La polémique autour de la mendicité m'a pris beaucoup de temps. Ce qui a eu des conséquences sur l'élaboration du texte. Il a été présenté ce 2 octobre devant la Commission des affaires intérieures.

Paperjam : Hors toute polémique, en quoi ce projet est-il si important pour le gouvernement?

Léon Gloden : Il donne à la police plus de pouvoirs en face d'éventuels troubles à l'ordre public. Entre le Platzverweis actuel, tel que défini par la loi de 2018 sur la police et la détention administrative qui permet de mettre en prison pour 24 heures une personne qui porte atteinte d'une façon imminente et grave à l'ordre public, il n'y avait rien. En2018, le Conseil d'État avait déjà critiqué cette absence de modalités précises, tout comme la police et les syndicats policiers. Ce vide, cette zone grise qui compliquait le travail de la police est désormais comblé. Désormais, si le rappel à l'ordre d'un individu perturbant l'accès à un lieu privé ou public s'avère insuffisant, la police peut procéder à son éloignement, le cas échéant par la force. La réforme précise les modalités de cet éloignement: jusqu'à un kilomètre et pour une durée de 48 heures. La police doit alors rédiger un rapport circonstancié qui est transmis au bourgmestre qui en cas de récidive endéans un certain délai peut décider de faire éloigner cette personne pendant 30 jours. Si cette personne ne respecte pas cette mesure, il y aura une amende pénale. Ces deux étapes sont également des nouveautés. Lorsque j'ai présenté ce dispositif devant la commission, à l'exception des députés déi Lénk, je n'ai pas senti une opposition farouche. Un autre point que j'ai rappelé en commission, c'est l'application dans le travail de la police du principe général de la proportionnalité. Cette réforme était une promesse très importante du gouvernement dans le domaine de la sécurité. Il est important que tout le monde puisse accéder et profiter sereinement de l'espace public.

Paperjam : Pensez-vous qu'éloigner une personne d'un kilomètre pendant 48 heures soit une mesure suffisante et surtout applicable?

Léon Gloden : Ce dispositif vise avant tout à résoudre une situation ponctuelle. C'est un remède ponctuel à une situation ponctuelle pour remédier à un incident ponctuel. J'ai insisté sur ce point devant les députés. Avec ce projet de loi, nous avons également déposé un texte sur la modernisation du règlement communal de police qui donne la base légale des compétences du bourgmestre en matière de salubrité, de tranquillité et d'ordre public local qu'il fallait réformer sur certains points suite à l'adoption de la nouvelle constitution.

Paperjam : Ce remède ponctuel a-t-il vocation à s'appliquer pour lutter contre la mendicité ou le trafic de drogues qui sont souvent des situations de nuisance sur l'espace public?

Léon Gloden : La mendicité simple n'est plus interdite. Le Code pénal sera changé sur ce point. Cela relève du ministère de la Justice et je ne connais pas l'état d'avancement de leurs travaux. Ce texte n'est pas pris pour embêter un mendiant tranquillement assis avec son gobelet au coin de la rue. Par contre, si la mendicité est agressive, ce dispositif aura vocation à s'appliquer. En matière d'affaires de drogue, la police agit en vertu du Code pénal. Le Platzverweis est un instrument de police administrative. Pour ce qui est de la lutte contre le trafic de drogue, c'est une de mes priorités. Nous travaillons sur des propositions permettant une lutte plus efficace. Mais il nous faut plus de moyens légaux. Comme la possibilité de fouiller une maison sans attendre 6 heures du matin. Je discute avec la ministre de la Justice et elle est d'accord pour que des changements soient faits dans le Code pénal et le Code de procédure pénale. Il faut aussi pouvoir utiliser les moyens techniques modernes pour appréhender les trafiquants de drogue. Il me semble nécessaire de surveiller internet et les messageries privées. Nous sommes en train de travailler sur un projet de loi permettant la reconnaissance automatique des plaques d'immatriculation. Nous devons être un des seuls pays d'Europe alors que le transit est très important à ne pas avoir un tel dispositif. L'objectif est de renforcer la surveillance sur les autoroutes. C'est important. Nous avons aussi adhéré au club des pays ayant de grands ports où les trafiquants ont pu prendre pied. L'objectif est d'apprendre afin de pouvoir faire face à ces intrusions.

Paperjam : Un des effets collatéraux de la polémique sur la mendicité agressive a été la révélation au grand jour la dégradation des rapports avec Martine Solovieff, la procureur générale. Quels sont vos rapports actuellement?

Léon Gloden : Je ne l'ai pas rencontrée très souvent. Elle fait son boulot en tant que procureur générale d'État et moi je fais le mien en tant que ministre.

Paperjam : Une de ces critiques qu'elle formulait, c'était le manque d'effectifs de police judiciaire sur le terrain. Où en êtes-vous en termes de renforcement des effectifs?

Léon Gloden : Je partage le constat posé par madame Solovieff et je tente d'y remédier. J'ai déjà décidé d'augmenter le nombre de personnes recrutées par vague de recrutement. Nous sommes passés de 160 à 200. Ce 3 octobre, nous avons présenté la nouvelle campagne de publicité pour le recrutement de la police. Le but est de montrer la diversité des emplois et des carrières offertes. La police est l'un des plus gros employeurs du Luxembourg avec 3.300 personnes, en civil comme en uniforme. Et dans les jours qui viennent, nous allons déposer un projet de loi sur les passerelles entre les carrières Blet Cl dans la police pour faciliter le recrutement. L'idée est de valoriser le diplôme de fin d'étude, ce qui permettra potentiellement à 400 policiers détenteur de ce diplôme aujourd'hui dans la carrière Cl d'accéder à la carrière supérieure, la B1. C'était une des promesses de notre parti lors de la campagne. Promesse qui a trouvé sa place dans la déclaration gouvernementale. Promesse dont j'ai vraiment tenu à ce qu'elle soit implémentée rapidement.

Paperjam : Quels sont vos rapports avec les syndicats alors qu'une polémique se développe au sujet de Christian Hoffmann, secrétaire général du SNPGL, qui serait harcelé par sa hiérarchie à cause de son engagement syndical?

Léon Gloden : J'insiste sur l'importance qu'il y a à tisser une relation de confiance entre le ministère, la direction générale de la police et avec les syndicats. Il me tient à cœur que nous ayons un dialogue basé sur les arguments. C'est pour cela que j'ai tenu à ce la police puisse aviser l'avant-projet de loi Platzverweis avant qu'on le dépose. Et ce que j'ai lu dans la presse me confirme que nous sommes avec les syndicats sur la même longueur d'onde. Bien sûr, chacun a son rôle à assumer. Un syndicat n'est pas un ministre. Il y aura probablement des sujets sur lesquels nous ne trouverons pas toujours un accord. Mais le dialogue doit être la et ce dialogue doit être transparent et mené de façon objective. C'est pour cela que j'ai décidé de convier une fois par an tous les représentants des syndicats pour discuter non seulement des projets de loi, mais aussi des problèmes qui se posent sur le terrain pour essayer d'apporter des réponses. Pour ce qui est du cas de Christian Hoffmann, je ne commenterais pas cette affaire à ce stade.

Paperjam : Votre grand chantier est l'instauration d'une police locale. Quels sont vos objectifs en la matière et pouvez-vous dresser un premier bilan de l'expérimentation en cours à Luxembourg-Ville et à Esch-sur-Alzette?

Léon Gloden : Je parle toujours lorsque j'évoque la police des 4 P: plus de personnel, plus de présence, plus de proximité et plus de prévention. Un rapport de l'inspection générale de la police (IGP)qui dit que la loi de 2018 sur la police pâtit de l'absence de tout principe de proximité. Selon l'IGP, 80% du travail de la police se fait dans l'intervention et seulement 20% dans la prévention. Cela est dû à plusieurs facteurs, dont l'absence de personnel. C'est la principale raison pour laquelle j'ai tellement bataillé pour cette police locale. Qui n'est pas une police à part, mais une unité à l'intérieur de la police normale. C'est un projet pilote qui nous permettra d'accumuler de l'expérience et de répondre à des questions concrètes comme le fait de savoir s'il faut de nouveau donner aux bourgmestres le statut d'officier de police judiciaire qu'ils ont perdu en 1999. Ce qui reviendrait à les faire passer sous l'autorité partielle du procureur. On constate que ce n'est pas une demande des autorités municipales. Sur le terrain, le feed-back des personnels et des citoyens est bon, notamment en termes d'amélioration de la sécurité. Nous sommes en train de travailler sur l'élaboration de critères objectifs pour savoir ou déployer ces unités. Il y a des demandes émanant de certaines villes, de sites touristiques et aussi des régions. Nous réfléchissons également à la composition de cette police locale. Si au départ l'idée était d'affecter définitivement des policiers à cette unité, nous évoluons vers un système de rotation.

Paperjam : La police locale est un moyen de renforcer la présence policière. Quel premier bilan tirez-vous sur cet aspect particulier?

Léon Gloden : On vient de me poser une question parlementaire sur le nombre d'arrestations de trafiquants de drogue. Je n'ai pas encore répondu, mais j'ai demandé les chiffres à la police et on m'a déjà dit dans le quartier de la gare, il y a eu une augmentation sensible des arrestations et une amélioration globale de la situation, et également dans le tram. On peut toujours faire mieux. Mais cela passe par une augmentation des moyens et du personnel. Il n'y a pas de solution miracle. On me remonte aussi que les gens remis dans les mains de du juge d'instruction se retrouvent rapidement dans la rue. Et que nous arrêtons souvent des récidivistes... C'est un problème que le ministère de la Justice doit résoudre.

Paperjam : Vous êtes avec Max Hahn, ministre de la Famille, des Solidarités, du Vivre ensemble et de l'Accueil, en charge du dossier sensible de l'immigration. Vous dites vouloir être ferme et responsable. Qu'est-ce que pour vous une politique d'asile ferme et responsable?

Léon Gloden : Une politique responsable doit faire en sorte que les gens qui remplissent les conditions pour obtenir le statut d'asile aient les meilleures chances possibles de pouvoir s'intégrer si on leur accorde le statut. Pour ceux qui n'ont aucune chance de l'obtenir et dont le retour est inévitable, il faut les aider à retourner assez rapidement dans leurs pays. Il faut des structures pour cela. C'est pour cela que nous avons créé une maison de retour volontaire, un élément très important de notre politique. Les gouvernements précédents l'avaient mis à chaque fois dans leur déclaration et ils n'ont jamais réussi à la mettre sur pied. Cette maison, provisoirement aménagée au sein de la structure d'hébergement d'urgence, installée au Kirchberg. On y aide les gens avec des conseils et de l'argent afin qu'ils puissent reprendre pied dans leur pays d'origine et se construire un futur. Il y a également un encadrement psychosocial avec une équipe de cinq psychologues. Cette structure peut accueillir jusqu'à 175 personnes. Il n'y aura aucun enfant non accompagné. À la différence d'un centre de détention, les personnes hébergées dans cette mission peuvent se déplacer librement dans la journée. Ils sont juste obligés de rentrer le soir. Dans cette discussion autour de l'asile, je distingue toujours asile et migration. Dans le premier cas, les gens sont soit menacés de prison ou de mort à cause de leurs religions, de leurs engagements politiques ou de guerres. Dans le second cas, ils sont ä la recherche d'un travail, d'une meilleure situation matérielle. Le Luxembourg a toujours été un pays ouvert et beaucoup d'étrangers contribuent ou ont contribué au développement de la richesse nationale. Mais leur présence fait désormais débat dans la société. Je pense qu'il faut discuter des sujets liés à l'immigration, à l'asile et à la sécurité. Ce sont des sujets centraux pour la société sur lesquels il ne faut pas faire l'impasse. On voit où cela peut mener. Mais il faut en discuter avec les partis du centre de l'échiquier politique. Toutes ces discussions vont s'intensifier dans les mois à venir, localement comme au niveau européen. Il va falloir notamment reprendre les travaux sur la directive Retour, un texte qui n'a toujours pas abouti. Il faudra plus de solidarité entre les pays membres de I'UE et aussi mettre plus de pression sur les pays qui ne jouent pas le jeu du retour. Cela va demander beaucoup d'énergie. Une énergie qui j'espère ne manquera pas pour intégrer les personnes présentes sur notre territoire à bon droit.

Paperjam : Combien le Luxembourg peut-il intégrer de ces personnes?

Léon Gloden : Il est impossible de donner un chiffre absolu. Je constate que le Luxembourg offre proportionnellement huit fois plus de lits que la France et entre trois à quatre fois plus de lits que la Belgique et les Pays-Bas. C'est un effort très sérieux pour le Grand-Duché. Nous constatons également une baisse de 25% des demandeurs de protection internationale.1.308 depuis le début de l'année contre 1.740 sur la même période l'an passé. On note une forte baisse des demandes émanant de Syrie.

Paperjam : Suite aux contrôles renforcés à la frontière allemande, y a-t-il eu des cas de personnes refoulées vers le Luxembourg? Et comment traitez-vous ces cas?

Léon Gloden : D'abord, je réaffirme que ces contrôles sont contraires au droit et à l'esprit européen. Maintenant que l'Allemagne n'est plus en période électorale, j'espère que la pression va se relâcher. D'autant plus que, si j'ai bien compris, ces contrôles ne produisent pas les effets espérés. Ceci dit, tout au début de l'instauration de ces contrôles, deux personnes n'ont pas reçu la permission d'entrer sur le territoire allemand et ont été remises à la police luxembourgeoise. Sans base légale. La police allemande a été prévenue que nous n'accepterions plus cette pratique. Quant aux deux personnes concernées, elles se sont évaporées.

 

 

 

Regierungsmitglied

GLODEN Léon

Datum des Ereignisses

07.10.2024