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Le 1% artistique, pour intégrer l'art dans les bâtiments publics
Interview : Paperjam (Céline Coubray)
Les établissements publics tels que les bâtiments communaux, étatiques ou paraétatiques ont l'obligation d'intégrer la commande d'une œuvre d'art à l'occasion de la construction ou la transformation de leurs bâtiments. Explications avec le ministre de la Culture, Eric Thill, et le président de la commission de l’aménagement artistique, Kevin Muhlen.
Paperjam: Pourquoi est-il important pour le ministère de la Culture de soutenir la loi du 1% artistique?
Eric Thill: Elle permet de mettre en avant l'art et l'architecture, d'inclure l'art dans nos espaces et bâtiments publics. L'accessibilité à la culture est une des priorités et cette loi y contribue, dans toutes les régions du Luxembourg, dans un esprit de décentralisation.
Paperjam: Est-ce qu'il s'agit d'une "obligation de décoration"?
Eric Thill: C'est une obligation, certes, mais je considère surtout cette loi comme un bon investissement dans la culture, dans l'art.
Les bâtiments publics investissent dans la conception de leurs bâtiments et dans leur construction, et il me semble normal et logique que les acteurs étatiques aient responsabilité de mettre l'art en vitrine et de le montrer à tout le monde.
Kevin Muhlen: Dans les discussions qui sont menées en amont et lors des évaluations des propositions artistiques qui sont menées par la suite, la notion de décoration n'est pas au centre des discussions. La volonté de cette loi est de créer un dialogue entre une oeuvre et un bâtiment, un artiste et un architecte, des utilisateurs, une communauté qui vit dans ce bâtiment.
Les propositions s'orientent souvent dans cette direction de dialogue avec le public, avec des oeuvres interactives ou qui entrent en résonnance avec l'architecture.
Paperjam: La loi relative au 1% a été révisée le 8 mars 2023 en suivant la recommandation 20 du Kulturentwécklungsplang 2018-2028. Quelles sont les différences par rapport à la loi précédente qui datait de 1999?
Eric Thill: Le plus grand changement est la création du comité artistique et de la commission de l'aménagement artistique. Le comité artistique, composé pour chaque projet, accompagne le maître d'ouvrage au moment de la sélection de l'oeuvre d'art et de son intégration dans le bâtiment. La commission de l'aménagement artistique est devenue un organe permanent qui a la mission de conseiller et d'informer les maîtres d'ouvrage et les artistes de cette loi.
Kevin Muhlen: Désormais, la loi est aussi entièrement entre les mains du ministère de la Culture, alors qu'auparavant, elle était partagée entre l'Administration des bâtiments publics et le ministère de la Culture. Ce qui a permis au ministère de la Culture de reformuler la loi et d'avoir une vue plus complète sur le projet.
Paperjam: Pouvez-vous rappeler quels sont les bâtiments concernés? Et donc les commanditaires présupposés?
Eric Thill: La loi s'adresse à tous les acteurs étatiques, paraétatiques et aux communes.
Elle s'applique à partir du moment où la construction du bâtiment est financée à hauteur d'au moins 25% par l'État et que le bâtiment a pour vocation d'accueillir du public. Si l'Administration des bâtiments publics a déjà pris cette habitude de commande artistique, il est important de souligner que les communes ont une responsabilité à prendre.
Paperjam: Si cette loi est une obligation, existe-t-il des mesures contraignantes?
Eric Thill: Non, pas pour le moment.
Kevin Muhlen: Avec la commission, nous sommes là pour informer et développer la visibilité du 1% artistique. Nous rectifions également une certaine désinformation, par exemple sur le fait que les maîtres d'ouvrage pensent que le ministère de la Culture va leur donner une subvention pour réaliser ce projet. Or ce n'est pas le cas, puisque le projet doit être financé, comme l'indique son nom, à hauteur de 1% des coûts de construction du bâtiment.
C'est donc une démarche qui doit être intégrée dans le budget de construction du bâtiment. Mais nous sommes là pour les accompagner et répondre aux questions, avec l'expérience que les membres de cette commission artistique ont acquise dans des comités précédents.
Paperjam: Comment s'assurer de la qualité des œuvres commandées, ainsi que du processus de commande, pour éviter l'effet de copinage ou l'écueil d'un art de moindre qualité?
Eric Thill: Il y a une procédure claire dans la loi pour que la sélection des oeuvres d'art soit objective et qualitative. Lemaître d'ouvrage est également accompagné par le comité artistique, qui le conseille et l'accompagne dans le processus de la sélection du projet artistique.
Kevin Muhlen: Il y a aussi une condition d'anonymat lors des jurys. Les dossiers sont numérotés et analysés sur des critères d'évaluation comme la qualité artistique, l'intégration dans le bâtiment, la faisabilité, le budget... Les noms ne sont dévoilés qu'à la fin du processus. Il existe donc un cadre pour que la sélection soit neutre, objective et justifiée.
Paperjam: Comment les artistes peuvent-il avoir accès à ces projets?
Kevin Muhlen: Les appels à projets sont diffusés et s'adressent aux artistes professionnels.
Ces derniers doivent répondre à des cahiers des charges spécifiques. Nous parlons en général de gros projets, donc il faut savoir quand même les porter au niveau de la production et de la mise en place. C'est bien entendu ouvert aux artistes luxembourgeois, mais ce sont des marchés européens. Ce qui aide à la diversification des propositions et des oeuvres.
Paperjam: Existe-t-il un inventaire de ces œuvres?
Eric Thill: En ce qui concerne les bâtiments publics, c'est l'Administration des bâtiments publics qui les comptabilise. Au total, environ 70 oeuvres sont présentes dans les bâtiments publics, mais ce chiffre concerne aussi des oeuvres qui n'entrent pas dans le cadre du 1%. Pour les communes, il n'existe pas encore de chiffres.
Mais nous sommes en train d'essayer de mettre cela en place au ministère dans le cadre de l'Observatoire de la culture.
Paperjam: Le ministère de la Culture peut-il intervenir dans la mise en valeur, l'entretien ou la restauration de ces œuvres publiques?
Kevin Muhlen: Non, car la propriété est entre les mains du maître d'ouvrage. C'est à eux de valoriser l'oeuvre, de l'entretenir et de la restaurer si le besoin apparaît. L'idée est d'encourager une cohabitation réelle, et donc de s'approprier l'ouvre, y compris dans l'entretien. Il s'agit aussi de responsabiliser les maîtres d'ouvrage.
Paperjam: Est-ce que cette loi peut être rétroactive pour les maîtres d'ouvrage qui avaient cette obligation et ne l'ont pas appliquée?
Kevin Muhlen: Non, ce n'est pas le cas. Le potentiel de cette loi est moins intéressant rétroactivement, car l'idée est bien de créer un dialogue entre l'oeuvre d'art et le bâtiment. Si on intervient une fois que le bâtiment est construit, cela est beaucoup plus limitant. Pour que le projet soit une réussite, il faut qu'il soit intégré dans le processus de construction le plus tôt possible.
Eric Thill: Nous devons encore fournir des efforts concernant la communication autour de cette loi, notamment auprès des communes, pour mieux la faire connaître et donc appliquer. En tant qu'ancien bourgmestre de la commune de Schieren, cela me tient à coeur d'informer les différents bourgmestres de cette loi.