"Avec une volonté politique affirmée et une coordination efficace, il est possible de bâtir un écosystème de recherche et d'innovation performant et interconnecté"

Interview: Échos des entreprises

Échos des entreprises: Conformément aux engagements pris dans le cadre de l'accord de coalition, le gouvernement veut introduire le principe du "Once Only". Dans cette optique, le projet de loi 8395 a été déposé et poursuit désormais sa procédure législative. La FEDIL se félicite de la simplification administrative et de l'administration proactive que générera cette loi. Il a également été annoncé que la plateforme MyGuichet.lu sera optimisée, notamment avec la création d'un "guichet unique pour entreprises", une avancée particulièrement attendue par nos membres. Pouvez vous nous en dire plus sur les étapes qui mèneront à ce guichet unique pour entreprises? Y aura-t-il une priorisation dans les démarches concernées?

Stéphanie Obertin: Le CTIE s'engage en permanence dans l'amélioration de Guichet.lu et de MyGuichet.lu, en collaborant étroitement avec les ministères et administrations afin d'élargir continuellement l'offre de démarches administratives accessibles en ligne. Ces avancées bénéficient aussi bien aux particuliers qu'aux entreprises. Pour ces dernières, les équipes travaillent actuellement sur la mise en place d'un espace professionnel certifié au sein de MyGuichet.lu. Cet espace leur offrira la possibilité d'effectuer un plus grand nombre de démarches qu'aujourd'hui, renforçant ainsi la simplicité et l'efficacité des services en ligne. Ce projet revêt une importance particulière dans le cadre du règlement eIDAS, qui assure la reconnaissance mutuelle des identités numériques au sein de l'Union européenne et qui introduit notamment le EUDI Wallet. Grâce à ce règlement, les entreprises pourront accéder à des services étrangers avec les mêmes garanties et le même niveau de sécurité pour leurs données personnelles. Toutefois, pour qu'un portefeuille électronique "entreprise" puisse être opérationnel, il devra être alimenté par des données issues d'un espace professionnel certifié. Mes équipes sont donc à pied d'oeuvre pour respecter les conditions et les délais à cette mise en place.

Échos des entreprises: L’e-commodo est un sujet sur lequel la FEDIL s'est penchée plus particulièrement. Si aujourd'hui déjà le dépôt/la transmission de dossiers peut se faire par voie électronique via la plateforme myguichet, quelle est votre vision de la digitalisation des procédures? Ne pourrait-on pas intégrer à court terme l'IA pour soutenir les entreprises dans leurs démarches ou encore envisager, à moyen terme, l'automatisation dans le traitement même des dossiers d'autorisation?

Stéphanie Obertin: Bien sûr. L'intelligence artificielle pourrait devenir un véritable levier d'assistance pour simplifier ces démarches. Son intégration pourrait se faire de manière progressive, en plusieurs étapes. La première consisterait à faciliter la recherche d'informations. Aujourd'hui, les utilisateurs doivent parcourir une multitude de sources pour obtenir des réponses précises. Une IA permettrait d'orienter plus efficacement leurs recherches. Par exemple, une personne souhaitant créer une entreprise pourrait poser ses questions et recevoir des réponses adaptées en temps réel.

Ensuite, FIA pourrait automatiser le traitement des documents. Elle serait capable d'effectuer des tâches répétitives, comme la classification automatique des pièces jointes ou l'extraction de données essentielles. Dans le cadre d'une déclaration d'impôts, par exemple, elle pourrait identifier et extraire les montants des justificatifs pour les intégrer directement au bon formulaire. Enfin, l'intelligence artificielle pourrait aussi devenir un outil d'aide à la décision, tout en maintenant l'humain au centre du processus. Elle pourrait analyser des demandes, comme celles de subventions, et proposer des recommandations. Toutefois, la décision finale resterait entre les mains d'un agent humain. Bien entendu, cette évolution soulève plusieurs enjeux, notamment en matière de protection des données, d'éthique et de transparence des algorithmes. L'IA doit demeurer un outil au service des utilisateurs, sans jamais se substituer à la responsabilité humaine. L'objectif est d'optimiser les démarches administratives tout en garantissant leur accessibilité et leur équité pour tous.

Échos des entreprises: Un autre pilier important du projet de loi 8395 porte sur l'accès et la réutilisation, par les acteurs privés, des données détenues par les organismes du secteur public, en lien avec la mise en oeuvre du Data Governance Act. Cette mesure devrait particulièrement bénéficier aux PME et start-ups en soutenant leur innovation, notamment dans le domaine de l'intelligence artificielle, où l'accès aux données est un facteur clé de développement de solutions performantes. Certains secteurs d'activité sont-ils spécifiquement ciblés par cette initiative? Quelles garanties seront mises en place pour assurer la protection des données tout en favorisant leur réutilisation, et comment cela va fonctionner en pratique?

Stéphanie Obertin: Une législation facilitant l'accès et la réutilisation des données publiques par les acteurs privés constituera, sans aucun doute, un levier majeur de développement économique pour les entreprises, indépendamment de leur secteur d'activité. En accédant à ces données, les entreprises pourront concevoir des services innovants, favorisant ainsi l'émergence de startups et de nouveaux modèles économiques fondés sur la "data economy".

Le partage de données dans un cadre sécurisé et structuré renforcera la collaboration entre organismes publics et privés sur des projets d'intérêt général. De plus, les partenariats avec le secteur public offriront aux PME et startups un accès à des ressources autrement inaccessibles. Toutefois, un élément clé demeure: la confiance des citoyens. Il est donc essentiel d'établir un cadre de réutilisation des données robuste et cohérent, assorti d'un contrôle rigoureux. Un organisme compétent devra ainsi être chargé d'autoriser ou de refuser l'accès et la réutilisation des données détenues par les entités publiques.

Dans ce contexte, le projet de loi 8395, qui doit être lu en parallèle du règlement (UE) 2022/868, vient compléter le cadre européen par des dispositions nationales. Il désigne le Commissariat du gouvernement à la protection des données auprès de l'État comme l'organisme compétent pour gérer les autorisations d'accès et de réutilisation des données publiques, lui conférant ainsi le rôle d'Autorité des données centralisée. Le CTIE et le Luxembourg National Data Service sont quant à eux chargés d'appuyer l'Autorité des données dans l'exercice de ses missions. Enfin, afin d'éviter tout conflit d'intérêts et de préserver la confiance des citoyens dans la gestion de leurs données par les acteurs publics, la loi prévoit la possibilité pour le CTIE de recourir aux services d'un tiers de confiance.

Échos des entreprises: Lors de la réunion du Haut Comité à la Transformation Numérique du 3 mars, les stratégies nationales en matière d'intelligence artificielle, de technologies quantiques et de données ont été présentées, avec un aperçu des ambitions et des actions prévues pour leur mise en oeuvre. Quelles sont les prochaines étapes pour finaliser et concrétiser ces stratégies? À quelle échéance peut-on s'attendre à leur publication officielle?

Stéphanie Obertin: Ces trois stratégies sont en cours d'élaboration et sont coordonnées par quatre entités: le Service des médias, de la connectivité et de la politique numérique, le ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, le ministère de l'Économie et le ministère de la Digitalisation. La réunion du Haut Comité du 3 mars a permis de faire le point sur leur avancement et d'engager un échange transversal sur leurs principaux axes. Pour rappel, le Haut Comité regroupe des membres du gouvernement ainsi que des représentants de la société civile, du patronat, de la recherche publique et des experts. Il constitue ainsi une instance clé dont la consultation était essentielle. À présent, les textes sont en phase de finalisation et seront soumis au Conseil de gouvernement lors du premier semestre 2025.

Échos des entreprises: Dans une récente Carte Blanche dans l'Écho des entreprises, Martine Reicherts, présidente du FNR, a insisté sur la mise en place d'une collaboration efficace entre la recherche publique, l'industrie et le gouvernement qui nécessite une coordination et une volonté de travailler ensemble. Elle estime que "surmonter les silos organisationnels et les intérêts divergents est un défi majeur!" Quelle est votre vue des choses et existe-t-il des initiatives dans ce sens?

Stéphanie Obertin: Je partage pleinement l'analyse de Mme Reicherts: surmonter les silos organisationnels et conjuguer les efforts de la recherche publique, de l'industrie et du gouvernement est en effet un défi majeur. Mais c'est aussi une condition essentielle pour maximiser l'impact de la recherche et accélérer la transformation économique du pays. Conscient de cette nécessité, le gouvernement luxembourgeois a initié plusieurs actions concrètes. Un exemple est la mise en place du Tech Transfer Strategy Group (TTSG), réunissant des représentants du ministère de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, du ministère de l'Économie, de Luxinnovation, de l'incubateur Technoport et des institutions de recherche publiques. Ce groupe de travail a pour mission de proposer un plan d'action visant à améliorer le transfert de technologies et à favoriser la création de spin-offs issues de la recherche publique.

L'appel conjoint dans le domaine de la défense, lancé en 2022 par les ministères de la Défense, de la Recherche et de l'Enseignement supérieur, de l'Économie et le FNR, illustre l'efficacité d'une approche collaborative. Cette initiative a permis à des acteurs privés et publics de codévelopper dans le cadre de pas moins de 13 projets retenus pour financement, des solutions innovantes dans les domaines prioritaires de l'espace et des matériaux.

Cette initiative, répétée en 2024 avec un deuxième appel dans les domaines de la mobilité intelligente et de la résilience climatique, démontre qu'avec une volonté politique affirmée et une coordination efficace, il est possible de bâtir un écosystème de recherche et d'innovation performant et interconnecté.

Échos des entreprises: Dans le cadre du renouvellement des régimes d'aides à la recherche, au développement et à l'innovation, le gouvernement a manifesté l'intention de renforcer le recours aux appels à projets, et notamment ceux financés conjointement avec le Fonds National de la Recherche et avec le soutien de Luxinnovation. L'objectif est d'inciter ainsi les entreprises à collaborer avec les organismes de recherche publics dans des domaines clés pour la diversification économique du pays. Pour ce faire, est-ce que les stratégies de ces organismes publics seront adaptées? Quelles en seront les priorités?

Stéphanie Obertin: La Stratégie nationale de la recherche et de l'innovation vise à établir un cadre pour permettre à la recherche d'agir comme moteur de diversification économique et d'innovation dans l'industrie, les services et le secteur public. A cette fin, elle encourage la création de partenariats public-public et public privé. Plusieurs instruments de financement du Fonds National de la Recherche (FNR) sont déjà en place dans ce contexte, dont les appels thématiques conjoints BRIDGES avec différents ministères et avec le soutien de Luxinnovation.

Dans le cadre des nouveaux programmes pluriannuels, les institutions de recherche publiques sont encouragées à adapter leurs stratégies afin de s'aligner sur la volonté gouvernementale de renforcer les appels à projets collaboratifs, en particulier dans les domaines stratégiques pour la diversification économique.

La nouvelle loi en préparation sur le FNR accordera une attention encore accrue à la valorisation et au transfert de technologies. Les priorités stratégiques de la Stratégie nationale de la recherche et de l'innovation, qui servent de base à divers instruments de financement du FNR, seront revues régulièrement, comme prévu par le programme gouvernemental. Cette révision tiendra notamment compte des trois stratégies nationales sur les données, les technologies quantiques et l'intelligence artificielle.

Ces stratégies, déjà évoquées plus haut, mobilisent plusieurs ministères (État, Recherche et Enseignement supérieur, Digitalisation, Économie), dans une logique d'interopérabilité et de complémentarité. L'objectif est de créer des conditions propices à la réalisation de projets à fort potentiel, à la fois sur le plan technologique et économique. Les priorités seront donc doubles: d'une part, renforcer la capacité des organismes publics à collaborer efficacement avec les entreprises, notamment les PME; et d'autre part, concentrer les efforts de recherche sur des domaines où le Luxembourg peut se positionner en précurseur au niveau européen et international.

Échos des entreprises: La valorisation des résultats de la recherche publique est essentielle pour l'innovation. La FEDIL est d'avis qu'il serait nécessaire d'établir des règles communes pour tous les acteurs de la recherche publique, notamment sur la gestion de la propriété intellectuelle et les aspects financiers liés aux droits IP, comme le partage des revenus issus des licences ou des brevets, afin d'apporter plus de clarté aux entreprises et aux chercheurs sur la question de l'appartenance des droits IP. Quelles actions comptez-vous entreprendre pour harmoniser ces règles et garantir un cadre clair et attractif qui facilite le transfert de technologies entre la recherche publique et le secteur privé?

Stéphanie Obertin: La valorisation des résultats de la recherche publique est en effet un pilier fondamental pour une politique d'innovation ambitieuse. Le gouvernement partage pleinement l'avis de la FEDIL sur la nécessité d'un cadre clair, cohérent et harmonisé en matière de propriété intellectuelle. Le Tech Transfer Strategy Group (TTSG), dédié au soutien des start-ups et spin-offs issues de l'Université du Luxembourg et des centres de recherche publics que j'ai déjà évoqué, a pour mission non seulement d'accompagner le transfert technologique, mais est également chargé d'identifier les obstacles actuels à la valorisation, y compris les incohérences en matière de règles de propriété intellectuelle, et de proposer des solutions pour les surmonter. Cela permettra d'établir un cadre transparent, plus attractif et compréhensible pour les chercheurs comme pour les industriels. L'objectif n'est cependant pas d'augmenter simplement le nombre de brevets, mais de transformer les résultats de recherche en valeur économique tangible, via des projets d'entreprise viables, évolutifs et créateurs d'emplois au Luxembourg. En effet, l'expérience montre que l'inventeur initial, propriétaire d'une idée, n'est pas toujours le mieux placé pour développer un résultat de recherche ou un modèle. Il s'agit donc de trouver une réponse à la question de savoir comment se positionner au mieux en tant que pays pour valoriser les résultats de la recherche, comment réunir les partenaires les plus appropriés autour d'un projet en vue de le valoriser. Il s'agit également de mobiliser davantage de capital-risque.