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Jean-Claude Juncker, Transcription du discours à l'occasion du Forum financier belge, Bruxelles
Monsieur le gouverneur honoraire, cher Fons,
Mesdames et Messieurs,
et pour beaucoup d’entre vous chers amis,
Je n’ai pas choisi le sujet. On m’a imposé un sujet, et je vais le traiter à ma façon et pas nécessairement à la façon dont vous auriez voulu que je l’entende, puisque vous formulez le sujet dont je dois traiter sous forme de question, en me proposant la question "la gouvernance de la zone euro peut-elle être améliorée ?" C’est une question suggestive. Vous m’avez dit, Monsieur le gouverneur, que j’aurais à ma disposition 20 minutes, 30 minutes. Je ne peux donc pas répondre à la question "la gouvernance peut-elle être améliorée ?"non, parce que cela me priverait du plaisir de vous exposer un certain nombre d’idées.
Je voulais vous dire combien je suis heureux d’être à la Banque nationale et d’être l’invité du Forum financier. Il est vrai qu’il existât entre nos deux pays, la Belgique et le Grand-Duché, une longue histoire qui ne fut pas toujours d’amour en matière économique et monétaire. Et contrairement à d’autres, je n’ai aucun regret d’avoir vu le franc belgo-luxembourgeois être remplacé par l’euro, sauf que j’éprouvais énormément de plaisir à écouter Fons du temps de son gouvernorat venir nous expliquer, année après année, le rapport de la banque qu’il distinguait toujours, qu’il subdivisait toujours en deux parties : une partie belge - très critique - et une partie grand-ducale - très laudative. On a bien aimé ce discours comparatif aux nombreuses vertus.
Question suggestive, disais-je, à laquelle il faudra non pas répondre d’une façon négative, mais sous une forme de prolongation de l’interrogation qui m’est lancée. L’Eurogroupe est l’instance par excellence où la gouvernance économique de l’espace euro s’organise, s’articule, s’exprime. Nous devons la naissance de l’Eurogroupe au traité de Maastricht, dont on parle peu, puisque c’était un traité aux succès multiples. On aime des traités européens imparfaits, on n’aime pas parler des traités qui ont connu du succès.
J’étais parmi ceux qui ont négocié le traité de Maastricht. J’ai présidé la conférence intergouvernementale qui a conduit à ce traité et donc j’en reste un partisan farouche, d’autant plus que ceux qui avaient signé le 7 février 1992 ce traité ont dû affronter de nombreuses critiques au moment où le processus qui nous conduisit vers l’Union économique et monétaire fut lancé. Naïf lisais-je, irresponsable me disais-je parfois à lire les nombreux articles provenant du monde académique. Rare étaient ceux qui à l’époque avaient pensé que les Européens seraient à même d’arriver aux termes de leur effort de fusion monétaire, puisqu’une telle expérience ne s’était jamais faite dans le monde moderne. Les Européens, les Américains, d’autres, ne pensaient pas que nous serions capables d’y parvenir. J’en suis d’autant plus content, que je suis le seul ministre des Finances toujours en fonction qui a signé le traité de Maastricht. Je dis parfois que l’euro et moi-même nous sommes les seuls survivants du traité de Maastricht et j’en tire une certaine fierté.
Je disais que nous devons la naissance de l’Eurogroupe à ce traité, puisque les négociateurs du traité de Maastricht devaient trancher une question qui était une question qui se posait notamment entre la France et l’Allemagne. Vous vous rappellerez sans doute qu’en Allemagne la théorie prédominante était celle qu’on appelait à l’époque la théorie du couronnement. C’est-à-dire nous mettrions d’abord en place l’union politique, puis nous coordonnerions nos politiques économiques et puis nous introduirions, le moment venu - c’est-à-dire jamais - la monnaie unique. La France et d’autres ne partageaient pas cette vue stricte des choses et donc nous avons décidé vers la fin des années 1980, début des années 1990, de procéder différemment en mettant en place – puisqu’il ne saurait y avoir d’État européen puisque l’Union Européenne ne correspond à aucune des définitions généralement enseignées en nos facultés lorsqu’il s’agit de décrire la réalité étatique – une autorité monétaire bien structurée, unifiée quant à ses modes de comportements, et par nature et par nécessité très visible sur un plan international. Nous amis français, qui voulaient ancrer la notion de gouvernement économique dans le traité de Maastricht, faute de pouvoir organiser une adhésion suffisante, ont choisi avec les autres - nous étions 12 à l’époque - de dire que les politiques économiques, tout en restant de compétence essentiellement nationale, devaient être d’intérêt communautaire et donc devaient être coordonnées davantage.
En fait nous n’avions pas d’autre choix à l’époque que d’opérer celui que je viens de vous décrire. Ce débat, cette lutte - une lutte d’influence entre le pôle monétaire et le pôle économico-politique - était très vive au moment de la signature de la négociation du traité de Maastricht. Ce débat rebondit à intervalles très réguliers. Vous l’aurez observé, comme moi, ces derniers mois, au moment où la croissance est défaillante, où l’inflation repart, où nous connaissons des turbulences financières que nous observons, où nous constatons la volatilité des taux de change, que nombreux sont ceux qui essayent de réalimenter par de nouveaux propos, mais non pas par de nouvelles idées, ce débat qui m’apparaît comme étant un débat déjà vieux.
Nous avons vu le directeur général du Fonds monétaire international récemment nous expliquer que nous avions un grave déficit de coordination des politiques économiques et que la Banque européenne était, d’après l’expression qui fut la sienne, superpuissante, voulant dire par là que le pôle monétaire sans doute se voyait accorder une importance autrement plus grande que celle que le pôle économico-politique s’accorde à lui même ou se voit en règle générale être accordée par les observateurs.
Ce débat sur la coordination des politiques économiques – dont je dis qu’il faudra l’améliorer – est un débat qui n’est pas un débat sans pièges. Je vois en fait deux pièges majeurs. Le premier est d’ordre économique, le deuxième est d’ordre politique.
Le piège que je qualifierais de piège politique consiste à ne pas démentir ceux qui ne cessent de prétendre que la Banque centrale européenne serait hypersensible à l’inflation et que le contrepoids économique qu’il faudrait apporter à la position de la Banque pour la nuancer, consisterait à encourager en fait une politique qui serait plutôt orientée vers la croissance et vers l’emploi et non pas vers la stabilité des prix, et que donc pour ce faire il faudrait renforcer le pôle économique.
J’ai toujours pensé que les traités sont là pour être observés. Le traité de Maastricht, tout comme ceux qui l’ont suivi, déclare comme objectif absolument prioritaire de la Banque centrale européenne le maintien de la stabilité des prix. Il n’est donc pas question de ne pas respecter les termes mêmes du traité. La Banque centrale, pour ce faire, se voit accorder une indépendance qui ne veut pas dire invitation permanente à l’autisme pérennisé, mais qui veut dire que la Banque est libre dans ses décisions. Elle ne doit rendre compte à personne. Le traité même y mène. J’ai toujours trouvé cette formule strictement ridicule qu’aucune institution n’a le droit d’interférer dans les décisions de la Banque. Disposition qui est aisément compréhensible, mais qui ne veut pas dire que les autres acteurs de la vie politique et économique devraient se taire devant les sagesses énoncées par la Banque centrale.
Démocratie veut dire débat. Traité veut dire : je dois suivre celui qui décide. Mais le traité ne dit pas qu’il ne faut pas pouvoir opiner lorsqu’on est d’une opinion contraire. Je voudrais seulement que les hommes politiques qui le font le fassent avec retenue et un certain savoir de la chose dont ils parlent, ce qui n’est pas toujours le cas, tout comme d’ailleurs la Banque parle parfois d’éléments de politique sociale et sociétale sans avoir sur ce point une connaissance qui me surprendrait par la profondeur de la science qui est mise en œuvre.
Indépendamment de cela, je considère, et je considérais toujours, que ce trade off entre stabilité des prix, lutte contre l’inflation et politique orientée vers la croissance et vers l’emploi n’a pas lieu d’être. L’économie générale de nos comportements ne se résume pas à faire un choix entre soit une politique anti-inflationniste et une politique orientée vers les objectifs de croissance et d’emploi. On peut vouloir les deux à la fois.
Nous avons observé notamment pendant les années 1970 qu’une surprioritisation d’un élément des deux peut conduire à la catastrophe. Toutes les politiques qui avaient été mises en œuvre pendant les années 1970 dans un certain nombre de pays entourant le vertueux Grand-Duché ont conduit non pas aux résultats voulus, mais très souvent aux résultats inverses.
La conséquence pour moi : la banque, indépendante, prend charge de la stabilité des prix et – est parfaitement fondée à poursuivre cet objectif et à mettre en place toutes les décisions généralement quelconques qui sont rendues nécessaires par le maintien, par la nécessité du maintien de la stabilité des prix. Ceux d’ailleurs qui prétendent qu’une politique orientée vers la stabilité des prix serait antisociale ou non sociale ou peu sociale par essence se trompent lourdement, puisque les franges de population à revenu modeste sont les premières à souffrir d’un élargissement et d’un approfondissement de l’inflation. Je dis par conséquent que la stabilité des prix formulée comme le fait le traité et appliquée comme le fait la Banque est par essence une politique sociale sur le moyen et sur le long terme.
On compare souvent le mandat de notre banque à celui de la Federal Reserve américaine, la FED, en disant que oui, la FED a tout de même ce double objectif, stabilité des prix mais aussi croissance et emploi. Il ne faut pas comparer ce qui a priori n’est pas comparable. Du côté de l’offre, les États-Unis se présentent dans une situation autrement plus confortable voire alléchante que l’Europe, qui est faible du côté des performances monétaires de l’offre, ce qui explique que les décisions monétaires sont plus largement et plus rapidement transmis vers l’économie réelle aux États-Unis que tel ne serait le cas en Europe.
Par conséquent, il ne faut pas trop s’inspirer aux modes de comportement de la Federal Reserve, qui évolue dans un contexte qui est strictement non comparable aux rigidités européennes que nous observons chez nous. On dit beaucoup de bien de la FED. Toujours est-il, sagesse de l’autorité monétaire américaine ou non, que l’économie américaine aujourd’hui est au bord de la récession et que l’inflation est à 4,3 %. Par conséquent, suivre chaque jour et dans chaque geste la politique monétaire et la politique économique américaine me semblerait être de mauvaise inspiration au moment où je vous parle.
Il y a à côté de ce piège économique du débat sur la gouvernance de la Banque un autre qui est politique. Nous avons le traité de Maastricht qui a été suivi par celui d’Amsterdam et par celui de Nice et maintenant nous sommes à la veille de la ratification du traité de Lisbonne. Maintenant où les traités sont soumis aux examens parlementaires ou souverains - je parle de l’Irlande – […], à un moment où le traité de Lisbonne, qui attend sa ratification dans les 27 pays, reconduit le dispositif pôle monétaire, pôle politique tel qu’il fut ancré dans le traité de Maastricht, il ne faut pas nous lancer dans un débat qui consisterait à nous demander quels autres changements institutionnels il faudrait apporter au traité. Attendons d’abord que celui qui est en train d’être examiné soit ratifié et appliquons ce traité avec toute la rigueur voulue. Mais ne donnons pas aux Européens l’impression que nous ne serions pas surs d’avoir réglé le dialogue et la coexistence entre le pôle économique et le pôle monétaire d’une façon qui ne répondrait pas aux exigences de notre époque.
En fait, 10 années après le lancement de la monnaie unique au 1er janvier 1999, le bilan que nous pouvons tirer est plutôt positif. On n’explique jamais aux Européens - je me demande d’ailleurs pourquoi - les avantages de la monnaie unique, puisqu’on croit qu’on les avait suffisamment expliqués avant le lancement de la monnaie unique et on n’explique jamais suffisamment aux Européens les nombreuses performances qui en fait sont celles de l’euro.
Je me rappelle, au moment où nous avons signé le traité, on nous accusait, puisque nous étions tous catégorisés comme étant des monétaristes aveugles, que la monnaie unique, très certainement, conduirait vers des cataclysmes et des catastrophes sur nos marchés de l’emploi. Or, il faut constater 10 années après l’introduction de l’euro, que nous avons créé sur l’ensemble de l’espace euro 17 à 18 millions d’emplois. Nous devons constater que nous avons corrigé vers le haut, dans tous nos pays, les taux d’emplois, qui étaient largement sous-développés par rapport aux économies concurrentes. Nous avons créé pendant les 8 années précédant l’introduction de l’euro 3 millions d’emplois et pendant les 8 années qui ont suivi l’introduction de l’euro 15 millions d’emplois. En France, entre 1999 et 2006, 3 millions d’emplois ont été créés. Sur la seule France, l’introduction de l’euro n’a pas empêché l’économie française de créer 3 millions d’emplois, le même nombre que nous étions capable de créer sur l’ensemble de la zone euro pendant les 8 années qui précédèrent l’introduction de la monnaie unique. Donc en termes d’emploi, tous ceux qui nous avaient prédit toutes sortes de catastrophes se sont lourdement trompés. La coordination des politiques économiques après 10 années d’expérience de fusion monétaire n’est pas une performance qui m’impressionnerait, mais elle n’est pas non plus négligeable.
Nous avons dans une résolution du Conseil européen du 13 décembre 1997 que j’avais l’honneur de présider, adopté une résolution sur le renforcement des politiques économiques, un texte que rares sont ceux qui s’en souviennent et que je rappelle parfois l‘attention de mes collègues au sein de l’Eurogroupe.
Nous nous étions dits à l’époque, contre l‘opposition farouche de nos amis britanniques, suédois, danois et autres, italiens au début – parce que l’Italie n’était pas sure de faire partie du groupe des pays à pouvoir adopter la monnaie unique au 1er janvier 1999 – instaurer cet Eurogroupe, parce que nous avions l’impression que les ministres des Finances en charge de la gestion collective et solidaire de la monnaie unique auraient des intimités à échanger qui ne regarderaient pas les autres et qui n’intéresseraient pas au même degré les autres. Il s’agissait d’organiser les spécificités de la zone euro et il nous avait semblé que le meilleur endroit pour ce faire serait constitué par ce groupe informel de l’Eurogroupe, qui n’est pas une institution formelle du Conseil des ministres, mais un groupe d’amis intéressés par une aventure qui ne faisait que commencer.
Nous nous étions mis d’accord sur la nécessité qu’il y aurait au niveau de la zone euro de surveiller d’une façon plus étroite nos politiques macroéconomiques respectives, dont je vous rappelle que le traité nous renseigne qu’elles sont de la responsabilité nationale mais qu’elles doivent être conduites dans l’intérêt de l‘Union européenne. Il nous avait semblé que l’intérêt immédiat pour surveiller les politiques macroéconomiques était plutôt dans le cadre de la zone de la monnaie unique que sur l’ensemble de l’Union européenne. Nous nous étions mis d’accord dans cette résolution, et nous la pratiquons, sur la nécessité qu’il y aurait d’insister davantage sur la surveillance budgétaire. Vous vous rappelez les critères de convergence de Maastricht - le premier pacte de stabilité et de croissance - et donc l’intérêt fut évident de consacrer une bonne partie, sinon une majeure partie de nos travaux à un exercice de surveillance budgétaire.
Je constate, après avoir amendé le pacte de croissance et de stabilité pendant une autre présidence luxembourgeoise en mars 2005, que nous avons su donner au pacte de stabilité et de croissance une lecture davantage économique et non simplement budgétaire et de chiffrage anonyme. Aujourd’hui, les déficits budgétaires sur l’ensemble de la zone euro sont descendus en dessous de 1 %, alors que tel n’était pas le cas il y a 3 années. Je constate que le volet correctif du pacte de stabilité fonctionne non pas à merveille, mais d’une façon satisfaisante, puisque nous avons pu sortir des procédures de déficits excessifs à peu près tous les pays membres de la zone euro. Il nous reste un pays qui échappera à cette procédure plus ou moins lourde en cours d’année.
Nous avons - il s’agit bien là de coordination des politiques économiques - subdivisé la zone d’application du pacte de stabilité en deux espèces. Nous avons ajouté un peu de souplesse au volet correctif. On doit réduire les déficits budgétaires, mais on doit les réduire moins qu’on aurait dû les réduire sous le régime précédant lorsque l’économie va mal. Et nous avons renforcé le volet préventif du pacte de stabilité, invitant les pays membres de la zone euro à faire usage de leurs excédants fiscaux, qui seraient dus à la bonne conjoncture, d’une façon à réduire la dette publique et les déficits budgétaires. Nous ne voulions plus répéter les erreurs qui furent les nôtres vers la fin des années 1990 où la bonne conjoncture ne fut pas mise à profit pour assainir les finances publiques. Les finances publiques aujourd’hui se portent mieux qu’elles ne l’avaient fait auparavant et donc il s’agit là d’un autre succès de la coordination des politiques économiques, notamment prises sous l’ange de vue de la surveillance budgétaire.
Est-ce que je ne me fais aucun souci à ce sujet ? Non, je me fais beaucoup de soucis, parce que je crois que les gouvernements de la zone euro ont beaucoup de mal à faire accepter par leurs opinions publiques, c'est-à-dire par les électeurs, par les autres ministres et par l’ensemble des parlements, cette nécessité qu’il y a d’économiser, d’épargner, d’être sérieux quand tout va bien. Il est plus facile d’expliquer à une opinion publique chancelante que si tout va mal des sacrifices sont demandés. Il est ultra difficile de demander à vos populations des sacrifices lorsque les budgets de l’État se portent à merveille, comme tel est le cas dans un certain nombre de nos pays.
Parlant de coordination de politiques économiques, nous avions retenu en décembre 1997, et nous le faisons depuis et avec une intensité renouvelée depuis quelques mois, nous nous étions mis d’accord sur le fait qu’il faudrait que nous discutions régulièrement de la politique de change et des taux de change. Lourd débat, parce qu’un certain nombre d’observateurs insuffisamment positivement inspirés prétendent que la politique de change est une affaire trop sérieuse pour les gouvernements et qu’il faudrait laisser ça au seul soin de la Banque centrale. Il est vrai que sur ces pans de l’action économico-politique que décrit la Banque, elle est en règle générale est mieux inspirée parce que moins portée sur le court terme que les gouvernements. Dire que les gouvernements doivent s’abstenir en matière de politique de change est une interprétation erronée du texte du traité de Maastricht qui fait bien de la politique de change une zone de coopération entre la Banque centrale, la Commission et les gouvernements, étant entendu que la prédomination de la Banque est toujours sauvegardée.
Nous passons à l’Eurogroupe des heures et des heures à discuter entre nous et avec le président de la Banque centrale de la politique de change, ayant entendu que la Banque ne connaît pas un objectif de taux de changes. Donc nous sommes tous, à peu près tous, d’accord sur cet élément de la politique de l’autorité monétaire francfortoise.
Il était même dit dans cette résolution du Conseil européen de décembre 1997 que nos efforts de coordination des politiques économiques devraient porter sur les politiques fiscales, sur les réformes fiscales et devraient servir entre autre un but qui serait de mettre un terme aux dispositions fiscales dommageables qu’il pourrait y avoir dans un certain nombre de nos pays.
Cet Eurogroupe ne dispose donc pas d’une véritable base légale au sens traité du terme, parce que le traité de Maastricht, ni celui d’Amsterdam, ni celui de Nice ne le mentionnent. Mais comme nous l’avions mis en place par une résolution du Conseil européen, il s’est progressivement et d’une façon informelle institutionnalisé. Cette forme informelle de l’Eurogroupe pose beaucoup de problèmes, puisque nos débats sont par essence confidentiels et ne sont pas portés vers l’extérieur. Il serait d’ailleurs très peu prudent d’exporter vers l’extérieur les échanges que nous avons entre nous sur les taux de change, parce qu’il s’agit là d’une matière, comme vous le savez, ultra sensible. Je tiens donc beaucoup à l’aspect confidentiel de nos travaux.
L’inconvénient est que l’Eurogroupe, parce qu’il doit se soumettre aux règles de la confidentialité y compris dans sa communication, apparaît, et de très loin, comme beaucoup moins visible que la Banque centrale qui peut parler lorsqu’elle a envie ou ressent la nécessité de parler. Tel ne peut pas être le cas pour l’Eurogroupe. Mais je constate comme une émancipation déguisée de l’Eurogroupe sur les dernières années, puisque nous sommes passés d’une espèce de soft governance vers une forme plus ouverte de communication des décisions vers l’extérieur. De temps à autre et d’une façon de plus en plus régulière, nous nous mettons d’accord sur des termes de référence que nous présentons à la presse et au public et en règle générale nous le faisons de concert avec la Banque centrale, lorsque ces termes de référence portent sur des sujets à intérêt commun.
Cette émancipation déguisée est surtout perceptible au niveau de la surveillance multilatérale […]. Les éléments de peer review et de peer pressure sont très développés. Bien sûr sur ces problèmes-là on ne peut pas communiquer d’une façon qui gênerait ceux qui dans un débat entre collègues - 12 au début, 15 maintenant - ont eu un point de vue difficile à défendre. Je peux vous dire que lorsque nous parlons des budgets nationaux, qu’ils soient français, allemand ou autre, grec, portugais, les débats sont bien animés.Je ne crois pas qu’il serait sage que nous disions vers l’extérieur tout ce que nous nous sommes dits à l’intérieur. Là, la peer review et la peer pressure sont très exigeantes puisque nous demandons aux ministres «fautifs» entre guillemets de s’expliquer ou de décrire comment le gouvernement qu’il représente, compte réagir aux critiques de la Commission, de la Banque et des autres collègues et nous demandons, après deux ou trois réunions des résultats déjà tangibles de la prise de décision au niveau du gouvernement, visant à changer le cours des choses que nous aurions et que très souvent nous avons critiqués.
Nous observons pour le reste qu’il y a en matière de coordination des politiques économiques comme un manque d’appropriation nationale. Très souvent les gouvernements nationaux, y compris le mien, considèrent que les ministres des Finances se réunissent à Bruxelles une fois par mois, discutent de la coordination des politiques économiques et que cela ne peut produire aucun résultat au niveau des actions nationales que les uns et les autres sont appelés à prendre. Donc, il faudra toujours expliquer et réexpliquer que les ministres des Finances réunis au sein de l’Eurogroupe ne représentent pas seulement le petit point de compétence qui est le leur, mais qu’ils représentent leur gouvernement et que les décisions qui sont prises ou les suggestions qui sont émises, méritent une traduction immédiate dans les réalités gouvernementales nationales.
Nous avons pu enregistrer aux cours des mois écoulés quelques beaux succès en matière de coordination des politiques macroéconomiques. Je vous donne deux ou trois exemples. Nous avons décidé, en 2005 déjà, au moment où les prix pétroliers commençaient à s’envoler, qu’aucun pays membre de la zone euro ne devrait avoir une réaction de politique fiscale face à l’envolée des prix pétroliers. Ne pas réduire la fiscalité sur l’énergie et sur les produits pétroliers, telle fut la règle générale émise pour l’ensemble de la zone.
Nous avons décidé à Manchester et plus tard, que tout devait être fait pour éviter des effets de second tour qui nous guettent à chaque fois qu’au niveau de l’évolution des prix, notamment pétroliers, les mouvements sont enclenchés. Nous avons récemment, devant des interrogations que nous lançait la situation américaine, décidé qu’il ne saurait y avoir en Europe une réaction du même type que celle sur laquelle se sont mis d’accord les autorités politiques et monétaires de l‘autre côté de l’Atlantique. Vous avez vu Monsieur Bush, encouragé en fait par la Federal Reserve, développer et lancer un plan de relance budgétaire qui porte sur 1 % du PIB.
Nous avons pensé alors que le débat commençait à prendre forme dans un certain nombre de pays, qu’une telle réaction ne serait pas de mise ne Europe, pour la simple raison que la situation des deux économies n’est pas comparable. Nous ne sommes pas en récession, elle ne nous menace pas. Nous avons des taux de croissance non pas mirobolants, mais tout de même satisfaisants, bien qu’en 2008 nous évoluons en-dessous de notre potentiel de croissance, mais moins en-dessous de notre potentiel de croissance que les Américains évolueront en-dessous de leur potentiel de croissance. Nous n’avons pas le problème du double déficit, qu’ont nos amis américains, problème sur lequel nous avions again and again rendu attentif dans nos propos publics et dans nos entretiens privés les autorités américaines pour les mettre en garde contre les risques de dérapage qu’entraînerait le maintien sur une trop longue durée de ce double déficit, double déficit dont je disais que nous ne l’avons pas, puisque notre balance des paiements est largement excédentaire.
Si nous n’avions pas l’Eurogroupe, si nous n’étions pas d’accord sur la nécessité qu’il y a d’accorder dans nos 15 pays nos violons face à un choc externe, certains de nos pays, à en juger d’après les débats nationaux qu’on a pu observer, auraient lancé sans aucun doute, comme ils l’avaient fait précédemment, des plans de relance budgétaire, et donc nous aurions réagi d’une façon totalement dispersée, voire contradictoire, aux problèmes américains qui ne sont pas des problèmes qui devraient pouvoir nous désintéresser.
Le dialogue avec la Banque centrale européenne fonctionne bien. Je lis partout, parfois, c’est devenu plus calme ces derniers mois, que les relations entre la Banque centrale européenne et l’Eurogroupe seraient détestables, que les deux pôles ne se parleraient pas, que les deux Jean-Claudes seraient en guerre ouverte. Il n’en est rien. Nous avons des échanges réguliers au conseil des gouverneurs. Le président de la Banque centrale assiste à toutes les réunions de l’Eurogroupe. J’ai des entretiens hebdomadaires avec lui et donc sur ce point je ne vois pas comment le dialogue, dans ses aspects formels, pourrait être amélioré et sur le fond des choses. Quoi qu’on en dise, il n’y a pas de différences majeures entre l’appréciation de la plupart des ministres et celle de la Banque centrale.
Cet échange notamment sur les changes nous a permis d’imposer en Europe une discipline verbale que nous n’avions pas et que nous observons depuis quelques mois d’une façon qui me surprend parfois, puisque les gouvernements, sauf de très rares exceptions, n’ont pas des propos critiques qui se contrediraient entre eux-mêmes. Il y a parfois des dérapages, surtout en période de campagne électorale, mais en règle générale la discipline verbale a été beaucoup améliorée. Ce qui était important, puisque ceux qui nous observent de loin et qui ne comprennent pas très bien ce que nous faisons, étaient toujours dérangés par le fait de ne pas savoir qui pouvait parler pour l’Europe, puisque il y avait des présidents - cela arrive de temps à autre - des premiers ministres et des ministres des Finances qui ajoutaient allégrement à la confusion générale que nous avions engendré en tenant des propos qui n’étaient pas concordants.
Pour le reste, et parlant des taux de change, des politiques de change, il ne faut pas croire que le monde serait simple. Moi, je lis parfois qu’il suffit que l’Eurogroupe se saisisse de cette question, ce qu’elle a d’ailleurs fait, que nous disions à la Banque ce qu’il conviendra de faire ou que nous nous mettions d’accord avec la Banque sur ce qu’il faudrait faire, que nous disions aux autres au G7 : « voilà nous avons décidé quel l‘euro est surévalué, qu’il ne peut plus augmenter. Nous avons décidé que le dollar est sous-évalué, nous avons décidé que le yen et le yuan sont sous-évalués, s’il vous plaît, appliquez nos décisions ! »
Le monde ne fonctionne pas comme cela. Nous ne pouvons pas par notre seule volonté imposer notre façon de voir aux autres acteurs de la scène monétaire et économique internationale. Par conséquent pour important qu’il soit, que nous soyons d’accord entre Banque et Eurogroupe sur la bonne politique de change à avoir - et nous sommes d’accord - encore faut-il savoir convaincre les autres. Et d’ailleurs nous avons, à côté des entretiens réguliers que j’ai avec les ministres américain, japonais et chinois des Finances, pour la première fois - je crois que c’était en novembre - délégué une mission se composant du président Trichet, du commissaire en charge des Affaires monétaires Monsieur Almunia et moi-même en Chine, pour mieux nous expliquer à l’égard de nos amis chinois, dont nous contestons un certain nombre d’éléments de politique monétaire. Amis chinois dont nous pensons qu’ils doivent être revus pour atteindre une situation qui permettrait à l’Europe de ne plus devoir être le seul pôle du paysage économique mondial à supporter, et d’une façon exclusive, l’ajustement des déséquilibres globaux que nous observons et dont à de nombreuses reprises nous avions dit qu’il ne faudrait pas que cet ajustement se fasse d’une façon désorganisée, ce que malheureusement il est en train de faire en partie pour l’instant.
Enfin, les Européens n’étaient pas impressionnés de voir l’Eurogroupe, la Banque et la Commission aller en Chine, mais les Chinois l’étaient, non seulement par politesse – moi je suis souvent en Chine, donc j’arrive à catégoriser les réflexes chinois qui naviguent entre détermination et politesse, parce que les Chinois – surtout lorsqu’un Luxembourgeois leur explique le cours des choses – ont toujours tendance à dire que tous les États, toutes les nations sont égales en droit. Je me rappelle la première visite en 1995 que j’avais faite en Chine, le Premier ministre chinois m’expliquait "voilà, nous sommes un peu plus nombreux que vous Luxembourgeois, mais les deux nations, la même dignité, la même influence et tout ça". J’étais le seul du côté luxembourgeois qui émit quelques doutes et les autres Luxembourgeois qui étaient avec moi se sentaient définitivement confirmés dans leur analyse des réalités, ce qui me fit dire au Premier ministre chinois que j’avais dans ma délégation deux Luxembourgeois qui parlaient couramment le chinois et si toutes les national étaient égales en dignité et en influence, combien de Chinois il y avait de sont côté qui parlaient couramment le luxembourgeois. Nous avons gagné 2:0 sur cette affaire !
Donc il ne faut pas se tromper. Mais tout de même nous sommes entrés dans un dialogue macroéconomique et monétaire structuré avec la Chine, ce qui en termes de représentation extérieur de la zone euro fut tout de même un événement que la petite histoire monétaire de l’Europe retiendra le jour venu, parce que en fait en matière de représentation extérieure nous sommes assez faibles, parce que notre représentation extérieure reste fragmentée. Le président de l’Eurogroupe assiste aux réunions du G7, c’est très bien. Le président de l’Eurogroupe prend la parole aux réunions du comité intérimaire. Je dois toujours prendre place sur la chaise belge, parce que la Belgique mène la constituency dont fait partie le Luxembourg. Et l’Eurogroupe n’en a pas qui lui appartiendrait. Donc je dois veiller à ce que Didier Reynders ou Guy Quaden quittent au bon moment la chaise pour que j’attrape le micro pour pouvoir parler dans le micro belge pour l’Europe.
Mais notre représentation extérieure, notamment au niveau des grandes institutions internationales reste fragmentée. Nous sommes représentés au Fonds monétaire international par des constituantes diverses. Il faudrait que la zone euro soit représentée par une seule chaise. Or, les pays qui sont les chefs de file des différentes constituantes, tout européens qu’ils soient par ailleurs, ont quelques difficultés à ne plus avoir de chaise. Ils la perdront parce que le cours de l’histoire va dans ce sens et les gouvernements qui veulent doter la zone euro d’une représentation unique au sein du Fonds monétaire international deviennent de plus en plus nombreux et donc cette représentation unique se fera un jour ou l’autre.
Le traité de Lisbonne qui a emmagasiné toutes ces grandes et petites évolutions que je suis en train de vous décrire fait maintenant de l‘Eurogroupe une institution formelle, puisque le traité de Lisbonne, le traité réformateur de Lisbonne - qui n’est pas un traité simplifié ou s’il est un traité simplifié est compliqué - précise quels sont les domaines de compétence de l’Eurogroupe et lui donne un pouvoir décisionnel sur ses propres affaires qu’il n’avait pas sous l’empire du traité de Maastricht et des traités qui l’ont suivi.
Les grandes orientations de politique économique seront décidées par les seuls membres de l’Eurogroupe pour la zone euro et donc la spécificité à l’intérieur de l’Union européenne de la zone euro en ressortira grandie. La Commission se voit attribuer le droit, qu’elle n’a pas à l’heure où nous sommes, de lancer aux États membres de la zone euro qui seraient fautifs en matière budgétaire des early warnings sans l’accord des autres gouvernants. Ce qui est une petit bombe atomique que la Commission détient entre ses mains pour raisonner préalablement les gouvernements qui ne seraient pas dans les clous du pacte de stabilité, dont la mise en œuvre a beaucoup profité des éléments de procédure que nous avons su glisser dans ses modes de fonctionnement en procédant, par exemple, au mois d’avril, puis au mois de juin, à des revues budgétaires à moyen terme, dans des préparations européennes au niveau de l’euro, de la zone euro des différents budgets nationaux qui sont introduits dans les parlements nationaux.
Je prétends donc que oui, la gouvernance de la zone euro peut être améliorée et doit être améliorée à de nombreux égards. Je prétends que nous n’avons pas besoin, au-delà de cette mission mise en place par le traité réformateur de Lisbonne, de nouvelles institutions. Ce dont nous avons besoin, c’est une véritable appropriation nationale par les autorités parlementaires et gouvernementales nationales, une nécessité découlant de la coordination des politiques économiques. Ce dont nous avons besoin est une réelle volonté politique de mieux nous accorder entre nous.
Le débat portant sur la coordination des politiques économiques, débat nécessaire, débat qui a conduit a certains progrès, n’est pas un débat contrairement à ce qui est écrit entre l’Eurogroupe et la Banque centrale, c’est un débat qui doit avoir lieu d’abord entre les gouvernements et avec la Banque ensuite. C’est aux gouvernements d’agir.
Merci.