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Jean Asselborn, Allocution de bienvenue à l'occasion du colloque international "Sharia, citoyenneté et droits de l'Homme", Université du Luxembourg
Monsieur le Recteur,
Mesdames, Messieurs,
Permettez-moi tout d’abord de vous souhaiter la bienvenue à Luxembourg et de vous dire le réel plaisir que j’éprouve de pouvoir m’adresser à un groupe de si éminents experts.
Le débat, que vous êtes sur le point de mener tout au long des deux prochaines journées, tombe à point nommé. Les caricatures danoises, le récent film "Fitna", signé par le député néerlandais Geert Wilders, la question de la liberté d’expression et de la liberté de religion, les discussions menées notamment dans les enceintes onusiennes sur la question de la diffamation religieuse, témoignent de ce fait.
Je voudrais saisir l’opportunité de votre invitation pour faire quelques remarques à ces sujets.
Mesdames, Messieurs,
En cette année du 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, il importe de prôner plus que jamais la tolérance, la non-discrimination, la liberté d’expression, la liberté de pensée, de conscience, de religion et de conviction. Ce sont-là nos valeurs fondamentales sur lesquelles a également été fondée l’Union européenne.
L’analyse de l’histoire du Luxembourg permet de constater qu’avec un taux de 40% d’étrangers, et plus de 130.000 personnes qui franchissent la frontière tous les jours de la semaine pour venir travailler dans notre pays, le Luxembourg a vu sa société changer, évoluer et partant s’enrichir grâce à l’apport d’autres cultures, tout en conservant une identité bien à elle mais ouverte sur les autres. Cette ouverture s’est traduite aussi par une évolution de la relation avec les cultes, relation inscrite dans des conventions entre l’Etat luxembourgeois et les Eglises catholique respectivement protestante, protestante-réformiste, orthodoxe et le culte israélite. Une convention avec le culte musulman est en train d’être finalisée.
Le gouvernement luxembourgeois a toujours soutenu les actions qui visent à promouvoir le dialogue et le respect d’autrui, actions qui font en réalité partie de la diplomatie préventive et de la consolidation de la paix. Alors que les peuples ne demandent qu’à vivre leur foi dans la paix, certains groupes veulent imposer leur vision fondamentaliste, hégémonique et intolérante. L’actualité récente à laquelle j’ai fait référence dans mon introduction, se focalise sur une soi-disant confrontation Islam contre Occident. Or, il ne faut pas confondre Islam et islamisme. L'islamisme cherche à instrumentaliser l’Islam pour couvrir une idéologie qui est celle de l’intolérance et du mépris de l’autre. Plaidons ensemble en faveur d’une conception ouverte et tolérante de toutes les religions.
Il existe bien une alternative à la confrontation des civilisations. Des ponts existent, et il nous appartient de construire ensemble les chemins qui permettent de les franchir afin de favoriser la compréhension mutuelle et l’instauration d’une coexistence pacifique.
L’Alliance des civilisations est un instrument horizontal de première importance dans ce contexte, comme le sont également les initiatives similaires prises par l’UNESCO, le Conseil de l’Europe, l’OSCE ou encore la Fondation Anna Lindh dans le cadre du processus euro-méditerranéen.
C’est dans cet esprit que le Luxembourg a soutenu dès le début l’Alliance des civilisations et a rejoint le groupe des "Amis de l’Alliance". Je souhaite ici souligner le rôle moteur de l’Espagne et de la Turquie - quel symbole - qui sont à l’origine de la création de l’Alliance.
Lors du premier Forum de l’Alliance qui s’est tenu les 15 et 16 janvier derniers à Madrid, l’Alliance a franchi une nouvelle étape, passant à la réalisation de projets concrets dans quatre domaines d’action prioritaires qui sont l’éducation, les médias, la jeunesse et les migrations. Les gouvernements, la société civile et les organisations internationales sont appelés à travailler ensemble pour mettre en œuvre des projets concrets dans chacun de ces domaines.
Le nombre croissant d’Etats qui rejoignent l’Alliance met en lumière l’intérêt que suscite celle-ci et le soutien dont jouissent les divers projets qu’elle a lancés.
Mesdames, Messieurs,
Depuis un certain temps, le concept de "diffamation religieuse" est débattu dans les instances onusiennes, des résolutions y relatives sont présentées dans les organes traitant des questions de droits de l’homme à New York et à Genève. Le Luxembourg et ses partenaires de l’Union européenne estiment cependant que le concept de diffamation des religions n’est pas à mettre en relation avec la question des droits de l’homme. En matière de droits de l’homme, le droit international assure la protection des individus dans l’exercice de leur liberté de religion ou de croyance, et non pas les religions ou les croyances en tant que telles.
Le concept de diffamation religieuse porte en réalité sur la promotion de la protection d’une religion. Ce concept pourrait donc être utilisé pour justifier une limitation, voire même le déni de la jouissance des droits de l’homme par les individus, y inclus la liberté d’expression, sans faire de distinction entre la critique d’une religion en tant que telle, et la protection des individus contre la discrimination basée sur la religion ou la croyance. Or, le droit à la liberté d’expression est, je le rappelle, non-négociable, tout comme l’est le principe de liberté de religion ou de croyance qui comprend le droit d’avoir une religion ou pas, et également le droit de changer de religion.
Cependant, et je pense ici notamment au récent film de M. Geert Wilders, l’offense constitue un encouragement aux extrémistes de tout bord, suscite des tensions entre les cultures, n’aboutit qu’à une polarisation des opinions et renforce les stéréotypes. Toute tentative visant à assimiler l’Islam au terrorisme, à la violence ou aux violations des droits de l’homme, doit être rejetée. La position adoptée par les Ministres des Affaires étrangères de l’UE, lors de leur réunion informelle fin mars, a été très claire à ce sujet.
Le droit à la liberté d’expression implique tout autant la protection des personnes à l’égard d’un langage raciste, discriminatoire ou xénophobe. La liberté d’expression s’accompagne donc d’une responsabilité inhérente à sa jouissance, celle notamment du respect de l’autre.
Liberté d’expression et liberté de religion sont des droits non-négociables. Le principe directeur pour aboutir à un équilibre approprié entre les droits et les libertés qui pourraient parfois entrer en conflit est le sens des responsabilités à l’égard des autres. Les droits s’accompagnent donc de responsabilités. Leur exercice doit se faire en respect des normes internationales et de la juridiction nationale.
Mesdames, Messieurs,
Les nouvelles technologies de communication nous tiennent informés 24 heures sur 24 heures de n’importe quelle situation sur la planète. Il n’empêche que ces technologies, aussi rapides soient-elles, ne permettent pas toujours de tout percevoir, de tout comprendre. C’est là que réside toute l’importance du dialogue, et avant tout de l’éducation.
Dans la même veine, l’extrémisme et le terrorisme sont deux fléaux qui sont d'abord le fruit de l'ignorance et de la peur de l’autre. Mieux valoriser ce que nous savons faire ensemble, souligner l’importance de tout ce qui lie les peuples aussi divers soient-ils, développer les outils de connaissance des faits religieux et de croyance sont les éléments qui témoignent du rôle tout à fait essentiel de l’éducation.
L’éducation demeure, à mon avis, l’arme principale pour combattre le cercle vicieux de l’ignorance. L’éducation à la paix, à la citoyenneté démocratique et aux droits de l’homme, doit être une préoccupation constante de nos sociétés. L’éducation a pour objectif de favoriser le respect d’autrui, la tolérance réciproque et contribuer au dialogue de tous. L’UNESCO poursuit des efforts tout à fait substantiels en matière de dialogue et d’éducation en tant que chef de file du programme "Education pour tous" qui vise notamment à atteindre les deux Objectifs du Millénaire relatifs à l’éducation d’ici 2015, à savoir l’accès universel à l’éducation primaire et l’accès égal des garçons et des filles à l’éducation de base.
Le monde peut relever ces défis en trouvant le chemin de son unité. Autant que le combat pour la démocratie, le combat pour la diversité, pour l’ouverture, pour la tolérance, pour l’acceptation de l’autre dans sa différence, est un élément fondamental de notre politique et constitue d’une certaine manière, le préalable à l’extension des libertés et à l’enracinement de la démocratie. L'enracinement de la démocratie commence par l’acceptation de la différence.
Mesdames, Messieurs,
En cette année européenne du dialogue interculturel, je demeure convaincu que le dialogue peut nous aider à combler les écarts de perception, de concepts et d’idées. Nos engagements doivent être renforcés avec toutes les parties intéressées pour solidifier un dialogue global et constructif dans le respect et la compréhension mutuels.
Au-delà de la diversité, il reste les valeurs fondamentales que nous partageons tous. Par la Charte des Nations Unies, tous les Etats se sont engagés à promouvoir et à encourager le respect universel et l’exercice effectif de tous les droits de l’homme et libertés fondamentales, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion. Ces valeurs sont de même consacrées, comme vous le savez, dans la Déclaration universelle des droits de l’homme dont nous fêtons cette année le 60ème anniversaire. L’universalité des droits de l’homme ne peut en aucune manière être remise en question.
Monsieur le Doyen de la Faculté,
Monsieur le Recteur,
Mesdames, Messieurs,
Vous avez devant vous deux journées de débat intense, dont les conclusions seront d’intérêt non seulement pour les responsables académiques, religieux et acteurs de la société civile que vous êtes, mais aussi pour nous, les responsables politiques.
Je vous souhaite d’excellents travaux et vous remercie de votre attention.