Dernière modification le
Jean-Claude Juncker, Discours à l'occasion de la célébration du 10e anniversaire de l'euro, Parlement européen, Strasbourg
Au fil des 50 dernières années, l’Europe, souvent, a démontré sa capacité de formuler de grandes ambitions, démontré sa capacité aussi de développer l’esprit nécessaire et la détermination nécessaire qu’il faut pour mettre en œuvre d’une façon conséquente les ambitions qu’elle nourrit.
L’Union européenne elle-même en est le meilleur exemple. Tout comme le marché intérieur, tout comme l’élargissement, c’est-à-dire les retrouvailles entre la géographie et l’histoire européennes, tout comme l’Union économique et monétaire dont nous célébrons aujourd’hui le 10e anniversaire.
La route qui a mené à la création de l’Union économique et monétaire et à l’introduction de notre monnaie unique fut longue et la genèse de l’Union économique et monétaire, avec l’impulsion initiale donnée par le Rapport Werner dès 1970, le prouve. Longue genèse qui est passée par le Serpent monétaire, le Système monétaire européen, la création de l’ECU en 1979, le Plan Delors de 1989, le Traité de Maastricht de 1992, tout comme le "non" danois et le "oui" français qu’à l’époque on a qualifié de petit, sans oublier la crise du Système monétaire européen de 1993. Tout ce voyage ne s’est pas fait sans difficultés, ni sans heurts.
Nombreux furent à l’époque les détracteurs de la monnaie unique - que ce soit dans les milieux politiques ou académiques, sans oublier un nombre impressionnant de banquiers centraux - qui estimaient que l’Union économique et monétaire ne pouvait se faire ou ne devait se faire et que si elle devait se réaliser malgré tout, la monnaie unique, pensaient-ils, in fine serait faible et sans lendemain.
Il m’importe de profiter du 10e anniversaire de cet événement phare de l’intégration européenne pour rendre hommage à mon tour à ces hommes qui ont créé l’euro - comme Pierre Werner, Helmut Kohl, François Mitterrand, Jacques Delors, Valéry Giscard d’Estaing et d’autres. Je voudrais ici, une fois de plus, leur vision, leur détermination et leur engagement européen sans faille.
Ceux que j’ai cités, et beaucoup d’autres qui les ont accompagné, n’auraient pas pu s’imaginer le succès si rapide de leur projet politique. Depuis le 1er janvier de l’année en cours, 16 Etats membres participent à l’Union économique et monétaire et l’euro est la monnaie de presque 330 millions de citoyens européens. Ainsi l’euro est devenu le signe le plus tangible de l’intégration européenne, signe tangible reconnu partout dans le monde. L’euro est un ancre de stabilité ; il protège ces citoyens des conséquences les plus adverses de la crise économique.
Après dix ans, force est de constater que l’euro est un succès incontestable !
Or, les anniversaires ne valent que s’ils constituent des ponts vers l’avenir.
Car force est aussi de constater que malgré l’indulgence collective dans l’auto-félicitation, les véritables épreuves pour la cohésion et la cohérence de l’espace euro nous attendent encore. L’année 2009 sera une année extrêmement difficile pour les économies de l’espace euro et pour les citoyens européens et nombreux seront les défis que nous devrons relever, à la fois sur le plan intérieur que sur le plan extérieur.
Sur le plan interne, les gouvernements de l’espace euro vont devoir agir ensembles pour contenir les effets de la crise économique et pour investir dans les assises structurelles de l’économie afin de construire un pont vers l’après-crise. Des situations exceptionnelles exigent des mesures exceptionnelles !
Or, nous ne devrons pas perdre de vue que l’écran protecteur que l’euro a érigé autour de nos économies n’est pas tombé du ciel. Les économies de l’espace euro sont mieux protégées contre les développements économiques négatifs parce que l’appartenance à l’espace euro est une marque de qualité certifiant à ses membres une réelle capacité de mettre en œuvre des politiques macroéconomiques prudentes et des politiques orientées sur la pérennité de la croissance et de la prospérité de ses citoyens. La protection que confère l’euro est donc directement liée à notre crédibilité de mettre en œuvre ces politiques là. Cette crédibilité est le fondement des bénéfices de l’Union économique et monétaire et nous devrons la préserver pour continuer à profiter pleinement des avantages de la monnaie unique.
Sur le plan externe, nous devrons tirer les enseignements politiques de la crise financière et économique internationale. Il existe un lien causal direct entre, d’une part, la crise actuelle avec ses origines aux Etats-Unis et, d’autre part, la persistance d’importants déséquilibres mondiaux. L’absence de transparence, de responsabilité et d’intégrité adéquate au niveau du secteur financier a ensuite été un catalyseur de la crise. Le rétablissement de la stabilité de l’économie financière et réelle à l’échelle globale implique une réforme en profondeur du système financier, mais aussi l’élimination des importants déséquilibres dans le mélange entre consommation globale et épargne globale. Ce rééquilibrage exige la collaboration active des grandes économies en Amérique, en Asie et en Europe. Or, malgré des progrès notables, la représentation internationale de l’euro reste encore souvent trop fragmentée et des intérêts nationaux l’emportent trop souvent sur l’intérêt commun, empêchant l’espace euro d’assumer pleinement la responsabilité politique correspondant à son poids économique et de réaliser l’ensemble des bénéfices économiques conférés par l’Union économique et monétaire.
L’Union économique et monétaire est un projet économique oui, mais l’Union économique et monétaire est d’abord un projet politique. Par conséquent, nous devrons mettre à profit la seconde décennie de l’euro pour parfaire l’Union économique et monétaire en renforçant ses instances politiques sur le plan interne et externe.