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Jean Asselborn, Discours à l'occasion de la visite officielle de S.A.R. le Grand-Duc au Vietnam, Académie diplomatique du Vietnam
Chers membres du corps enseignant,
Chers étudiants,
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais vous dire la grande joie qui est la mienne, de me retrouver ici à Hanoi dans le cadre de la visite officielle de notre Grand-Duc. C’est un moment extrêmement important pour les relations entre nos deux pays et j’espère que la visite de notre Souverain contribuera à approfondir encore davantage les relations amicales entre le Vietnam et le Luxembourg.
Permettez-moi d’abord de vous remercier d’être venus si nombreux aujourd’hui. C’est un grand honneur pour moi de m’exprimer devant vous, ici, dans cette Académie prestigieuse. Je tiens à remercier Mme le Professeur Nguyen et les membres du corps enseignant pour leur accueil extrêmement chaleureux ici à l’Académie diplomatique.
Je me permets de vous adresser ce matin pour vous parler brièvement des relations entre l’Europe et l’Asie en général, et en particulier entre l’Union européenne et l’ASEAN.
- Je souhaite toutefois commencer mon intervention par quelques remarques et réflexions sur l’engagement de l’UE – et plus particulièrement du Luxembourg – dans la région et avec l’ASEAN.
- Le Luxembourg est accrédité auprès de 7 des 10 pays de l’ASEAN. Personnellement, je me suis rendu en 8 pays de l’ASEAN durant ces trois dernières années.
- Notre accréditation auprès du Secrétariat de l’ASEAN montre l’importance et la confiance que nous lui attribuons.
- En dehors de cette présence diplomatique et politique, le Luxembourg est présent sur le terrain depuis 1993 par le biais de son aide à la coopération. Le Vietnam, de même que le Laos, sont des pays partenaires prioritaires de la coopération au développement luxembourgeoise.
- Chaque année, nous finançons des projets au Vietnam à hauteur de 9 mio d'Euros. En mars 2011, le Luxembourg et le Vietnam ont conclu un troisième Programme indicatif de coopération (PIC) pour la période 2011-2015 doté d’une enveloppe indicative de 42 millions d’euros. De par sa politique économique, le Vietnam a su sortir de la pauvreté une grande partie de sa population. L’objectif aujourd'hui est de soutenir ceux des plus défavorisés qui n’ont pas encore entièrement pu profiter du développement économique remarquable et de la croissance continue du Vietnam. Nous nous concentrons notamment sur les secteurs essentiels comme la santé; l’éducation, la formation professionnelle et le renforcement des ressources humaines ainsi que le développement rural intégré et la gouvernance locale.
- Par ailleurs, le Luxembourg est actif aussi dans des domaines innovants de l’aide bilatérale. Nous fournissons un appui au secteur du tourisme et le programme de création d’entreprises du Bureau international du travail (Start Your Business/Improve Your Business) afin de soutenir l’entrepreneuriat.
- D'autre part nous offrons des formations de cadres et d'inspecteurs dans le domaine de la sécurité aérienne.
- Notre agence de transfert de technologie financière a donné des séminaires à quelque 2500 participants vietnamiens ces six dernières années.
Je me réjouis de pouvoir dire que le Luxembourg est l’un des rares pays à respecter le pourcentage d’une aide publique au développement de 0,7 % du RNB tel que fixé par l’ONU, et cela depuis l’an 2000 et qu’un important pourcentage de cette aide est dédiée aux pays le moins développés. En 2010 et 2011, notre pays a su maintenir et même accroître son effort en matière d’aide publique au développement, qui a atteint l’an dernier 1,09 % de notre revenu national brut.
Au-delà de la coopération au développement, plus précisément dans le domaine économique, de nombreuses entreprises luxembourgeoises sont présentes au Vietnam ainsi que dans l’ASEAN, notamment dans les secteurs de la télécommunication, de la logistique et des services financiers.
Savez-vous par exemple
- que la République socialiste vietnamienne a émis des valeurs à la Bourse de Luxembourg ?;
- qu’une grande partie des investissements au Vietnam proviennent du Luxembourg ?;
- que Cargolux, le transporteur de fret luxembourgeois dessert deux fois par semaine l’aéroport de Ho Chi Minh Ville et deux fois celui de Hanoï pour ramener des produits vietnamiens sur le marché européen?
Ayant illustré les relations bilatérales nos deux pays, je souhaite maintenant jeter un regard sur les relations de l’Europe et de l’Asie du Sud-est.
Les relations entre l’Europe et l’Asie du Sud-est se sont développées énormément au cours des dernières années. Cela se reflète principalement dans l’essor de nos relations commerciales. Les chiffres parlent pour eux-mêmes:
- l’UE est le deuxième marché d’exportation pour les pays de l’ASEAN et
- l’Union européenne est le troisième partenaire commercial des pays de l’ASEAN, après la Chine et le Japon.
Mais les relations entre l’Union européenne et l’ASEAN vont bien au-delà de la simple dimension économique. C’est en 1977 que l’UE et l’ASEAN ont établi les premières relations formelles de dialogue. Depuis lors, nous avons continuellement approfondi le cadre général de nos relations.
Il faut souligner que la relation UE-ASEAN est une relation spéciale, presqu’unique, vu la nature des organisations. L’UE, à la différence des autres partenaires importants comme le Japon, la Chine et les Etats-Unis, est aussi une organisation régionale. Qui d’autre à part l’ASEAN et l’UE ont des Conseils ministériels réguliers? Des présidences rotatives ? Un Comité des Représentants permanents ? Un Secrétariat permanent ?
L’UE et l’ASEAN sont des partenaires naturels. C’est pour cette raison que l’UE a, dès le début, apporté son soutien à la mise en œuvre des trois communautés que l’ASEAN veut instaurer d’ici 2015, à savoir les communautés
- politique et sécuritaire,
- économique et
- socio-culturelle.
Les pays de l’ASEAN en coopération avec l’UE ont élaboré divers programmes pour faire avancer l’intégration régionale en Asie du Sud-est et exploiter ainsi son plein potentiel. Pour établir et faire respecter des règles communes, il faut des capacités appropriées. C’est dans ce domaine aussi que l’UE peut et veut partager son expérience et prêter main forte au secrétariat de l’ASEAN. Les projets de formation dans le domaine des statistiques, ou encore autour des droits de propriété intellectuelle, sont d’une grande importance pour pouvoir gérer les complexités d’un marché intérieur commun.
Ce soutien a un impact concret sur la vie quotidienne des centaines de millions des citoyens de l’ASEAN. Et c’est là le but ultime: assurer que la coopération soit au bénéfice de tous les citoyens.
Mais l’UE peut aussi s’inspirer de l’ASEAN. C’est en effet avec un sentiment d’humilité au vu de la crise de la dette souveraine en Europe que je voudrais saluer les efforts communs des pays asiatiques qui, forts de l’expérience de la gestion de la crise financière asiatique en 1997/98, ont tiré les leçons en lançant l’initiative de Chiang Mai dès l’année 2000 afin d’assurer la stabilité financière. Ce cadre a même pu être adapté assez rapidement en 2008/2009 afin de résister aux nouveaux dangers associés à la grande contraction de la finance internationale qui a commencé aux Etats-Unis pour se répandre au reste du monde.
Comme vous le savez, l’euro traverse actuellement une crise de confiance très grave. Nous sommes toutefois confiants que les mesures que nous venons d’adopter lors du sommet des membres de la zone euro le 27 octobre aideront à améliorer la coordination entre les différents acteurs concernés. La mise en oeuvre des mesures décidées se fera avant la fin de l'année et devrait contribuer par là à stabiliser la situation de crise que connaît la Grèce.
L'Europe s'est donnée des instruments préventifs à la fois pour mieux surveiller l'endettement et aussi pour harmoniser l'orientation économique des 17 membres de la zone euro. Si on veut une monnaie commune, il est indispensable d'harmoniser à terme les politiques économique et sociale. Il est non seulement dans l'intérêt de l'UE de trouver une issue stabilisante à cette crise, mais il y va aussi de l'engagement de l'UE comme plus important donateur mondial d'APD (aide publique au développement). L'UE et ses Etats membres contribuent en effet plus de la moitié de l'APD mondiale qui est essentielle pour la mise en oeuvre des objectifs du millénaire. Inutile de dire que cet effort doit se réaliser en étroite coordination avec nos partenaires à l'extérieur de l'Europe.
C’est aussi avec du respect, voire de l’admiration, que nous avons constaté que les économies de l’Asie du Sud-Est ont relativement bien pu résister aux séquelles de la crise économique et financière récente. Ceci dit, je salue aussi que pour parer aux impacts sociaux de la crise, les gouvernements des Etats membres de l’ASEAN ont su introduire des politiques et programmes de protection sociale.
Plus que jamais, il me semble essentiel aujourd’hui de développer encore davantage nos relations, de les rendre encore plus concrètes et durables et de coopérer sur des thèmes d’intérêt commun. Je pense par exemple à une coopération renforcée dans le domaine de la recherche et du développement, où il importe de rapprocher nos universités et instituts de recherche. Le plan de l’ASEAN pour la connectivité touche beaucoup de domaines, comme les infrastructures, le transport, l’énergie ou encore les télécommunications, domaines dans lesquels l’Union européenne à une expérience à faire valoir.
Mais comme dans toutes les relations entre amis, nous avons aussi nos différences de vue. Les membres de l’ASEAN n’apprécient pas toujours que du côté de l’UE nous nous exprimions sur la situation interne de certains pays. Aussi est-il vrai qu’il y a parfois un héritage bilatéral qui ne facilite pas le dialogue. Or, nous estimons qu’il y a des droits et des valeurs qui permettent aussi la critique de l’extérieur. Ce qui ne veut pas dire que nous ne respectons pas le ASEAN way. Nous avons confiance en nos partenaires que les sujets qui nous préoccupent chez vous sont aussi discutés entre vous.
La mise en place en 2009 d’une Commission intergouvernementale des droits de l’homme de l’ASEAN est un grand pas en avant. J’espère que la création du tout premier mécanisme de protection des droits de l’Homme en Asie inspirera d’autres pays asiatiques de faire de même, ou, pourquoi pas, d’aborder la question des droits de l’homme avec les pays de l’ASEAN. Dans ce contexte je voudrais souligner que le respect de l'Etat de droit et des droits de l'homme sont des vecteurs essentiels favorisant le développement économique et social d'un pays.
A ce sujet je me félicite des développements encourageants qui ont eu lieu au Myanmar récemment. La libération de prisonniers politiques est un pas dans la bonne direction et j'ose croire que les autorités du Myanmar continuent sur cette voie. Je suis confiant qu’en coopérant avec ses partenaires de l’ASEAN, le Myanmar va continuer sur la bonne voie et sera prêt à assumer la présidence du groupe dans un avenir proche.
Toutefois, il importe de garder à l’esprit que toute coopération dans les domaines économiques et politiques peut se dégrader rapidement si la stabilité et la sécurité dans la région ne sont pas assurées.
Les initiatives de l’ASEAN dans ce domaine, comme notamment le Forum régional de l’ASEAN (ASEAN Regional Forum – ARF) et le Sommet de l’Asie de l’Est (East Asia Summit – EAS), ont permis de poser les fondations d’une architecture sécuritaire en Asie du Sud-est et au-delà. L’existence de tels fora est essentielle pour créer un climat de confiance entre les pays dans la région, peu importe leur taille. En Europe, des enceintes comme l’OSCE, mais aussi et surtout l’UE, ont permis de cultiver une culture de dialogue qui a contribué à mettre fin à des siècles de guerres dévastatrices.
Aujourd’hui, ces enceintes nous permettent d’améliorer la confiance entre tous les membres et en conséquence de résoudre leurs différends de manière pacifique. C’est dans ce contexte que je me félicite du rôle de médiateur que l’ASEAN a joué lors du conflit frontalier entre deux de ces membres, la Thaïlande et le Cambodge. J'espère que les gouvernements thaï et cambodgien trouveront une solution à ce conflit frontalier, sans recourir à la force, et donneront l’autorisation aux observateurs de l’ASEAN d’accéder à la zone contestée.
Le Forum régional de l’ASEAN constitue déjà aujourd’hui LA plateforme pour les pays d’Asie pour aborder les problèmes dans le domaine sécuritaire. Dans ce contexte, les discussions sur la Mer de Chine méridionale sont de premier ordre. L’adoption récente de lignes directrices sur la mise en œuvre de la Déclaration sur le code de conduite en Mer de Chine méridionale [Guidelines for the Implementation of the Declaration on the Code of Conduct of Parties in the SCS] avec la Chine est un pas important. La liberté de navigation et les principes de droit international doivent être respectés et renforcés par des mesures de confiance en vue de la mise sur pied d’un code de conduite, tel que prévu par la Déclaration.
Le Forum régional est aujourd’hui le seul forum où l’UE européenne est présente aujourd’hui en tant que telle. Nous participons activement aux travaux du Forum régional et je pense que l’UE pourrait offrir une valeur ajoutée, notamment en proposant des mesures concrètes de confiance, moyennant des séminaires sur l’application du droit de la mer ou encore la gestion en commun de ressources.
C’est aussi parce que l’Union européenne porte un grand intérêt à l’Asie que nous œuvrons depuis un moment pour rejoindre le East Asia Summit. Nous espérons pouvoir rejoindre le Treaty on amity and cooperation (TAC) de l’ASEAN bientôt, éventuellement déjà lors de la réunion ministérielle UE-ASEAN qui se tiendra en avril 2012 au Brunei.
J’admets toutefois que, lors de mes nombreuses visites dans la région ainsi que dans les réunions UE-ASEAN, j’ai souvent entendu les mêmes critiques de la part de nos amis asiatiques: l’UE n’aurait pas de projet pour l’Asie du Sud-Est, et y souffrirait d’un fort déficit de visibilité. Alors que les hommes d’affaires européens seraient présents, l’UE serait absente sur le plan politique. Est-ce que ces critiques sont-elles justifiées ?
Je regrette de devoir avouer que oui, en partie au moins.
Ainsi je regrette de devoir constater que souvent, du côté de l’UE, nous ne sommes pas représentés au niveau politique approprié lors des réunions UE-ASEAN ou encore du Forum régional. Personnellement, je trouve cela regrettable, car il s’agit bel et bien des deux organisations politiques régionales les plus intégrées au monde.
Pour ce qui est de l’absence de visibilité de l’UE dans la région, je ne peux pas entièrement y souscrire. Nous avons continuellement développé et amélioré nos relations avec nos partenaires dans le monde entier, notamment en négociant toute une série d’Accords-cadres globaux de partenariat et de coopération avec la majeure partie des pays de l’ASEAN.
Croyez-moi, l’Europe et bien consciente de l’importance de sa relation avec l’ASEAN et ses membres et nous sommes fiers d’avoir des contacts aussi anciens, intenses et réguliers avec eux.
Je suis plus que jamais confiant que l’UE et l’ASEAN, comme les deux entités régionales les plus profondément intégrées au monde, continueront à être à l’origine de contributions fertiles et inspirantes à un monde multilatéral, tant dans les domaines politique, économique que sécuritaire.
Je vous remercie et j’attends vos questions.