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Charles Goerens: Faire d'un cercle vicieux un cercle vertueux
Le Jeudi: "Pourquoi avoir choisi le Nicaragua comme pays cible en 1994 plutôt qu'un autre des pays de la région?"
Charles Goerens: "C'est un choix qui s'inspire de certains critères objectifs, notamment d'indicateurs du développement humain qui placent le Nicaragua sur la liste du programme des Nations unies pour le développement à la 118e place sur 173. Et puisque notre politique de coopération est axée avant tout sur la lutte contre la pauvreté, il est évident que le critère principal est rempli par le Nicaragua.
Par ailleurs, c'est un pays de petite taille qui nous permet de réaliser des projets susceptibles d'avoir un impact, d'autant que les autorités nicaraguayennes nous accordent beaucoup de facilités. Enfin, nous avions toujours été très peu présents dans cette région et ce choix fait donc partie de notre souci de répartition des risques."
Le Jeudi: "L'éducation, la santé, l'eau et l'assainissement sont des secteurs d'intervention traditionnels de la Coopération. Quels sont les aspects spécifiques de la coopération au Nicaragua?"
Charles Goerens: "Nos interventions concernent des secteurs dans lesquels nous avons atteint une certaine expertise et qui sont, partout, des secteurs qui connaissent de grosses lacunes. Notamment à cause du poids de la dette. Or, ces secteurs sont essentiels et il y a des interactions évidentes entre eux.
Si la santé va, beaucoup d'autres choses vont bien également. Mais qui dit santé dit accès à l'eau propre. Et qui dit eau propre dit aussi assainissement des eaux. Quant à l'éducation, c'est l'un des piliers du développement. Mais pour bien apprendre, il faut aussi être en bonne santé. C'est donc un cocktail naturel."
Le Jeudi: "Mais cela prend-il une dimension particulière dans Se contexte local?"
Charles Goerens: "C'est avant tout une réponse à une nécessité. Pour le reste, les acteurs du Nicaragua font leurs premiers pas dans le partenariat avec le Luxembourg. Et puis, il y a le régime des langues, des traditions. Tous les acteurs responsables des projets, que j'ai eu l'occasion de rencontrer sur place, disent être dans un pays extrêmement accueillant et disposé à coopérer avec nous."
Le Jeudi: "L'ONU et la Commission européenne sont également implantées au Nicaragua. Comment se situe la coopération luxembourgeoise par rapport à elles?"
Charles Goerens: "Je crois que nous partageons l'essentiel des objectifs du développement. L'Union européenne travaille en cohérence plus ou moins grande avec les Nations unies. Et nous sommes en phase avec les recommandations de ces deux grands acteurs. Mais nous avons une responsabilité supplémentaire qui tient au fait que nous sommes le seul acteur à avoir, au cours des vingt-cinq dernières années, dépassé le cap des 0,7% des dépenses publiques par rapport au PIB en faveur du développement.
C'est une responsabilité car cela nous permet de dire que c'est possible, et d'ailleurs nous sommes consultés par de nombreux acteurs qui cherchent à savoir comment nous y sommes parvenus. Cela nous permet donc déjouer un rôle d'incitation à l'égard des autres afin de parvenir, un jour, à éradiquer la pauvreté."
Le Jeudi: "Vous aller accompagner le couple grand-ducal au Nicaragua la semaine prochaine. A quelle occasion particulière se déroule ce voyage?"
Charles Goerens: "C'est tout simplement l'intérêt que porte la famille grand-ducale à ces questions. Pour nos souverains, la solidarité doit s'exercer autant à l'intérieur qu'à l'extérieur de nos frontières. D'ailleurs, il serait intéressant de juxtaposer deux statistiques du dernier rapport des Nations unies sur le développement: celle de l'intervention des pays à l'extérieur de leurs frontières, donc le pourcentage par rapport au PIB, et le taux de précarité rencontré à l'intérieur de leurs frontières. On s'apercevrait alors que les cinq pays qui ont les meilleurs résultats en matière de solidarité extérieure, c'est-à-dire la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède et le Luxembourg, ont aussi le taux de précarité le plus bas. Le couple grand-ducal est donc porteur de ce message: la solidarité est indivisible. Et j'attends de leur visite sur place qu'elle ait un effet boule de neige sur le peuple nicaraguayen."
Le Jeudi: "L'an passé, Lux-Development recherchait un responsable pour ce secteur géographique. A-t-il été trouvé?"
Charles Goerens: "Lux-Development cherche effectivement à se régionaliser. Ils ont, par ailleurs, une responsable de ce secteur qui le connaît sur le bout des doigts, c'est Alice Risch. Mais le but est d'essayer d'instaurer un roulement entre ceux qui travaillent à l'extérieur et ceux qui travaillent au Luxembourg, pour prévenir la technocratisation de l'équipe et être en phase avec les réalités du terrain.
Nous essayons, en outre, de faire jouer les synergies entre les équipes qui travaillent au Nicaragua et au Salvador puisque nous sommes présents dans les deux pays. Mais je pense que nous ne pourrons pas faire l'économie à court terme d'une mission de coopération sur place, sans doute à Managua."
Le Jeudi: "Quels sont vos espoirs principaux pour les années à venir?"
Charles Goerens: "Nos espoirs principaux, c'est avant tout d'arriver à faire décoller le Nicaragua, ensemble avec la communauté internationale des donateurs. Mais je crois qu'il faut dépasser le stade du succès auquel on peut toujours opposer un échec. Car dans la perception de l'opinion publique, c'est toujours une opération blanche. Il faut aller au-delà et dire que la pauvreté n'est pas une fatalité. Il faut ouvrir des perspectives.
Ce qui est prometteur au Nicaragua, c'est la grande détermination affichée par le président Enrique Bolanos Geyer de lutter contre la corruption. Nous avons d'ailleurs pris une initiative au niveau européen puisque ces efforts ont été appuyés par la présidence danoise de l'Union européenne. Cela prendra du temps, mais les espoirs sont là!"
Le Jeudi: "Cela étant, vous heurtez-vous à des difficultés particulières au Nicaragua?"
Charles Goerens: "Non, je pense que nous n'en rencontrons pas. Il y a les difficultés traditionnelles que nous rencontrons partout, notamment au niveau de la corruption. Mais nous les surmontons grâce à une gestion rigoureuse de nos investissements."
Le Jeudi: "Peut-on dire que le Nicaragua connaît désormais une certaine stabilité politique?"
Charles Goerens: "Oui, dans la mesure où le président Bolanos a réussi à affirmer son autorité et que la conscience collective est telle qu'il n'y a plus de recul possible. Pour qu'un Etat paie bien ses agents, il faut que l'économie tourne. Et l'économie tourne auand teat fonctionne bien. C'est donc un cercle vicieux. Et tout l'art du président Bolanos est de transformer ce cercle vicieux en cercle vertueux!
Pour le reste, il ne nous faut pas donner des leçons mais proposer d'accompagner le pays dans sa marche vers la démocratie. D'ailleurs, le programme indicatif de coopération que nous allons signer à l'occasion de ce voyage, laissera une place de choix au respect des droits démocratiques."