Jean Asselborn au sujet de son entrevue avec Bernard Kouchner

Tageblatt: Comment percevez-vous la façon dont la France conçoit son rôle à l'occasion de sa prochaine présidence, en matière de construction européenne?

Jean Asselborn: Cette présidence arrive en effet à un moment clé, et sur différents plans, ce dont mes interlocuteurs parisiens sont manifestement bien conscients. Il y a d'abord l'environnement international: la Russie vient de changer de chef d'État, l'élection présidentielle américaine aura lieu pendant le mandat de la France, la Chine est sans doute en train d'évoluer, et pas seulement à cause des Jeux olympiques... Il y a, ensuite et surtout, un certain nombre de dossiers proprement européens, à commencer bien sûr par la modernisation de nos institutions. Après le référendum en Irlande sur le traité modifié, il est clair que les choses sérieuses vont commencer. Et il reviendra à la présidence française d'affiner, sur un certain nombre de points - je pense notamment à la présidence du Conseil européen et au statut du Conseil des affaires générales, mais on pourrait en citer bien d'autres - ce qui reste encore, selon la formule employée par mon collègue Bernard Kouchner, un terrain en friche.

Tageblatt: II y a aussi un certain nombre de questions de personnes qui sont en suspens, comme le nom du futur président du Conseil européen auquel vous avez fait allusion...

Jean Asselborn: Oui, c'est vrai, et ce n'est pas au Grand-Duché qu'on risque de l'oublier! Pour dire les choses clairement et simplement, j'ai été conforté, durant mes conversations à Paris, dans l'impression que le soutien de la France à Jean-Claude Juncker pour le poste en question ne relève pas de la simple courtoisie diplomatique, mais de la réalité; ce ne sont pas des paroles en l'air, je pense qu'on va en avoir confirmation publiquement très bientôt. Il y a d'autres nominations pour lesquelles il faudra évidemment attendre les prochaines élections européennes, par exemple à la tête de la Commission.

Tageblatt: Sur les questions énergétiques, climatiques et agroalimentaires qui étaient aussi au programme de vos entretiens, avez-vous trouvé les Français proches de vos propres analyses?

Jean Asselborn: Tout à fait, et vous avez raison de lier les trois choses, parce que nous avons justement mis l'accent sur le fait de garder toujours à l'esprit, dans notre démarche commune, la nécessité de trouver un équilibre entre ce que l'on peut faire d'un point de vue environnemental, et la résolution de la crise alimentaire, en Afrique notamment.

J'y étais il y a deux semaines, j'en ai parlé avec les présidents du Togo et du Sierra Leone, j'ai rencontré des responsables ghanéens, et j'en suis revenu avec la conviction qu'on ne peut s'installer dans un système où ces pays, et bien d'autres, doivent importer quelque 60% du riz qu'ils consomment, avec des cours mondiaux qui flambent. À terme, si l'on ne fait rien, ce n'est pas seulement une crise humanitaire que l'on risque, c'est la multiplication de conflits violents, de véritables guerres de la faim!

Tageblatt: Et l'immigration?

Jean Asselborn: Le problème se pose à tous les pays de l'Union européenne, grands ou petits. Pour nous tous, qui voulons traiter la question avec intelligence et avec humanité, c'est un énorme défi. Je suis plus convaincu que jamais de la nécessité d'organiser ce que j'appelle une "migration circulaire": accueillir des travailleurs venus du Tiers-Monde, certes, mais aussi les former pendant une certaine période, pour qu'ils puissent, le moment venu, rentrer chez eux avec un vrai "plus", pour eux-mêmes et pour leurs pays d'origine.

Tageblatt: Comment avez-vous perçu la position de la France sur l'Europe de la défense?

Jean Asselborn: Les choses évoluent, notamment les rapports de Paris avec l'Alliance atlantique et son commandement militaire intégré. On devrait y voir plus clair lors du sommet de l'OTAN, à Kehl et Strasbourg, donc de part et d'autre du Rhin, l'année prochaine. Je n'ignore pas que le sujet peut rester controversé en France, même s'il l'est sans doute moins qu'à une certaine époque.

Nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour considérer que l'Europe doit réfléchir à sa présence militaire sur la scène mondiale. Non pas pour faire la guerre, mais plutôt pour la prévenir ou l'empêcher. De ce point de vue, par exemple, même s'il s'agit en l'occurrence de diplomatie plus que de défense, je me réjouis que nous ayons pu convaincre nos amis néerlandais et belges du Bénélux de ne pas trop s'opposer à la signature de l'accord de stabilisation et d'association avec la Serbie: il me semble que les élections de dimanche dernier, même si rien n'est encore réglé, donnent plutôt raison à notre démarche, puisque les pro-européens l'ont largement emporté sur les nationalistes.

Tageblatt: Vous avez aussi rencontré le premier secrétaire du PS, François Hollande: dans quel état d'esprit l'avez-vous trouvé?

Jean Asselborn: Nous avons fait un large tour d'horizon de la situation internationale, je lui ai redit en particulier combien nous souhaitons que les liens entre socialistes français et sociaux-démocrates allemands, qui ont connu des hauts et des bas ces dernières années, se resserrent...

Pour le reste, il se prépare à passer le flambeau lors du congrès du mois de novembre, dont le lieu n'est pas encore fixé. Mais je sens bien qu'après toutes ces années consacrées à diriger son parti, dans des circonstances parfois très difficiles, il va rebondir vers de nouvelles entreprises avec la même implication personnelle au service de la gauche française et européenne dont il a toujours fait preuve. François est un homme qui a déjà beaucoup donné à sa famille politique, mais qui ne se lassera jamais de le faire.

Membre du gouvernement

ASSELBORN Jean

Date de l'événement

13.05.2008

Type(s)

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