Table ronde sur la nouvelle directive en matière de chocolat

Le 15 mars, le Parlement européen a adopté en seconde lecture la proposition tablée par la Commission européenne en vue de modifier la directive sur le chocolat. Mis à part un amendement mineur, le Parlement a approuvé le texte sur lequel le Conseil des ministres s'était accordé le 28 octobre 1999. En vertu de cette nouvelle directive qui devra être transposée en droit luxembourgeois dans un délai de trois ans à compter de sa prochaine entrée en vigueur, la possibilité de produire et de vendre du chocolat comprenant 5% de matières grasses végétales autres que le beurre de cacao sera étendue à l'ensemble des pays de l'Union européenne.

C'est dans ce contexte que le ministère des Affaires étrangères, en collaboration avec l'ONG TransFair-Minka, qui s'engage pour un commerce équitable entre le Nord et le Sud, a organisé en date du 17 mars 2000 une table ronde regroupant l'ensemble des acteurs concernés par la nouvelle directive, que ce soit du point de vue de la santé, de la protection des consommateurs, de la distribution, de la consommation et de l'utilisation de chocolat, des relations économiques internationales ou de la coopération au développement.

Présidée par Charles Goerens en sa qualité de ministre de la Coopération et de l'Action humanitaire, cette table ronde agrémentée par des échantillons de chocolat soumis à l'expertise des participants devait notamment permettre d'identifier des mesures concrètes susceptibles de contribuer à une meilleure information des consommateurs et à une sensibilisation sur les différences existant entre le chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao et le chocolat fabriqué avec l'ajout d'autres matières grasses végétales.

Minimiser les effets négatifs de la nouvelle directive

D'entrée de jeu, Charles Goerens a rappelé l'engagement pris en sa qualité de ministre de la Coopération lors d'une entrevue avec des représentants de TransFair-Minka en décembre dernier. Il a en effet confirmé qu'au cas où le texte approuvé à la majorité qualifiée au Conseil des ministres et voté par le Parlement européen, qui est un texte insuffisant à ses yeux, devait être transposé en l'état en droit luxembourgeois, il s'engagerait à ce que tout soit entrepris par le gouvernement pour que les effets négatifs de la nouvelle directive soient minimisés.

Le président de TransFair-Minka, Jean-Louis Zeien, a ensuite enchaîné en évoquant l'impact prévisible de la nouvelle directive sur les pays producteurs de cacao. Les matières grasses végétales (MGV) autres que le beurre de cacao qui pourront dorénavant entrer dans la composition du chocolat à l'échelle de l'ensemble de l'Union européenne sont au nombre de 6. Le mélange d'autres MGV qui se rapproche le plus du beurre de cacao du point de vue crucial de la température de fusion est appelé cocoa butter equivalent (CBE): il se compose de 50% de beurre de karité (en provenance surtout du Mali et du Burkina Faso, deux pays cible de la Coopération luxembourgeoise), de 30% d'huile de palme et de 20% d'huile d'illipé (qui proviennent quant à elles d'Asie du Sud-Est).

D'importantes pertes nettes pour les pays en développement

Un des arguments clefs des promoteurs de la nouvelle directive, qui consiste à dire que les MGV pouvant remplacer le beurre de cacao proviennent également de pays en développement, est ainsi démonté. L'industrie du chocolat ne s'est en effet jamais engagée à remplacer le beurre de cacao en intégralité par un produit tel que le beurre de karité. D'autres matières grasses comme l'huile de palme ont l'"avantage" pour les chocolatiers d'être effectivement dix fois moins cher que le beurre de cacao. Mais le mélange CBE à base de beurre de karité engendrera des coûts qui seront seulement 20% moins élevés que pour une fabrication à base de 100% de beurre de cacao. A la différence des producteurs, qui enregistreront immédiatement un impact positif sur leurs coûts de production, le consommateur final ne bénéficiera donc en fin de compte que d'une baisse peu sensible du prix du chocolat. De même, les pays en développement tels que le Burkina Faso et le Mali, avec lesquels le Luxembourg entretient des rapports étroits, et dont les recettes d'exportation dépendent en grande partie du beurre de karité, tireront certes des bénéfices de la nouvelle directive, mais ces bénéfices seront sans commune mesure avec le manque à gagner global que signifiera la nouvelle directive pour les pays en développement. Une étude d'impact menée par l'Organisation internationale du Cacao (ICCO) - la seule étude d'impact sérieuse menée à ce jour - a calculé que la possibilité généralisée à l'ensemble de l'UE d'introduire 5% de MGV autres que le beurre de cacao dans la fabrication du chocolat entraînera des gains de 26 millions de dollars (pour les producteurs de beurre de karité et autres MGV de substitution), contre 167 millions de dollars de pertes pour les pays producteurs de cacao en Afrique de l'Ouest. Au niveau des pays en développement pris dans leur ensemble, le préjudice net s'élèverait ainsi chaque année à 141 millions de dollars, soit 5,64 milliards de franc, ce qui dépasserait le montant global de l'aide publique au développement du Luxembourg prévu pour l'an 2000.

Ensuite, Jean-Louis Zeien est revenu sur le vote du Parlement européen le 15 mars, et plus particulièrement sur les nombreux amendements proposés par le Mouvement du commerce équitable, une pétition signée par 500.000 personnes en Europe à l'appui. Ces amendements n'ont pas obtenu les suffrages de la majorité absolue des eurodéputés. Un seul amendement avait trouvé grâce aux yeux de la Commission du PE chargée de l'environnement. Il s'agissait de l'amendement visant à interdire les MGV génétiquement modifiées. A trois voix près, cet amendement a été rejeté. D'autres amendements concernaient 1) l'étiquetage sur la face supérieure des produits chocolat, 2) une étude d'impact sur les pays producteurs de cacao à effectuer dans de meilleurs délais, 3) les insuffisances des méthodes d'analyse et de contrôle existant à l'heure actuelle, et 4) la limitation de l'appellation "chocolat de qualité" aux produits fabriqués à base de 100% de beurre de cacao.

Le tour de table animé qui a suivi ces deux premières interventions a permis d'évoquer trois thèmes liés à la nouvelle directive: d'abord la santé des consommateurs, dont il faudrait s'assurer qu'elle est garantie par des méthodes de contrôle appropriées; ensuite l'information des consommateurs, dont il faudrait s'assurer qu'elle permette aux consommateurs de faire leur libre choix en toute connaissance de cause; enfin la sensibilisation des consommateurs, dans l'idée de promouvoir la consommation de chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao.

Et la santé dans tout cela?

Les MGV autres que le beurre de cacao ne sont pas plus nuisibles à la santé que le beurre de cacao. Tout en sachant que la possibilité d'inclure des MGV génétiquement modifiées pourra s'avérer problématique à cet égard, il ne s'agit donc pas de s'alarmer des nouveaux procédés de fabrication en passe d'être offerts par la nouvelle directive. Par contre, on peut s'inquiéter des déficits méthodologiques qui empêchent aujourd'hui déjà de contrôler avec précision la teneur du chocolat en beurre de cacao, comme a pu le préciser Gilbert Moris, en sa qualité d'ingénieur à la Division du contrôle des denrées alimentaires au sein du Laboratoire national de Santé. Pour l'essentiel, le beurre de cacao est en effet composé de trois triglycérides qui existent aussi dans d'autres MGV. Au cas où ces MGV résultaient d'un procédé enzymatique - ce que la nouvelle directive n'interdit pas - même un marqueur externe ne permettrait pas de distinguer le beurre de cacao de ces autres MGV désormais tolérées dans la composition du chocolat. Mesurer la teneur en beurre de cacao nécessite par conséquent une approximation mathématique, avec une importante marge d'erreur de 30% à la clef. C'est dire si des producteurs qui se laisseraient trop guider par la recherche du moindre coût pourraient, sans trop risquer de se découvrir, recourir à un ajout de MGV autres que le beurre de cacao bien supérieur aux 5% fixés par la nouvelle directive. Ceci se ferait au détriment de la qualité du chocolat et, en dernier ressort, au détriment de la santé des consommateurs.

Mieux informer le consommateur

Au chapitre du consommateur, certains intervenants comme David Verona, responsable des Produits Grande Consommation à Auchan-Kirchberg, ont regretté qu'en l'état, la nouvelle directive ne prévoyait pas un étiquetage suffisamment clair pour rendre le consommateur attentif à la différence entre le chocolat fabriqué avec 100% de beurre de cacao et le chocolat fabriqué avec un ajout maximal de 5% d'autres MGV. Cette différence n'étant pas très sensible au goût aux dires de certains producteurs de chocolat, et la sensibilisation publicitaire telle qu'on peut l'imaginer au niveau des responsables marketing des grandes surfaces n'ayant pas un effet durable sur l'attitude du consommateur, il serait indispensable d'améliorer l'étiquetage afin de permettre véritablement au consommateur de faire son choix en toute connaissance de cause. Du côté de l'Union luxembourgeoise des consommateurs (ULC), représentée lors de la table ronde par son trésorier adjoint, Marcel Laschette, on avoue que la discussion sur la directive est quelque chose de neuf. Mais l'ULC est prête à jouer son rôle en informant les consommateurs, le moment venu, par l'intermédiaire de son bulletin.

Mais comment retenir l'attention du consommateur si l'absence de méthodes de contrôle fiables de la teneur du chocolat en beurre de cacao ne permet pas de faire scientifiquement la différence entre le chocolat traditionnel et le chocolat fabriqué avec l'ajout d'autres MGV? A cette interrogation qui revenait sans cesse, les participants de la table ronde étaient d'accord pour opposer une déclaration de principe: il faut que le consommateur puisse faire confiance à ceux qui lui proposent les produits qu'il achète, et il faut pour cela œuvrer dans le sens d'un système de contrôle aussi efficace que possible.

Une relation de confiance: question de qualité

Une façon de renforcer la confiance entre producteurs, vendeurs et consommateurs que la table ronde a permis d'évoquer consisterait à créer un label de qualité en matière de chocolat. En Belgique, l'idée fait déjà son chemin: l'idée de créer un label de qualité pour le chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao a été lancée par le ministre belge des Affaires économiques, Rudy Demotte, lors d'une table ronde qui a eu lieu dans le courant du mois de février à Bruxelles. Mais il ne s'agit pour l'instant que d'une idée, qui sera par ailleurs difficile à mettre en pratique. L'arrêté royal qui transposera la directive en droit belge pourrait prévoir pour les chocolatiers la possibilité de se conformer à un label de qualité volontaire et donc facultatif. Ce label serait attribué par un organisme de certification, qui devrait également contrôler si les chocolatiers qui décideront de se conformer à ce label en respectent aussi à la lettre le cahier des charges. Or, pour le moment, un tel organisme n'existe pas. Il n'existe pas non plus à l'heure actuelle de méthode d'analyse qui permettrait de faire la part des choses, avec la précision requise, entre le chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao et le chocolat contenant un ajout de matières grasses végétales de substitution.

Malgré ces difficultés d'ordre technique, l'idée d'un label de qualité spécifique fait également son chemin au Luxembourg, comme l'a confirmé Marc Friederici, président de la Fédération des patrons-pâtissiers confiseurs et glaciers du Grand-Duché de Luxembourg. Selon lui, les pâtissiers luxembourgeois - qui sont les seuls véritables fabricants de chocolat qui en travaillent la matière première au Luxembourg - continueront d'utiliser exclusivement du chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao, et ils pensent créer un label de qualité dans ce sens. La fédération des pâtissiers luxembourgeois a d'ailleurs déjà été contactée à ce sujet par son homologue française. Si l'on y ajoute la sensibilité des artisans belges, les chances de voir se déployer une initiative transfrontalière en matière de label de qualité s'annoncent prometteuses. Jean-Claude Loeb, responsable confiserie au Groupement alimentation de la Confédération du Commerce, a plaidé dans le même sens, en précisant que, lors de la dernière foire internationale de la confiserie, le président du grand chocolatier Kraft-Jacobs-Suchard s'était déclaré prêt à se tenir à un label de qualité supérieur en matière de chocolat si un tel label venait à être créé.

Hormis ses pâtissiers, le Luxembourg est un pays importateur de chocolat, ce qui réduit sa marge de manœuvre. Il n'en devient que plus indispensable de veiller à une bonne information et à une sensibilisation des consommateurs, car c'est finalement leur choix - en fonction du prix, mais aussi de la qualité du produit, de sa connotation culturelle aussi - qui décidera si on continuera à consommer au Luxembourg du chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao. La table ronde a été l'occasion de mettre l'accent sur cette nécessité, et elle a permis de tracer des pistes qui méritent d'être explorées.

Une semaine du chocolat en perspective

Selon Jean-Louis Zeien, les supermarchés ont également une responsabilité à assumer en matière d'information et de sensibilisation du public. Il ne serait en effet pas opportun de laisser agir librement le marché, sous peine de voir les grandes multinationales du chocolat tirer à elles seules tout le bénéfice des changements en cours.

En tant que responsable de Auchan-Kirchberg, David Verona a insisté sur le fait que les consommateurs peuvent être sensibilisés au chocolat "pur", à condition qu'il s'agisse d'une sensibilisation durable faisant notamment appel à la sensibilité du public pour la sécurité alimentaire et la santé des enfants, et à condition également que le chocolat "pur" reste relativement compétitif au niveau du prix par rapport au chocolat contenant d'autres MGV que le beurre de cacao.

Constatant l'unanimité des personnes participant à la table ronde pour s'engager en faveur de la sensibilisation des consommateurs en matière de chocolat, Charles Goerens a tiré la conclusion des discussions en suggérant l'organisation prochaine d'une "semaine du chocolat". Une telle manifestation permettrait de réunir, avec l'appui du ministère des Affaires étrangères, l'ensemble des acteurs concernés - hommes politiques luxembourgeois et européens, industriels, consommateurs, distributeurs, commerçants et ONG - dans le but d'informer et de sensibiliser l'opinion publique luxembourgeoise dans la perspective de la mise en application nationale de la nouvelle directive. Se faire l'avocat du chocolat "pur" n'est pas affaire de puriste: il en va de la crédibilité de la politique du gouvernement vis-à-vis de ses pays partenaires du Sud, et il en va d'un produit de qualité, le chocolat fabriqué à base de 100% de beurre de cacao, dont la consommation fait aussi un peu partie de notre patrimoine culturel et dont la pérennité si cruciale pour les pays en développement ne saurait être jetée en pâture à des intérêts purement mercantiles.

(Publié le 7 avril 2000)

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