Dernière modification le
Déclaration sur la politique de coopération au développement 2000 (version originale française)
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés,
Pourrons-nous nourrir 8 milliards de personnes en l'an 2030? Il appartiendra aux nouvelles générations d'y répondre. Ce défi, il faut le reconnaître, est de taille.
Un demi siècle plus tôt il s'était agi de se préparer à nourrir 6 milliards d'êtres humains en l'an 2000. Nous devons constater, hélas, que le pari sur l'avenir des années cinquante n'a pas été gagné.
Le 12 octobre dernier, date fixée quelque peu arbitrairement par les Nations Unies, la population mondiale a franchi le cap des 6 milliards.
Non seulement le défi n'a pas été gagné mais les écarts se creusent, les déséquilibres s'accentuent, bref le monde solidaire, équitable, source de bien-être et du droit à l'épanouissement de tous est encore à inventer…
Les déséquilibres s'accentuent d'abord en matière de revenus, ensuite dans le domaine de la santé, entre le Nord et le Sud, entre les villes et les campagnes, à l'intérieur des villes, dans les campagnes, entre hommes et femmes, entre lettrés et illettrés, entre ceux qui ont accès à Internet et ceux qui en sont privés.
Une approche plus nuancée ou plus différenciée fait apparaître des ombres et des lumières. L'Afrique reste le continent à problèmes par excellence. N'oublions pas le génocide au Rwanda. Par contre, il faut se féliciter des progrès réalisés au Cap Vert. Mentionnons la désertification, préoccupante d'un côté et la fin de l'apartheid de l'autre. Bref, à tout échec l'on peut opposer un succès.
Faut-il dès lors renoncer à viser des objectifs ambitieux et globaux pour échapper au piège inéluctable de l'échec global et privilégier des pistes plus sectorielles susceptibles de dégager quelques résultats positifs? La tentation peut paraître forte de relever le défi de l'APD en ces termes. En effet tabler sur l'échec global peut paraître réaliste, mais c'est se faire complice de la fatalité.
Tabler sur le succès revient à s'exposer dans la pire des hypothèses aux reproches d'incarner le rôle de Don Quichotte et au mieux de passer pour un Don Quichotte qui s'ignore. Votre serviteur n'entend pas tabler sur la fatalité, d'ailleurs mes prédécesseurs immédiats, Mme Lydie Err et M. Georges Wohlfart ne l'ont pas fait non plus. Je tiens d'ailleurs à leur rendre hommage tout comme à l'équipe qui les a entourés et avec qui j'ai le privilège de pouvoir travailler aujourd'hui.
La tâche qui m'a été confiée lors de la formation gouvernementale, on ne peut pas la faire sans passion, malgré la zone à risques dans laquelle se déploie l'action humanitaire et l'aide au développement. J'ai le privilège de pouvoir partager cette passion avec tous les acteurs du développement, à commencer par la direction de la Coopération au ministère des Affaires étrangères, les agents de la coopération, les coopérants, les ONG, notre agence de développement, nos agents diplomatiques, vous-même M. le président, ainsi que vos collègues de la Chambre des députés et bien entendu les représentants de la Presse, à qui l'occasion est donnée de faire état de temps à autre des réalisations de la coopération sur le terrain.
Les visites au Vietnam et plus récemment au Laos n'ont pas manqué de mettre en exergue l'aspect mobilisateur de la coopération au développement.
Il est réconfortant en effet de constater à quel point des populations éprouvées et appauvries par des décennies de guerre qu'elles n'ont pas cherchées elles-mêmes témoignent d'une foi dans l'avenir. Ajoutons aussi que l'espoir, voire la joie de vivre véhiculée par le regard de milliers de personnes pourtant privées de l'essentiel, nous interpelle au premier chef. On peut être critique, voire sceptique, à l'égard de l'un ou de l'autre aspect de la coopération au développement, mais il faut être actif quand même.
C'est cet état d'esprit qui est à l'origine de nos multiples projets dont j'ai eu l'occasion d'apprécier la qualité et la pertinence. Les réalisations sur le terrain témoignent de la solidarité active et concrète exemplaire dont sont capables des Luxembourgeois oeuvrant dans les pays en développement. Permettez-moi d'exprimer ma gratitude à tous les acteurs et en premier lieu à la presse d'avoir réussi à mieux ancrer l'acceptation de notre politique de coopération dans l'opinion publique. Une information soucieuse d'assurer toute la transparence requise dans un domaine aussi sensible que celui du développement revêt une importance particulière.
C'est pour cela qu'une délégation de journalistes a été associée à la visite officielle au Vietnam pour que, par ce biais aussi, compte soit rendu sur le travail qui est réalisé dans un de nos pays cible.
Le rapport annuel sur la coopération élaboré par le ministère répond au même souci. J'ai pris soin que vous soient remis dès aujourd'hui les éléments essentiels sur les résultats de notre coopération de l'année passée. Le rapport définitif sera rendu disponible dans les semaines à venir à tous les intéressés.
Dans le même esprit, mon ministère prépare activement, et en concertation avec les ONG, une stratégie en réponse à la motion adoptée par la Chambre l'année passée invitant le gouvernement à mener une campagne de sensibilisation pour expliquer mieux encore à notre opinion publique l'effort déployé dans ce domaine. Une des initiatives à développer à cet égard, vise à mieux associer nos communes et à travers elles tous nos citoyens à l'action de coopération. Les responsables du Syvicol ont d'ores et déjà inscrit la coopération à mener entre le ministère des Affaires étrangères et les Communes dans le domaine de la coopération au développement à l'ordre du jour de leur prochaine réunion publique.
Rares sont les phénomènes de notre temps autant discutés que celui de la mondialisation. Le Rapport mondial sur le Développement humain 1999 consacré à ce thème nous rappelle que la mondialisation n'est certes pas une nouveauté de l'histoire, mais que l'époque de la mondialisation que nous vivons se distingue clairement des époques précédentes. Les distances se rétrécissent, les délais se raccourcissent et les frontières disparaissent, ce qui intensifie et rend plus immédiates les relations entre êtres humains. Qui ne saurait en reconnaître et apprécier les bienfaits et les opportunités? Mais comment ne pas s'interroger en même temps sur les conséquences négatives graves et préoccupantes au Nord et surtout au Sud que met en lumière ce rapport?
La mondialisation conduit, en effet, à une marginalisation sans cesse croissante de la plupart des pays en développement. Les inégalités entre le Nord et le Sud continuent de croître de manière préoccupante. Avec comme résultat qu'aujourd'hui, 20% de la population vivant dans les pays riches se partagent 86% du PIB mondial, contre à peine 1% pour les plus pauvres. Les trois plus grosses fortunes du monde prises dans leur ensemble dépassent le PNB total du groupe des pays les moins avancés, disponible pour 600 millions d'êtres humains.
L'écart , à l'échelle planétaire, entre les nantis et les démunis, entre les détenteurs du savoir et ceux qui n'y ont pas accès, se creuse. 80% de la population planétaire - soit plus de 4 milliards et demi d'individus - n'ont pas accès aux moyens de télécommunication de base.
Comme le constate une étude du BIT, la mondialisation a accéléré un processus d'industrialisation des cultures, étroitement lié aux technologies et à la constitution de conglomérats planétaires impliqués dans les médias, le spectacle et parfois dans d'autres secteurs. Elle souligne le danger de l'absorption de plus petits acteurs, l'affaiblissement des entreprises et des cultures nationales et locales, la réduction de l'influence des syndicats, une plus grande intégration verticale, et une standardisation croissante des produits de médias et de spectacles vendus dans le monde.
Face à ces constats, l'Union européenne et ses Etats membres ont une responsabilité considérable à assumer.
Il n'y a sans doute pas de solutions faciles. Mais nous devons oeuvrer à assurer une dimension humaine, sociale et éthique à la mondialisation, nous entendre sur de nouvelles règles de gouvernance mondiale, placer la lutte contre la pauvreté au centre de notre action, sauvegarder l'environnement, pour ne mentionner que les objectifs prioritaires à atteindre.
Le premier grand défi que nous avons à relever est d'assurer la paix, qui constitue le préalable à tout développement durable.
Notre planète, hélas, est encore ravagée par trop de guerres, par trop de conflits ethniques, du Kosovo à la région des Grands Lacs, du Caucase à la Colombie, de l'Angola au Sri Lanka. La réponse à tous ces conflits n'est assurément pas militaire, à long terme elle ne peut être que politique.
Plus de dix ans après la fin de la guerre froide, les dépenses militaires représentent encore 700 à 800 milliards de dollars. Dans les pays en développement, ces dépenses représentent six fois le montant de l'Aide publique au Développement.
Que de progrès pourraient être réalisés en utilisant ne fût-ce qu'une partie de ces dépenses à des fins éducatives et sociales!
Le deuxième défi auquel nous sommes confrontés est celui de la pauvreté.
Comment arriver à éradiquer la pauvreté? Entre 1980 et la crise de 1997/98, une quinzaine de pays ont connu une croissance économique forte qui a suscité une hausse moyenne des revenus, certes encore très inégalement répartie, d'une grande partie du milliard et demi d'habitants qui y vivent, soit un quart environ de l'humanité.
Dans le même laps de temps, une centaine de pays ont subi un déclin ou une stagnation économique et par voie de conséquence une baisse du revenu moyen pour un milliard six cents millions de personnes, soit également plus d'un quart de la population mondiale. En Asie, mais aussi en Russie, en Amérique latine et dans nombre d'autres pays, un enchaînement de crises financières a déclenché des récessions aux conséquences dramatiques même si, aujourd'hui, certains de ces pays sont parvenus à renouer avec la croissance.
A l'orée du XXIe siècle, plus d'un milliard trois cents millions d'individus vivent dans la pauvreté absolue, avec moins d'un dollar par jour, et leur nombre ne cesse d'augmenter. Certains experts réputés vont même jusqu'à estimer ce chiffre à 2 milliards. Plus de trois milliards de personnes, c'est-à-dire plus de la moitié de l'humanité, vivent dans la pauvreté, avec moins de 2 dollars par jour. En Amérique Latine, 2 êtres humains sur 5 vivent dans la pauvreté. La situation en Afrique est encore plus dramatique. S'y ajoute le fléau du SIDA qui tue chaque année 2,3 millions de personnes.
Il est donc plus important que jamais d'appliquer les décisions prises à Rio, à Kyoto, à Vienne, au Caire à Istanbul ou à Beijing. Respectons, en particulier, les engagements pris il y a cinq ans à Copenhague pour éradiquer la pauvreté.
Dans son livre "Un Monde nouveau", Federico Mayor, ancien directeur exécutif de l'UNESCO, affirme qu'il n'existe pas de solution viable aux problèmes de population et de développement si la croissance économique, comme cela est le cas actuellement, continue de creuser des inégalités tant entre les nations qu'au sein de celles-ci. Une croissance aussi peu harmonieuse est lourde de conflits potentiels et porte la violence comme la nuée porte l'orage. Il va falloir définir les voies d'un nouveau partage et d'un développement qui conjugue croissance, justice et équité.
Monsieur le Président,
En août dernier, le nouveau gouvernement a mis au point son programme, qui comprend bien entendu une section réservée à la coopération et à l'action humanitaire. Il me tient à cœur de réaliser ce programme avec détermination.
Le gouvernement s'est tout d'abord engagé à atteindre l'objectif des 0,7% de notre Revenu National Brut (RNB) réservé à l'Aide Publique au Développement (APD): les dispositions budgétaires approuvées par votre Chambre pour l'année en cours visent à réaliser cet objectif dès cette année.
Le Luxembourg
- respecte ainsi les engagements pris au niveau international
- fait preuve d'une solidarité chaque année plus forte à l'égard des plus démunis
- contribue à réduire le fossé qui ne cesse de se creuser entre pays industrialisés et pays en développement.
Le Luxembourg se place d'ores et déjà au cinquième rang des pays membres du Comité d'Aide au Développement de l'OCDE. Mais nous avons l'intention de ne pas en rester là. Nous continuerons à augmenter régulièrement notre APD au cours des prochaines années, de sorte à atteindre pour ce qui est de la contribution relative à l'aide au développement 1% de notre RNB en 2005.
Fidèle à sa culture sociale sur le plan national et européen, le Luxembourg doit nourrir l'ambition de devenir un des tout premiers au classement de la solidarité au niveau mondial. Tout en étant un motif de fierté légitime cette ambition devrait inciter d'autres pays à en faire de même.
Cette politique, j'en suis sûr, ne manquera pas de renforcer notre crédibilité sur le plan international et d'améliorer l'image du Luxembourg à l'extérieur.
Notre APD qui est de l'ordre de 5,1 milliards de francs cette année, dépasse de 13% le montant de 1999. Cette augmentation très importante est due à deux facteurs : la croissance forte de notre économie, ensuite la décision de réaliser cette année l'objectif du 0,7%. Environ 80%, soit 4,1 milliards Flux de cette enveloppe, sont gérés par le ministère des Affaires étrangères. Les 20 autres % sont confiés à d'autres ministères, et en particulier au ministère des Finances. Aussi sommes-nous en train de renforcer notre coopération avec les ministères concernées, et ce dans le souci d'assurer à notre politique de coopération un haut degré d'efficacité et de cohérence.
A l'instar d'autres pays, la Belgique et les Pays-Bas notamment, nous allons, comme par le passé, concentrer notre coopération sur un nombre limité de pays cible. Cette liste comprend 10 pays, dont six en Afrique - le Cap Vert, la Namibie, le Sénégal, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, deux en Asie - le Vietnam et le Laos, et deux en Amérique Centrale - le Nicaragua et le Salvador. Ces pays comptent parmi les plus pauvres de la planète. Cette politique des pays cible renforce l'efficacité, l'impact de notre politique et, en même temps, en facilite la gestion.
72% des moyens engagés dans notre coopération bilatérale sont investis dans nos 10 pays cible. Les 28% restants se répartissent sur une quinzaine d'autres pays, avant tout africains. C'est le Cap Vert qui reste notre partenaire le plus important avec un budget annuel de l'ordre de 300 millions, alors que celui réservé cette année au Mali atteint 50 millions. Sachez aussi que la population de nos pays cible varie entre un demi million et 10 millions d'habitants, à l'exception du Vietnam, qui compte 80 millions de ressortissants. Nos dix pays cible comptent, au total, une population de quelque 150 millions, représentant ainsi quelque 3,5% des 4,5 milliards d'habitants des pays en développement.
La lutte contre la pauvreté et le développement durable constituent les objectifs majeurs de la politique de coopération. Celle-ci sera menée dans un esprit de partenariat et de développement participatif. Elle concentrera son action dans les secteurs sociaux, notamment l'éducation et la santé de base.
Plus de 60% du budget de la Coopération sont consacrés à ces secteurs. Nous respectons ainsi très largement un des engagements majeurs pris à Copenhague au Sommet social il y a cinq ans, qui consistait à réserver au moins 20% de nos moyens à des fins sociales. La réalisation en outre de l'objectif du 0,7% et le caractère largement délié de notre aide nous permettent d'aborder sereinement les sujets mis à l'ordre du jour de la session spéciale de l'Assemblée générale de l'ONU, qui se tiendra en juin à Genève et qui sera consacrée au thème de Copenhague +5.
Nous mettons un accent particulier sur le transfert du savoir, sur la formation et le développement des capacités professionnelles et de gestion dans les pays en développement. La durabilité de nos projets est à ce prix, de même que leur appropriation par les pays et les gouvernements partenaires. Nous ne pouvons que nous joindre à la déclaration d'Amartya Sen, Prix Nobel de l'Economie, selon lequel le développement au XXIème siècle sera fondé moins sur la matière que sur l'intelligence, sur l'éducation et sur la connaissance.
Plus de 1,4 milliards d'êtres humains n'ont pas d'accès direct à l'eau potable. Au 2ème Forum Mondial sur l'eau qui s'est tenu ces derniers jours à La Haye, le ministre Wolter a pu réaffirmer la nécessité d'une vision globale de l'eau qui pourra servir de base d'analyses et de propositions au développement d'une politique mondiale de l'eau. L'adoption d'un contrat mondial visant la création d'un nouveau service public de l'eau sera dans l'intérêt de l'humanité tout entière. Le rôle accru des collectivités publiques tant dans l'orientation des politiques que dans le contrôle de la gestion des services de l'eau a été mis en évidence une fois de plus.
L'eau occupe d'ores et déjà une place de choix dans notre coopération. Au Sénégal, Lux-Development construit des châteaux d'eau et des canalisations pour des dizaines de milliers de personnes. Au Mali, nous réalisons des forages d'eau pour les Touaregs dans le cadre d'un projet de coopération décentralisée. Au Salvador, nous sommes engagés dans la réalisation d'un vaste programme de projets d'approvisionnement en eau potable. Au Maroc, nous mettons en place un projet semblable, tandis qu'au Nicaragua, nous réalisons d'importants travaux pour l'assainissement des eaux usées des villes de Leon et de Chinandega.
Accélérer l'éducation des femmes, leur permettre de prendre en main leur propre destin, telle est une des priorités de notre politique de coopération, étant donné le rôle crucial que joue la femme dans la société. Notre politique de coopération vise donc à favoriser la participation de la femme dans la vie politique, civile, économique et culturelle dans les pays en développement. Les orientations claires élaborées sur l'initiative de mon prédécesseur ne resteront pas lettre morte. Aussi entendons-nous poursuivre activement notre politique dans le domaine des micro-finances, qui permettra avant tout à des femmes d'avoir accès au crédit, instrument souvent indispensable au lancement des activités génératrices de revenus.
En juin prochain, une Assemblée générale spéciale de l'ONU nous donnera l'occasion de dresser un bilan des efforts menés au sujet du rôle de la femme dans la société cinq ans après la tenue du Sommet à Beijing. La tenue à Luxembourg de la Conférence des Femmes de la Francophonie, début février, a permis de préparer cette réunion. Non seulement elle a abouti à l'adoption d'un important programme d'action. Elle a également permis d'exposer deux de nos projets en cours de réalisation au Mali et au Niger, qui visent à renforcer le rôle de la femme dans la société.
Soucieux de renforcer l'efficacité et la visibilité de notre coopération, nous envisageons l'ouverture prochaine d'une mission de coopération à Dakar. Cela nous permettra d'intensifier les contacts
- avec les gouvernements de nos pays-partenaires
- avec les autorités régionales et locales dans le cadre d'une politique de décentralisation
- avec les autres acteurs de la coopération, bilatéraux et multilatéraux
- avec les acteurs de la société civile.
Nous serons ainsi en mesure, mieux encore que par le passé, d'assurer la coordination, la transparence et la complémentarité de notre action.
Aussi me semble-t-il judicieux de procéder à ce qu'il est convenu d'appeler l'évaluation de notre politique d'aide au développement. Une telle stratégie d'évaluation devrait nous conduire à faire apprécier par des évaluateurs externes les résultats de nos projets et de nos actions, afin de vérifier si et dans quelle mesure les objectifs de nos projets ont été atteints. Elle devrait nous permettre d'intégrer les leçons à tirer du passé dans nos actions futures. Mener cet exercice en partenariat avec le gouvernement du pays concerné est un autre grand principe qui doit régir cette stratégie. En même temps, nous continuerons à procéder à des opérations d'évaluation de nos projets bilatéraux et multilatéraux ainsi que des projets cofinancés avec des ONG.
Notre politique de coopération est fondée sur le respect des principes démocratiques, des droits de l'homme, de l'Etat de droit et de la bonne gestion des affaires publiques, communément appelée "bonne gouvernance". Ces aspects ont pu être abordés avec mes interlocuteurs politiques au Vietnam et au Laos, avec les ministres des Affaires étrangères du Nicaragua, du Salvador et du Cap Vert, avec les ambassadeurs de nos pays-partenaires et ce dans le cadre d'un dialogue politique régulier susceptible d'influer sur les orientations de notre coopération. Ce dialogue donne à notre coopération une dimension plus globale et plus politique. C'est dans ce contexte également qu'il importe d'examiner régulièrement la stratégie de notre politique de coopération et de lutte contre la pauvreté.
C'est du reste en application de ces principes que le gouvernement a décidé, il y a un mois, de réactiver et de reprendre nos relations de coopération avec le Niger compte tenu des élections qui ont été organisées dans ce pays. Le coup d'Etat militaire qui avait eu lieu au début de l'année passée avait été à l'origine de la suspension du statut de pays cible du Niger.
La coopération avec les Organisations Non Gouvernementales atteint un niveau inégalé : en 1999, l'effort global du Ministère dans ce domaine a atteint quelque 537 millions de francs, ce qui a représenté une augmentation de 16% par rapport à 1998.
Des efforts nouveaux ont été entrepris pour augmenter la qualité des interventions des ONG, avec lesquelles nous poursuivons d'ailleurs un dialogue permanent. Depuis janvier dernier, un nouvel instrument de coopération, l'accord-cadre, est à la disposition de celles-ci. Cet instrument permet d'inscrire les projets des ONG dans une approche pluri-annuelle et d'augmenter ainsi l'impact de leur action. Basé sur une gestion administrative simplifiée, l'accord-cadre témoigne de la confiance et de l'esprit de partenariat du gouvernement à l'égard des ONG qui ont acquis une expérience et une compétence incontestables.
Dans le même ordre d'idées, nous avons mis à la disposition de toutes les ONG les conclusions et recommandations des cinq premières opérations d'évaluation, en les encourageant à réfléchir aux stratégies et démarches appropriées.
Nous avons ensuite commencé à organiser des cours de formation pour les membres des ONG, permanents ou bénévoles, afin de les familiariser avec la gestion du cycle de projet. L'outil central de cette méthode de travail est le cadre logique, une sorte de tableau de bord qui reprend la logique d'intervention du projet et qui permet d'accompagner au mieux un projet tout au long de sa durée de vie. Je me réjouis de l'intérêt que ces cours ont jusqu'à présent trouvé auprès des intéressés.
Puis-je ajouter qu'afin de faciliter les tâches administratives des ONG et de leur permettre ainsi de consacrer davantage de temps à l'essentiel, j'ai proposé au Cercle des ONG la création d'une structure d'appui et de consultation de nature à aider en particulier les ONG qui s' appuient sur le concours de bénévoles.
La promotion d'une politique de sensibilisation de l'opinion publique et d'éducation aux droits de l'homme et au développement, en particulier à destination des jeunes, revêt une grande importance. A cet effet, nous avons doublé la ligne budgétaire réservée au soutien de projets de sensibilisation mis en œuvre par des ONG. Le Forum sur l'Holocauste à Stockholm, en janvier dernier, a mis en exergue la nécessité d'assurer à tous nos jeunes une éducation aux droits de l'homme. Un effort similaire devrait être fait dans le domaine du développement. Il me semble indiqué de prendre des initiatives à cet effet, en coopération étroite avec le ministre de l'Education nationale, en vue de mieux intégrer ces matières dans nos programmes scolaires.
Un tiers de notre budget est réservé à la coopération multilatérale. La moitié de cette somme est destinée à régler notre contribution annuelle au Fonds européen de Développement (FED) ainsi qu'aux autres actions menées par l'UE dans le domaine de la coopération et de l'action humanitaire. L'autre moitié est utilisée pour appuyer, soit des programmes des agences ou institutions des Nations Unies, soit des projets de celles-ci, appelés multi-bi, qui très souvent complètent utilement nos interventions bilatérales dans nos pays cible. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) dont nous sommes le 14ième contributeur en chiffres absolus, le Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de Population (FNUAP) ainsi que l'Agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens (UNWRA) sont nos principaux partenaires à cet égard.
Nous devons, en effet, continuer à contribuer aux efforts de la communauté internationale visant à mieux contrôler le développement démographique sur une planète qui compte désormais plus de 6 milliards d'habitants. Cette population a doublé depuis 1960. Certes, cette croissance commence à ralentir, et c'est une bonne nouvelle. Mais 78 millions d'êtres humains s'ajoutent toujours chaque année, dont 95% dans les pays en développement. La signature récente d'un accord de coopération avec le FNUAP témoigne de notre volonté de participer davantage encore à ses programmes.
L'Action humanitaire prend, chaque année, une importance plus grande. Le Luxembourg est très sensible face à la détresse humaine engendrée par les catastrophes naturelles et les guerres ethniques qui, hélas, ont tendance à se multiplier. Nous avons dû redoubler d'efforts l'an dernier pour aider les victimes de l'ouragan Mitch, des inondations en Inde et au Vietnam, du tremblement de terre en Turquie et plus récemment de la catastrophe naturelle qui ravage le Mozambique. Le budget réservé à cet effet a donc été substantiellement augmenté cette année pour atteindre 450 millions de francs, soit près de 10% de notre APD.
Madame le ministre des Affaires étrangères vous a fait état, la semaine dernière, de l'effort tout à fait exceptionnel qui a été consenti en 1999 pour porter secours aux réfugiés du Kosovo. Je me suis engagé, dans le cadre de la politique gouvernementale en la matière à poursuivre l'action visant à faciliter le retour de nos réfugiés et à l'élargir, au-delà du Kosovo, à d'autres régions des Balkans. La semaine prochaine, lors d'une Conférence sur le pacte de stabilité organisée à Bruxelles par la Commission européenne et la Banque Mondiale, j'aurai l'occasion de faire état de notre action. A la mi-avril, une délégation du Ministère se rendra au Kosovo pour rencontrer les Luxembourgeois engagés sur le terrain, avant d'inspecter des projets dont ceux portant sur la reconstruction de maisons. J'aurai en particulier l'occasion de m'entretenir avec le représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU au Kosovo, M. Bernard Kouchner, sur la situation toujours tendue qui prévaut dans cette région.
Nous avons mené une réflexion approfondie sur l'expérience acquise dans le domaine humanitaire ces dernières années. L'intérêt que manifestent nombre de nos concitoyens pour l'action humanitaire devrait permettre une plus grande participation de nos citoyens aux actions sur le terrain. C'est la raison pour laquelle le gouvernement a décidé de créer un corps civil de volontaires pouvant être engagés dans différentes opérations humanitaires et civiles. Un expert international a été chargé de mener une étude sur cette question. Il présentera son rapport dans les semaines qui suivent et l'occasion vous sera donnée de vous exprimer à ce propos lors du débat sur l'état de la Nation.
Quant à l'impact de la coopération sur les pays en développement, il y a lieu de rappeler qu'il est très largement tributaire du degré de cohérence des autres politiques. En d'autres termes, il faut que les politiques commerciales, agricoles, environnementales et financières, notamment, viennent renforcer les efforts que nous déployons à travers la coopération. Cela n'est, hélas, souvent pas le cas.
Les décisions prises par la communauté internationale pour réduire le poids de la dette, en particulier dans le chef des pays les moins avancés, dans le cadre d'une stratégie de lutte contre la pauvreté devraient être mises en œuvre rapidement. Il faut souhaiter par ailleurs que prêteurs et emprunteurs soient plus conscients de leurs responsabilités dès lors qu'il s'agit d'accorder de nouveaux crédits.
Notre politique de coopération est essentiellement une politique de dons. Il en résulte que nous n'avons pas de créance à l'égard de nos partenaires de la coopération et que, par conséquent, ces partenaires n'ont pas de dettes auxquelles nous pourrions renoncer.
Mais l'éradication de la pauvreté demande, au-delà des mesures sur la dette, que tous les pays industrialisés arrivent à donner suite à leurs engagements quant à l'Aide Publique au Développement. Celle-ci a malheureusement connu une tendance à la baisse ces dernières années au point de tomber à un niveau inférieur à 0,3% du PNB. Il faut se réjouir de ce que, après cinq années de baisse continue, l'APD "internationale" ait connu à nouveau une augmentation de 10% en 1998.
Les négociations multilatérales en cours au sein de l'OMC doivent être saisies, y compris par les pays en développement, pour introduire dans les relations internationales de nouvelles règles qui soient de nature à faire bénéficier tous les pays des dividendes de la globalisation.
Pour mieux tenir compte des intérêts et des préoccupations des pays en développement, la Commission Européenne aurait pu donner une voix supplémentaire à ces pays en se faisant représenter également par le Commissaire en charge du développement à la Conférence de Seattle. Le Luxembourg a activement soutenu tous les efforts visant à aider les pays en développement, et surtout les moins avancés d'entre eux, à mieux participer à ces négociations, notamment en leur offrant une assistance technique et un appui juridique. C'est la position que nous avons encore récemment défendue lors de l'Assemblée générale de la CNUCED à Bangkok. Il convient de nous donner des règles pour mener un dialogue régulier avec la société civile et notamment avec les ONG.
L'ouverture des marchés des pays industrialisés aux produits des pays les moins avancés est une idée qui gagne du terrain. Il faut s'en féliciter.
Nous connaissons tous l'enjeu et la sensibilité du secteur agricole. La position des Européens est connue. Il s'agira de concilier nos intérêts avec ceux des pays en développement, qui consistent à développer une agriculture vivrière et à promouvoir la sécurité alimentaire.
C'est dans cet ordre d'idées que le Luxembourg s'est refusé à approuver la nouvelle directive sur le chocolat que l'UE vient d'adopter à la majorité qualifiée et qui autorise, comme matières premières pour la fabrication du chocolat, des matières grasses végétales autres que le beurre de cacao. Cette directive va décidément dans la mauvaise direction. Elle cause un préjudice immense aux producteurs africains de fèves de cacao, dont les pertes de recettes sont estimées par d'aucuns à 167 millions de dollars, soit 6,7 milliards de nos francs, une somme qui dépasserait notre APD de cette année. Une table ronde regroupant des représentants de l'ONG Transfair Minka, des représentants du commerce et de la fabrication de chocolat a eu lieu vendredi dernier au ministère des Affaires étrangères. Tous les participants ont été unanimes sur la nécessité de tout faire pour atténuer l'impact de la mise en vigueur de ladite directive sur la situation des pays en développement. Aussi me semble-t-il indispensable d'organiser une "semaine du chocolat" lors de laquelle tous les acteurs concernés pourraient s'accorder sur une stratégie susceptible de privilégier la consommation de chocolat pur.
Un autre défi majeur auquel nous avons à faire face est celui du développement durable et de la saine gestion de l'environnement à l'échelle planétaire. Selon une étude canadienne, trois planètes-terres seraient nécessaires si toute la population du monde accédait au mode de développement et de consommation qui prévaut actuellement en Amérique du Nord. Nos modes de développement, qui reposent très largement sur le recours sans cesse croissant aux ressources non renouvelables, ne compromettent-ils pas par avance, peut-être même irrémédiablement, le développement des générations futures?
Mettre en œuvre concrètement les engagements pris à Rio lors du Sommet de la Terre et à Kyoto, à l'occasion du Sommet sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, nous attaquer avec plus de vigueur aux problèmes de la désertification et de l'érosion des terres, voilà autant d'impératifs auxquels nous ne saurions nous dérober.
Dans le cadre du protocole de Kyoto, le Luxembourg s'est engagé à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 28% pendant la période d'engagement 2008-2012, par rapport à leur niveau de 1990. Ceci est l'objectif de réduction le plus ambitieux de tous les pays industrialisés. Pour notre pays, avec une économie tournée vers l'exportation et dominée par des "global players", où le transit et le trafic frontaliers influent fortement sur la consommation de carburants et où le taux de croissance de la population est le plus élevé dans toute l'Union européenne, cet objectif ne pourra être atteint sans la mise en œuvre de politiques et de mesures ambitieuses. Nos stratégies de réduction de CO2 sont d'ailleurs en voie d'élaboration.
Je suis également d'avis que les changements climatiques demandent une action globale à laquelle doivent prendre part à plus long terme l'ensemble des pays de la planète. C'est dans ce contexte que le CDM (clean development mechanism), l'un des mécanismes mis en place par le protocole de Kyoto, pourrait jouer un rôle complémentaire, notamment dans le transfert supplémentaire de technologies et dans le développement durable des pays en développement. Ce mécanisme fait partie du paquet de mesures actuellement examinées au niveau de l'Union européenne, où le Luxembourg entend contribuer activement aux travaux, préparatoires en cours, en vue de la prochaine conférence sur le climat qui aura lieu en novembre prochain à La Haye. Au mois de mai, je compte vous présenter un premier programme national de lutte contre les changements climatiques.
J'aimerais évoquer, pour terminer, le récent aboutissement des négociations pour un accord de partenariat post-Lomé qui lie les quinze pays de l'UE et plus de 70 pays de l'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique. Cet accord pose les jalons pour un partenariat politique et économique d'une nouvelle génération. Dans le domaine politique, cet accord établit un certain nombre de valeurs communes, dont la bonne gestion des affaires publiques et le respect des droits de l'homme; pour la première fois, nous abordons ensemble le problème de la corruption. Dans le domaine économique, la voie est ouverte pour conclure des accords de libre échange qui devraient, après une phase de transition appropriée, intensifier les relations commerciales avec l'UE mais aussi stimuler la coopération entre pays ACP. Le montant du 9ème Fonds européen de Développement sera de 13,5 milliards d'euros pour une durée de 5 ans. Le Luxembourg contribue pour 0,29% de cette enveloppe, soit environ 40 millions d'euros.
Monsieur le Président,
Notre politique de coopération et d'action humanitaire est dynamique. Elle a ouvert des chantiers multiples. Seule une politique engagée, cohérente, basée sur des principes clairs, est de nature à lutter efficacement contre la pauvreté. La politique des pays cible, la priorité aux secteurs sociaux, le rôle de la femme, le partenariat, le développement participatif, le respect des droits de l'homme et de la bonne gouvernance, l'évaluation comptent parmi les éléments les plus importants. La cohérence des politiques, bien entendu, est un autre aspect fondamental de notre démarche. Il conditionne largement une répartition plus juste des fruits de la mondialisation sur une planète dont l'organisation reste largement incomplète. Plus que jamais, il est impératif de placer la personne humaine au centre de nos préoccupations.
Puis-je en terminant, rendre un hommage appuyé à tous nos acteurs de la coopération et de l'action humanitaire. L'on ne peut que rester admiratif devant la compétence et le dévouement de tous, qu'il s'agisse des permanents et des bénévoles des ONG, des coopérants et des agents de la coopération actifs sur le terrain, des agents et fonctionnaires, enfin, de Lux-Development et du Ministère des Affaires Etrangères. Que tous connaissent la fierté et le plaisir que j'éprouve de pouvoir travailler avec eux.
Je vous remercie de votre attention.
Communiqué par le ministère des Affaires étrangères, du Commerce extérieur, de la Coopération et de la Défense
(Publié le 23 mars 2000)