Discours de Luc Frieden à la "Journée bancaire" de l'ABBL: "Le Luxembourg et l'Europe : un couple inséparable"

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les députés,
Excellences,
Mesdames et Messieurs,

C’est un grand plaisir pour moi de m’adresser aujourd’hui à cette journée bancaire, puisque c’est la première fois depuis que j’ai été nommé aux fonctions de ministre du Trésor, et donc responsable de la place financière, que je suis invité à faire cet exercice de faire un peu le point de la situation de la place financière. Et je me propose aujourd’hui de le faire avec vous, en situant cette place financière au sein de l’Europe. Je voudrais d’abord voir un peu, comment le contexte européen influence cette place financière. En traitant de l’harmonisation fiscale, en traitant aussi de l’espace de justice que nous sommes en train de créer en Europe et qui aura une influence sur le fonctionnement de cette place financière. Et puis, je voudrais voir avec vous un peu la politique nationale en faveur de cette place financière, en traitant des mesures législatives et fiscales que nous envisageons de faire, ainsi que du développement de cette place financière dans les années à venir.

J’ai choisi comme titre de cette intervention de ce soir, que le Luxembourg et l’Europe forment un couple inséparable. Je l’ai fait parce qu’il me tient à cœur de souligner devant vous que, en dehors de la construction européenne, il n’y a pas d’avenir stable pour notre pays et pour cette place financière. Je le dis, et j’entends le souligner ici, parce que j’entends de temps en temps des voix qui s’élèvent, surtout dans des moments difficiles de la construction européenne, pour dire : "Mais le Luxembourg ne serait-il pas mieux en dehors de l’Union européenne. Il serait alors pleinement souverain". Je crois que c’est une fausse vue des choses, c’est une vue qui ne tient pas compte d’un certain nombre de facteurs qui sont nombreux, mais j’en citerai simplement trois.

Le premier élément qui me vient à l’esprit, c’est bien sûr l’élément de paix. Je crois également que devant des banquiers, qui êtes aussi des citoyens, on peut quand même rappeler que grâce à l’Union européenne, que grâce à la construction européenne, nous vivons depuis 50 ans dans une paix qui nous assure également un développement économique stable. Et d’où aussi la nécessité d’un élargissement que nous sommes en train de construire en Europe.

Un deuxième élément, c’est bien sûr le marché unique. Sans le marché unique avec ses libertés fondamentales, dont la liberté de circulation, la liberté de circulation des personnes, des services, des capitaux, il n’y aurait pas de place financière aussi prospère que celle sur laquelle vous travaillez. A chaque fois qu’il y a une barrière, nous savons que cette barrière empêche vos produits de se développer à l’extérieur, notre marché devient trop restreint. C’était vrai pour l’acier, c’est vrai pour les médias, c’est vrai pour le secteur financier. Donc, de grâce ne mettons pas trop vite la construction européenne de côté.

Et puis, un facteur qui me semble très important et que je constate tous les jours dans mon travail quotidien, c’est que, grâce à la construction européenne, notre pays est beaucoup plus souverain, dans la mesure où nous pouvons participer à l’élaboration des règles européennes. Celles qui nous touchent directement, celles que nous devrions de toute façon appliquer. Dans ces enceintes européennes, que ce soit dans les groupes de travail, que ce soit au niveau du Conseil des ministres, nous avons un pouvoir qui excède de loin notre population et la dimension de notre territoire.

Je voudrais donc souligner encore une fois que, sans la construction européenne, sans ce couple Luxembourg-Europe, cette place financière ne serait pas si dynamique qu’elle l’est aujourd’hui. Et si on dresse aujourd’hui l’état de cette place financière dans l’Europe, on a tout lieu d’être satisfait, c’est le résultat de vos efforts et c’est le résultat de notre politique.

Je n’ai pas encore vu les milliards que vous annoncez pour le budget de l’Etat pour l’année qui s’est écoulée, mais si l’on regarde les chiffres officiels qui viennent d’être présentés par la Commission de Surveillance du Secteur financier, on constate en effet que cette place se porte bien. Il y a eu, l’année dernière, sept nouvelles banques, ce qui témoigne quand même de l’attrait persistant de la place. Il y a eu les trois premiers établissements de banques d’émission de lettres de gage. Quand j’étais rapporteur de cette loi à la Chambre des députés, voici quelques années, nous ne savions ce que cette loi allait nous apporter. Nous avions confiance qu’elle allait attirer certains promoteurs de ces produits financiers. Aujourd’hui, nous voyons déjà que trois banques se sont établies, et, d’autres suivront.

La somme des bilans des banques a augmenté l’année dernière de plus de 10%, c’est extraordinaire, pour s’établir à quelque 600 milliards d’euros à la fin de l’année écoulée. Je constate également que l’emploi dans le secteur bancaire progresse très rapidement, et, l’année dernière, il a augmenté de presque 7%, ce qui encore témoigne de la vivacité de cette place financière, de façon tout à fait extraordinaire. Le secteur des organismes de placements collectifs occupe aujourd’hui la première place en Europe lorsqu’on regarde le niveau des actifs nets gérés. C’est tout à fait spectaculaire. Et lorsqu’on regarde donc tous ces éléments, alors on voit que les clients étrangers et luxembourgeois témoignent une grande confiance envers cette place. Si tous ceux qui investissent sur cette place financière, qui viennent sur cette place financière, étaient convaincus que, demain, il n’y aurait plus de place financière, ils ne seraient pas là. Il n’y aurait pas de nouvelles banques qui s’établiraient sur cette place, et c’est donc un témoignage de confiance envers cette place, et c’est aussi une reconnaissance de la qualité des services et des produits offerts, et je crois que nous pouvons nous en féliciter. Alors, comment cette place va-t-elle évoluer dans l’Europe?

Le contexte européen de la place financière

I.A) L’harmonisation fiscale

Actualité oblige, vous comprendrez que je voudrais dire quelques mots au sujet de la fiscalité européenne. Nous en discutons depuis dix ans. Dix ans que nous discutons d’une harmonisation fiscale, mais, en tant que participant à cette discussion depuis deux ans, je constate que le dossier de l’harmonisation fiscale n’a de l’aspect harmonisation que le titre. Les actions et les discours de beaucoup de mes collègues sur ce sujet divergent et je vous en donnerai des exemples tout à l’heure. Alors, où en sommes-nous dans ces dossiers? Je me rends compte qu’il faut faire ici un bref survol de la situation, sans pouvoir toucher à tous les éléments, puisque c’est un dossier très complexe. Nous avons un volet de la taxation de l’épargne et nous avons un volet, que nous discutons en Europe, qu’est la fiscalité des entreprises. Le Luxembourg insiste à ce que nous obtenions un résultat équilibré et que nous adoptions une approche globale, donc les deux volets du paquet fiscal doivent être étudiés et traités ensemble.

Concernant d’abord la taxation de l’épargne, vous savez qu’il y a sur la table du Conseil des ministres, la proposition de directive qu’on appelle communément la "directive Monti", puisque c’était le Commissaire en charge de la fiscalité dans la dernière Commission européenne qui a élaboré cette proposition. Elle se base sur le modèle de la coexistence, donc, tel que prévu dans la proposition de directive. Soit une retenue à la source non libératoire de 20%, modèle d’ailleurs extrêmement compliqué avec différentes options pour les contribuables, que nous avions critiqué à l’époque et que nous continuons à critiquer. Et l’autre volet, c’est le système de la fourniture d’informations. J’insiste d’ailleurs sur ce mot fourniture parce qu’il a une importance. Telle était en effet la terminologie qui avait été retenue. Et je voudrais faire un commentaire sur ce principe de la coexistence : c’est le résultat de la résolution du Conseil Ecofin du 1er décembre 97, parce qu’à l’époque, et d’ailleurs déjà en 93 dans une certaine mesure, on avait constaté qu’il y a deux systèmes en Europe. Et si on voulait donc aboutir à un résultat, à un compromis visant donc la taxation de l’épargne, alors il fallait accepter qu’il y ait ces deux systèmes, parce qu’il était impossible de les fusionner. J’observe que la décision de 97 a été acceptée par quinze ministres des Finances.

La Commission a essayé de transposer ce principe dans la proposition de directive Monti, et personne n’a contesté ce principe de la coexistence jusqu’il y a quinze jours au Conseil Ecofin informel de Lisbonne, lorsque Londres a dit que, pour eux, le seul système acceptable était l’échange d’informations. On peut quand même s’étonner en ce qui concerne la forme de cette observation. Les britanniques ont accepté il y a deux ans, donc en 97, qu’il y ait au sein de l’Europe, dans ce dossier, deux systèmes. Ils n’ont pas mis en cause la coexistence. Depuis la publication de la proposition Monti j’ai assisté à beaucoup de Conseils Ecofin, je ne les ai jamais entendu contester ce point. On les entendait sur les Eurobonds, ils ne contestaient donc pas la coexistence, jusqu’il y a quinze jours. Et puis, quant au fond, en fait, la proposition britannique ne surprend pas. C’était toujours la position britannique déjà il y dix ans.

Les Britanniques sont pour le système d’échange d’informations. C’est leur système, mais c’est très british, je m’excuse, Monsieur l’ambassadeur de Sa Majesté britannique, de le dire, et vous savez que j’aime bien l’Angleterre, pour y avoir passé une partie des mes études, mais c’est quand même très british de dire à un Conseil des ministres européen, que ce système est le meilleur système qui existe, parce que c’est leur système. Je crois qu’il est absolument inacceptable pour nous de voir appliquer ce système, que nous respectons comme un système possible dans toute l’Union européenne. Et je me permettrai une remarque supplémentaire : je ne suis même pas sûr qu’au Royaume-Uni, le système tel qu’il est préconisé par le ministre des Finances du Royaume-Uni, que ce système pourrait s’appliquer à tous les produits qui sont vendus ou qui sont offerts par les établissements de crédit britanniques. Donc, la qualité de l’information qui est échangée, est également un facteur extrêmement important. Je ne voudrais pas entrer dans les détails techniques  mais, parfois, dans ces débats, cela peut jouer un rôle important. Donc, s’il y a deux systèmes, les deux doivent avoir la même vigueur, quand on veut les mettre ensemble. La position luxembourgeoise reste cohérente dans ce dossier, et elle ne change pas d’un Conseil Ecofin à l’autre. Pour nous, l’échange d’informations est incompatible avec le secret bancaire.

Pour nous, il y a en fait, si j’essaie de résumer, deux principes fondamentaux qui doivent être retenus dans ces discussions quant à la position luxembourgeoise. Le premier, c’est que nous disons oui à une certaine taxation de l’épargne des non résidents. Le deuxième, c’est que nous souhaitons éviter à tout prix la délocalisation des capitaux de l’Union européenne. Et de ces deux principes découlent en fait trois points, ou trois points qui sont intimement liés à ces deux principes.

Le premier c’est, pour nous, le maintien du secret bancaire. Le deuxième point, c’est que nous souhaitons l’inclusion des territoires dépendants de l’Union européenne et un système similaire dans les pays tiers. Et le troisième point, c’est que nous exigeons une solution équilibrée dans le cadre du paquet fiscal.

Je voudrais revenir sur les deux principes de base que j’ai évoqués. Le premier donc, que nous disons oui à une certaine taxation de l’épargne des non-résidents. Nous l’avons fait parce que nous voulions être constructifs dans ces débats. Nous avons été longtemps accusés par nos partenaires de nous opposer à toute taxation, et ainsi de favoriser l’évasion fiscale. Je me rappelle une réunion du groupe de haut niveau chargé de la fiscalité, en octobre dernier. C’était le 28 octobre dernier. La présidence finlandaise résumait quelque peu les débats en disant : Nous avons ici un problème du Royaume-Uni, qui est contre l’inclusion des Eurobonds dans la proposition de directive, et de toute façon, les Luxembourgeois sont contre tout, parce qu’ ils s’opposent à toute taxation de l’épargne. Et c’est à ce moment là que, au nom du gouvernement luxembourgeois, j’ai fait la proposition que le Luxembourg était bien en faveur d’une retenue à la source libératoire de 10%, soulignant par là notre attachement à une solution de compromis qui éviterait la fuite des capitaux. C’est pour cela que nous avions proposé un taux bas. L’idéal serait que, bien évidemment, le capital soit taxé comme le travail. Mais nous savons que le capital est beaucoup plus volatil. C’est donc irréaliste de l’exiger. On peut l’exiger dans des discours de certains partis politiques, mais on ne peut guère le transposer en réalité politique. Et, d’autre part, nous souhaitions un système de retenue à la source libératoire qui maintient le secret bancaire tout en imposant les revenus du capital.

A cette époque, quand j’ai fait cette proposition, elle avait été dans certains milieux mal comprise au Luxembourg. J’ai rencontré des gens qui m’ont dit, "Comment peux-tu proposer cela? On était toujours contre la taxation de l’épargne. Depuis quand est-ce que tu es contre la place financière?" Mais c’était l’inverse qui était vrai, puisque nous en avions discuté longuement, nous avions réfléchi longuement, et nous avions estimé que cette proposition constructive était dans l’intérêt de la place. Je crois toujours qu’elle l’est. Elle reste sur la table des négociations. Elle n’a pas encore été discutée en détail, mais elle a été reconnue par les conclusions du Conseil Ecofin du 29 novembre dernier, et elle sera donc à discuter dans les semaines à venir.

Deuxième principe, nous voulions éviter la délocalisation des capitaux, et c’est pour cela que nous exigeons que le secret bancaire soit maintenu.

En fait, le secret bancaire, pour nous, se justifie pour deux motifs. L’un, est qu’il évite la fuite des capitaux, l’autre, est qu’il protège l’individu. Et je dois vous dire que le respect de la vie privée par l’Etat est un principe fondamental auquel, je crois, beaucoup de nos concitoyens et le gouvernement sont très attachés. Dans ce contexte, je remarque que nous avons ici un secret professionnel du banquier, et que nous avons aussi des secrets professionnels pour d’autres professions. Secrets professionnels qui existent d’ailleurs aussi à l’étranger, pour les médecins, les avocats, les prêtres. Pourquoi ne s’attaquer qu’au seul secret professionnel du banquier. J’observe à chaque fois que le sujet du secret professionnel de l’avocat est soulevé dans les Conseils des ministres de la Justice, certains pays sont beaucoup plus sur la défensive que nous ne le sommes sur le secret bancaire. Mais je ferme ici cette parenthèse.

En même temps, il est évident que le secret bancaire ne doit pas conduire à des abus. Il ne doit pas être absolu. Il doit être levé dans le cadre des infractions de nature pénale. D’ailleurs, il n’est pas absolu, une certaine presse à l’étranger aime à négliger cet aspect. J’entends souvent des journalistes nous interroger sur cette question. Il n’est pas absolu, il doit être levé, il est levé à juste titre dans le cadre des commissions rogatoires internationales, par exemple en matière de blanchiment, de crime organisé, de corruption.

Nous n’avons pas à Luxembourg de comptes anonymes comme il en existe dans d’autres Etats. La banque, vous le savez mieux que moi, connaît toujours le bénéficiaire économique des comptes. Mais il est vrai, le secret doit protéger l’individu et c’est pour cela que nous continuons à le défendre. Il évite aussi la fuite des capitaux, c’est un argument concurrentiel que les autres doivent accepter. Abolir le secret, alors qu’il continue d’exister autour de l’Union européenne, conduit évidemment à une fuite des capitaux vers ces pays. Alors je dis à tous ceux qui croient, peut-être parce qu’ils ont lu uniquement les journaux britanniques après le Conseil Ecofin de Lisbonne, que seul à moyen terme il y aurait l’échange d’informations, se trompent. Seul le Royaume-Uni a mis ouvertement en question le modèle de la coexistence. Il y a beaucoup d’Etats qui aiment le système d’échange d’informations, mais ces Etats n’ont pas mis en question le système de la coexistence. Et moi je dis, si le débat devient maintenant qu’ il devrait y avoir un seul système dans l’Union européenne, alors moi je souhaite que les deux systèmes que nous avons soient analysés. C’est un nouveau débat.

Pour nous, le secret bancaire à un rôle légitime à jouer, parce qu’il protège la confidentialité des affaires financières et des clients. Et j’observe avec grande satisfaction qu’au sein de l’OCDE ce rôle légitime a été reconnu la semaine dernière. Le Luxembourg a accepté un rapport, qui dans la presse, notamment britannique, a été présenté comme un rapport qui mettait fin au secret bancaire. C’est d’ailleurs intéressant, la presse suisse, indique le contraire en disant que le secret bancaire a été maintenu. Mais, je crois que les deux ont raison, parce que, en fait le Luxembourg a pu accepter ce rapport, tout comme d’ailleurs la Suisse, parce que ce rapport encourage les Etats à ne pas considérer le secret bancaire comme empêchant la lutte contre l’escroquerie fiscale. Le Luxembourg a introduit, vous le savez, en 93, la notion d’escroquerie fiscale dans sa législation. Le Luxembourg s’apprête à ratifier le deuxième protocole additionnel à la convention d’entraide du Conseil de l’Europe au cours de cette année 2000, précisément parce qu’il entend être actif dans ce domaine. Mais le rapport en lui-même n’affecte pas le secret bancaire. Il reconnaît, je l’ai dit tout à l’heure, son rôle légitime. Le rapport, d’ailleurs, ne parle pas de la problématique de l’imposition des flux transfrontaliers d’intérêts, mais de l’accès à des informations dans des cas spécifiques d’escroqueries fiscales, objectif que l’on peut atteindre de façons diverses et, notamment, par l’échange entre les autorités judiciaires. Il est d’ailleurs intéressant de noter que certains de mes collègues à l’étranger commentent ces rapports parfois en donnant l’impression qu’ils n’ont pas lu toutes les phrases desdits rapports. C’est peut-être l’avantage des petits pays, par manque de fonctionnaires nombreux, les ministres sont obligés à lire eux-mêmes les rapports et peuvent donc voir les différences ou les subtilités de ces rapports. Mais je dois rendre hommage ici à tous ceux qui, dans nos ministères ont contribué à l’élaboration de ces rapports, parce que les négociations étaient difficiles et les résultats donnent satisfaction au Luxembourg. C’est un rapport de compromis, mais il a pu être accepté par 29 Etats membres de l’OCDE.

Si je dis que le secret bancaire a un rôle légitime, je note avec intérêt que ce rôle légitime est également reconnu au secret bancaire par le Ministre des Finances allemand Monsieur Eichel. Mais je suis étonné que lors de sa conférence de presse à Lisbonne, telle que rapportée par un journal britannico-allemand, qu’il ait reconnu la légitimité du secret bancaire pour les citoyens allemands devant l’Etat allemand. Serait-ce à dire, et des rumeurs courent en ce sens, qu’il y a des réflexions en Allemagne et en Autriche de ne pas reconnaître la légitimité du secret bancaire et donc l’abolition du secret bancaire pour les non-résidents. Piste à examiner, que je livre à vos réflexions, mais là encore il est utile de lire un peu ce que la presse étrangère rapporte à cet égard. Mais au moins ils reconnaissent la légitimité du secret bancaire.

Donc, je vous dis, le secret bancaire luxembourgeois sera maintenu. Il pourra être maintenu et il devra être maintenu aussi longtemps qu’il existe dans des places financières concurrentes de pays tiers. Je le dis ici parce que c’est la conviction du gouvernement luxembourgeois. Le meilleur système européen à terme peut bien être une retenue à la source libératoire dans toute l’Europe. Parce que ainsi, le capital sera taxé, il n’y aura donc pas d’évasion fiscale au niveau européen. Il nous faut un système simple avec un taux bas, qui évite la fuite des capitaux en dehors de l’Union européenne. L’échange d’informations ne peut pas être le système, l’unique système et ce n’est pas un bon système à long terme. Parce que, en fait, le système de l’échange d’informations conduit à une renationalisation de l’épargne, à une resegmentation des marchés, à une renationalisation de l’imposition de l’épargne, et c’est contraire au marché unique.

Avec la proposition britannique sur l’échange d’informations, nous sommes loin de l’harmonisation de la fiscalité, parce que, en fait, l’échange d’informations conduit à ce que chacun soit imposé dans son pays de résidence, selon le taux applicable dans le pays de résidence. Donc, ça n’a rien avoir avec l’harmonisation fiscale, et moi je suis très étonné que ceux qui, hier, et là je ne parle pas seulement du Royaume-Uni - les autres ambassadeurs peuvent également envoyer des fax dans leur capitale - ceux qui, hier, se voulaient être les champions de cette harmonisation fiscale, puis qui ont parlé de la coordination fiscale, comment peuvent-ils accepter aujourd’hui majoritairement un système qui n’est autre qu’un système d’imposition nationale à taux forts différents? Le Luxembourg est d’accord à ouvrir le débat, mais je crois que ce débat ne sert pas à grand-chose, parce que ce débat a eu lieu déjà en 97, et le résultat de ces discussions a été justement qu’il fallait maintenir le système de la coexistence. Mais moi je dis à tous ceux qui croient que la coexistence n’existe plus que notre énergie est aussi forte et que nos arguments sont aussi convaincants que les leurs, et que nous allons défendre notre point de vue dans les enceintes prévues à cet effet.

En même temps, je dis, et c’est un point important, que l’échange d’informations, ceux qui veulent ce débat sur l’abolition du secret bancaire, n’a de sens que s’ il y a une inclusion des territoires dépendants et des pays tiers. Donc, la solution que nous retenons au sein de l’Union eropéenne dépend largement de ce que vont faire les pays qui entourent l’Union européenne si nous voulons éviter une fuite des capitaux. Alors, que va-t-il se passer à court terme ? Il y aura, un prochain Conseil Ecofin, il y aura en juin, à Santa Maria De Feira, le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement devant lesquels les ministres des Finances devront faire un nouveau rapport intermédiaire. Ce sera uniquement un rapport intermédiaire. Il n’y aura pas d’accord, même pas sur les principes, si on abandonne le modèle de la coexistence d’ici juin. Si le modèle est maintenu il y aura peut-être un accord sur les grands principes, mais il ne faut pas croire que, derrière l’acceptation ou avec l’acceptation des principes, tous les problèmes seraient résolus. Il reste d’innombrables problèmes. On n’ a jamais discuté du taux, on n’ a jamais discuté des produits qui devraient être inclus dans le champ d’application de cette directive. Vous vous rappelez notre proposition d’en exclure les fonds d’investissement. Les arguments évoqués par les Britanniques sur les obligations internationales ont certains arguments qui méritent d’être examinés, même si le Royaume-Uni ne les a plus évoqués il y a quinze jours. Je n’ai aucune information sur les engagements des territoires dépendants. Certains disent "nous parlons à nos territoires dépendants". Mais ce n’est pas suffisant pour nous d’être informés qu’ils parlent à ces territoires. Je comprends d’ailleurs la complexité constitutionnelle pour certains de ces pays. Mais il faut des engagements fermes pour qu’il n’y ait pas dans une solution de compromis des trous qui seraient au désavantage d’autres pays.

Et puis, on l’oublie trop souvent quand on lit la presse, il y a un débat sur le paquet fiscal. Pour nous, il est très important. Alors, je constate qu’il y a certains Etats qui n’ont pas encore accepté les conclusions du code de conduite sur la concurrence fiscale déloyale en matière de fiscalité des entreprises. Nos deux partenaires du Benelux n’ont pas accepté, notamment, les conclusions du code de bonne conduite, et dans la presse, on fait comme s’il n’y avait plus que le problème de la fiscalité de l’épargne et du secret bancaire. Pour nous, c’est donc un paquet fiscal. Nous souhaitons une solution équilibrée dans tout le paquet, et je dirai simplement deux mots sur le paquet fiscal dans la perspective luxembourgeoise, parce que j’entends ici et là des énervements qui reflètent mal ce que nous avons dit à cet égard. Nous avons essentiellement deux instruments qui figurent sur la liste, la fameuse liste des 66 mesures qui ont été identifiées par le groupe présidé par Mme Primarolo le Ministre du Trésor du Royaume-Uni. Ces deux mesures sont les holdings basés sur la loi de 1929 et les provisions pour fluctuations en matière de réassurance. Alors, j’entends que le gouvernement, en l’occurrence moi-même, puisque je le représente en ces enceintes, aurait dit que le Luxembourg serait prêt à sacrifier les holdings 29. Ce n’est que la première moitié de la phrase que j’ai prononcée. J’ai dit que si tous les autres Etats de l’Union européenne ont également un mécanisme de holdings et qui figure également sur cette liste des holdings abolissent leurs holdings, alors le Luxembourg est prêt à faire de même.

Et je crois que c’est une position européenne tout à fait justifiable, mais nous ne le ferons pas tant que les danois par exemple gardent leurs holdings. Ils les ont d’ailleurs introduits au même moment que nous discutions du code de bonne conduite, donc nous observons très bien ce qui se passe à l’étranger, mais si tous abolissent leurs holdings alors il faut les abolir. Et on me pose toujours la question est-ce qu’on peut encore créer des holdings 29 ; mais oui, bien sûr. Il faut savoir qu’il peut y avoir une nouvelle réglementation à cet égard, mais alors les holdings et des systèmes similaires seront abolis dans tous les Etats de l’Union européenne.

Et en ce qui concerne les provisions pour fluctuations de réassurance, je crois qu’avec certaines modifications techniques nous aboutirons à un système encore très attrayant pour la place de Luxembourg et qui devrait, selon les critères qui ont été établis d’après le groupe Primarolo, passer sans problème le test de ces critères de concurrence déloyale qui ont été établis. Donc, sur les deux points, nous ne contestons pas tous les éléments de ce qui a été dit dans ce code de bonne conduite auquel nous avons participé, mais on est loin d’un accord. Et là aussi, nous exigeons des engagements des autres Etats membres sur l’abolition de ces mécanismes. J’ai d’ailleurs proposé et j’ajouterai cela sans que nous en ayons jamais discuté au code de conduite que pour les sociétés existantes il faudrait réfléchir sur l’introduction d’une grandfathering clause parce que je vois mal comment tous les holdings néerlandais, je crois qu’il y en a 60.000 à Amsterdam, il y en a quelque 10 000 à Luxembourg, pourraient être abolis d’un jour à l’autre. Donc, il faut réfléchir éventuellement sur un système de maintien des sociétés existantes, quitte à ne plus en autoriser par la suite, mais c’est donc tout un débat qui n’a pas encore eu lieu.

Donc, vous voyez que sur la fiscalité c’est un débat difficile, la discussion ne fait que commencer et je crois que la récente proposition britannique risque de mettre à néant deux ans de discussion. Je vous dis que nous protégerons, que le gouvernement luxembourgeois protégera dans ces discussions les intérêts de l’Europe et de notre place financière. Et nous maintiendrons notre position sur la coexistence. Le secret bancaire luxembourgeois, je le dis une énième fois, restera toujours le même comme celui d’autres places financières, et, notamment, comme celui de la Suisse.

I. B) L’espace européen de justice

Mesdames et Messieurs, si le secret bancaire a un rôle spécifique et légitime à jouer, il ne peut évidemment pas être défendu s’il peut être perçu comme servant de protection aux criminels. Il faut donc des législations internes et des réglementations de coopération entre les autorités de justice européennes pour éviter les abus. Et cela m’amène au deuxième aspect de la politique européenne que je voulais aborder : l’espace de Justice. Nous savons très bien que la criminalité de tous genres ne s’arrête point aux frontières nationales. Et cette coopération entre autorités de justice a évidemment pris une nouvelle dimension avec l’entrée en vigueur, l’année dernière, du Traité d’Amsterdam, puisque nous avons décidé de créer, l’espace de Justice, de Liberté et de Sécurité. C’est donc, je crois, l’un des nouveaux grands chantiers de la construction européenne. Je crois que l’élargissement et l’espace de Justice sont les deux grands chantiers sur lesquels travaillera l’Union européenne dans les cinq ou dix ans à venir. C’est un chantier fascinant, parce qu’il apporte vraiment un plus au citoyen. Le manque de coopération rapide et efficace entre autorités de police et de justice rend effectivement la vie facile aux criminels. Donc, comment pouvons nous améliorer les systèmes qui existent? C’est tout le débat. Je crois que le fait que la politique de justice passe du troisième au premier pilier avec des phases de transition, donc que cette politique de justice devienne une politique communautaire, où à l’époque des conventions internationales étaient la règle, va faciliter les avancées dans ce domaine.

Mais c’est aussi un chantier compliqué, parce que les droits et notamment les droits pénaux de nos Etats membres divergent encore dans une très large mesure. Si donc cela pose des difficultés, je voudrais quand même que l’étranger, que ceux qui nous écoutent à l’étranger sur cette question sachent très clairement que le gouvernement luxembourgeois est fermement décidé à participer à tous les efforts européens destinés à renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité transfrontalière. C’est pour cela, que en tant que ministre de la Justice, nous avons accepté d’apporter notre pierre à la construction de ce que nous appelons Eurojust, donc un peu le pendant d’Europol, où les autorités de justice nationales coordonnent leurs actions dans la lutte contre les formes graves de criminalité. Ce ne sera pas un parquet européen ou un juge d’instruction européen, mais c’est un endroit où les magistrats des différents pays, où les magistrats peuvent coordonner leurs actions en matière de lutte contre la criminalité grave transfrontalière. Nous estimons que la meilleure solution serait de limiter le champs d’application d’Eurojust aux mêmes compétences que celles qui sont actuellement celles d’Europol.

Je crois que nous souhaitons tous, banquiers compris je suppose, que cette coopération soit utile chaque fois que nos maisons, vos banques sont cambriolées, que nos voitures sont volées, quand il y va de la corruption internationale, du trafic de drogue et moi je vous dis qu’il ne saurait en être différemment quand l’entraide en matière pénale vise des clients d’établissements bancaires. Il faut donc que, là, nous adaptions si besoin est nos réflexions à cet égard, surtout que la politique européenne en la matière évolue rapidement dans ce domaine et d’ailleurs j’observe que la presse y consacre très peu d’articles.

Je tiens à vous informer que les chefs d’Etat et de gouvernement ont décidé à Tampere donc le sommet européen consacré aux décisions de justice, que dorénavant la pierre angulaire de la coopération judiciaire au sein de l’Europe, même pour les décisions précédents la phase de jugement est la reconnaissance mutuelle. Ce n’est donc plus, l’entraide judiciaire. Je le dis, parce qu’on a, à Luxembourg un débat sur l’entraide judiciaire, j’y reviendrai tout à l’heure. Au niveau européen, même si cela se matérialisera peut-être dans cinq ou dix ans, le nouveau concept est celui de la reconnaissance mutuelle. Concept que nous connaissons bien, que nous connaissons bien dans le milieu bancaire. Si une autorisation de faire le commerce de l’activité bancaire est délivrée à Luxembourg, tous les autres Etats doivent la reconnaître. Le même principe, tel est le souhait des chefs Etat et de gouvernement, devrait s’appliquer demain aux décisions de justice avec l’argument de fond que nous sommes tous des Etats de droit. Nous avons tous des règles de procédure et de défense similaires, et il faut que la confiance mutuelle règne dans les Etats membres et leurs systèmes de justice.

J’observe qu’à Tampere, le Premier ministre luxembourgeois était le seul à exiger à maintes reprises, comme, je l’avais déjà fait au Conseil des ministres de la Justice de Turku qui a précédé Tampere, qu’il ne peut y avoir de reconnaissance mutuelle ou qu’elle ne peut fonctionner de façon efficace que si, au préalable, on a une harmonisation des éléments constitutifs des infractions. Donc qu’on combatte la même chose, et que dans ce cas-là, la reconnaissance mutuelle des décisions de justice, des perquisitions, des saisies, deviendrait beaucoup plus simple et les démarches seraient beaucoup plus logiques. Le gouvernement luxembourgeois a réussi à Tampere à faire inclure cela dans les conclusions du Sommet de Tampere. Mais j’observe que, dans la pratique des groupes de travail qui s’occupent actuellement de la reconnaissance mutuelle, cela n’est pas toujours respecté. Donc, il y a un très fort courant en Europe qui souhaite aller rapidement vers la reconnaissance mutuelle.

Et dans ce contexte, je voudrais parler de deux aspects qui sont des corollaires de ce que je viens d’évoquer. C’est le principe de la double incrimination et le principe de la spécialité. Principe de la double incrimination, donc le fait punissable qui donne lieu à la coopération judiciaire doit être un fait punissable selon la loi tant du pays requérant que du pays requis. C’est un principe de base qui régissait les conventions du Conseil de l’Europe en la matière. Le principe de spécialité, disant que, lorsque dans une commission rogatoire en général on demande telle information pour telle infraction, elle ne peut être utilisée que pour l’instruction qui est faite sur cette affaire.

J’observe que la Commission et la plupart sinon tous les Etats membres, à l’exception du Luxembourg, ne défendent plus le principe de la double incrimination et le principe de la spécialité. Donc, ils sont prêts à abandonner ces principes. J’ai dû au cours des dernières semaines me battre, au sein du Conseil des ministres de la Justice, dans le cadre de l’adoption d’une convention en matière d’entraide judiciaire qui devrait, entre les Etats membres de l’Union européenne, régler en pratique un certain nombre de principes qui figurent aujourd’hui dans la convention de 59 du Conseil de l’Europe. Tous étaient d’accord, sauf nous, à ce que ces deux principes que je viens d’évoquer, soient abolis. Il faut le savoir, on peut le regretter, je l’ai fait, mais c’est un fait. Et donc si, sous cette convention qui doit être encore approuvée par le Conseil, probablement le mois prochain, des données à caractère personnel sont transmises à un autre Etat, il peut l’utiliser dans toutes autres procédures pénales et même dans les procédures administratives ou judiciaires directement liées à des procédures pénales. Je vous signale tout cela ici parce que, il faut savoir que ces principes qui me semblent corrects et que nous défendons, ne sont pas vus ainsi dans les autres Etats de l’Union européenne.

J’évoque surtout, Mesdames et Messieurs, maintenant, les dossiers qui nous posent des difficultés et qui requièrent notre effort quotidien. Ces difficultés ne doivent pas voiler le fait que, grâce aux autres volets de la construction européenne en matière de secteur financier, volets auxquels nous contribuons également chaque jour, la place financière se développe merveilleusement bien. Je tiens quand même aussi à ne pas donner uniquement une image que l’Europe est pleine de problèmes pour notre place financière. Le contraire est vrai. Le gouvernement soutient pleinement le plan d’action pour le marché financier unique, présenté l’année dernière par la Commission européenne, et nous souhaitons qu’il soit rapidement mis en œuvre par le Conseil, les différents volets que ce plan inclut. Je crois en effet que la stabilité, et l’intégration des marchés européens sont la garantie de survie de notre place financière. Dans tous les dossiers difficiles cités tout à l’heure, comme dans les autres moins difficiles pour nous, je peux vous assurer que nous ferons des propositions constructives. Vous êtes habitués dans votre métier à la flexibilité et au changement. Et bien, moi je vous dis qu’en matière de construction européenne aussi, en politique aussi, les règles changent. Il ne faut donc pas craindre ces évolutions, il faut les anticiper et il faut s’adapter en conséquence. Sachez en tout cas que nous veillerons aux intérêts de la place dans ces différents dossiers et que nous comptons sur votre coopération dans l’élaboration des différentes positions que nous soumettons au Conseil Ecofin, là où cela me semble opportun et possible.

Mais, je le répète, toute solution qui conduit à une délocalisation de l’Union européenne est mauvaise pour l’Europe et pour la place de Luxembourg. Cela vaut pour la fiscalité, cela vaut pour l’entraide. Dans la fiscalité, nous disons oui à une taxation de l’épargne, nous disons oui au modèle de coexistence et oui au paquet fiscal. Il faut donc que les oui dominent dans la discussion européenne. Dans l’entraide nous sommes pour une lutte efficace contre la criminalité transfrontalière, mais aussi, et c’est trop souvent oublié dans ces débats, pour la protection de la liberté des particuliers et des droits de la défense. Je crois que c’est notre devoir en tant que ministre de la Justice, de rappeler toujours ces principes qui devraient être évidents dans un Conseil composé de ministres de la Justice qui, dans la très grande majorité, ont été des avocats quand ils exerçaient d’autres professions que le métier politique. Et je peux vous dire que, pour moi, dans ces discussions sur l’entraide, il y a un grand principe qui joue et que je formule par cette phrase qui ne vient pas de moi mais dont je ne connais pas l’auteur "que l’honneur d’une démocratie est de combattre la délinquance sans mettre à mal les droits de l’homme." Le gouvernement luxembourgeois se battra pour ces principes. Il l’a fait à Tampere et continuera à le faire, mais uniquement dans la mesure où notre position ne peut pas être comprise à l’étranger par d’autres comme une mise en question de notre détermination à combattre efficacement la criminalité transfrontalière. Une position singulière mal comprise sur ces questions risque de porter gravement atteinte à l’image de marque de notre pays. Ces arguments valent pour l’entraide judiciaire internationale ils valent aussi pour l’entraide judiciaire au niveau national, et cela m’amène directement à ce volet national et je vous promets d’être plus bref puisque le temps avance.

La politique nationale en faveur de la place financière

II.A) La législation

Le volet de l’entraide judiciaire national, est en discussion à Luxembourg depuis trop longtemps. L’étranger nous observe sur cette question ; je félicite le Parlement à ce qu’il ait mis l’adoption de ce projet de loi sur la liste des priorités absolues. Il faut que les seules critiques valables de l’étranger en cette matière qui concernent la durée des recours soient éliminées en ce que nous raccourcissons à court terme les délais dans lesquels de tels recours peuvent être faits et le nombre de recours qui peuvent être faits. Pour ma part, en tant que ministre la Justice, j’ai proposé au Parlement que, dans ce projet de loi, je renonce aux contrôles d’opportunité en matière de perquisitions et de saisies qui appartiennent actuellement au ministre de la Justice. Parce que j’ai vu qu’à l’étranger ce pouvoir de contrôle de l’opportunité était très mal compris. J’ai reçu des gens, représentants d’un parlement élu d’un pays voisin, qui m’ont dit, "mais je vous comprends très bien Monsieur le ministre, vous voulez quand même regarder dans ces dossiers s’il n’y a pas des amis politiques que vous devez protéger quand vous avez de telles commissions rogatoires". Je leur ai répondu : que, d’abord, il y avait très peu de chrétiens démocrates dans les gouvernements des autres Etats membres de l’Union européenne, je le regrette, mais c’est actuellement un fait, ça peu changer, ça changera. Ensuite, je leur ai dit que le contrôle que j’exerce était un contrôle qui n’avait rien à voir avec un contrôle politique, parce que nous regardons des critères que nous avions, que mes prédécesseurs avaient clairement défini.

Nous regardons par exemple si c’est une autorité judiciaire qui demande la commission rogatoire. Nous regardons si la formulation de la commission rogatoire est suffisamment précise. Nous regardons s’il n’y a pas de "fishing expedition" donc saisies toutes banques, tous ces aspects, et j’ai donc proposé dans un débat constructif avec la commission compétente de la Chambre des députés que, dorénavant, ces conditions seront encore vérifiées, mais non pas par le ministre de la Justice, mais par les autorités judiciaires, en l’occurrence le procureur général d’Etat. Et je crois comprendre que le parlement a fait une proposition en ce sens dans ses derniers amendements au parlement. Donc les mêmes conditions seront vérifiées mais non plus par une autorité politique parce que cela est mal compris à l’étranger. L’entraide, d’ailleurs et je le dis moins pour vous, mais pour ceux qui risquent de nous écouter à l’étranger, que l’entraide fonctionne bien. Quand je demande des chiffres, des statistiques, malheureusement nous sommes mal équipés en ce domaine, mais quand nous demandons des statistiques précises sur les relations avec un Etat particulier, j’observe à chaque fois qu’on répond à la plupart des commissions rogatoires dans un délai très raisonnable, très bref. Et dans les quelques cas où il y a des délais un peu plus longs, il y a souvent des raisons qui ont trait à des imprécisions en provenance de l’Etat requérant, et non pas de l’Etat requis, en l’occurrence nous-mêmes. Donc, je voudrais simplement que ce projet soit rapidement adopté dans une ligne raisonnable et qu’il puisse être présenté à nos collègues étrangers.

Je me rends bien compte que la place financière a besoin d’un cadre juridique stable, stable dans le sens que les lois qui ont été adoptées ne changeront pas tous les jours, mais, en même temps, ils doivent évoluer en ce sens que nous devons instaurer des cadres juridiques pour de nouveaux produits financiers. Et c’est ce que nous sommes déterminés à faire. Nous l’avons fait avec les lettres de gage, nous avons vu tout à l’heure qu’on a déjà trois banques qui ont été instaurées. D’ailleurs nous sommes prêts à adopter rapidement des changements de loi, ayant noté que notre loi pourrait être encore améliorée suite à certaines modifications législatives à l’étranger. Nous avons déposé un projet de loi modifiant la loi sur les lettres de gage, et si j’ai bien vu le calendrier provisoire de la Chambre des députés, ce projet sera probablement évacué par le Parlement en mai-juin de cette année. Donc, cela prouve que notre parlement, en ces matières, sait travailler très rapidement.

Les fonds de pension sont un autre exemple où nous avons légiféré. Il ne faut pas croire que, lorsqu’on légifère, le premier jour où la loi apparaît au Mémorial on voit immédiatement le produit, le résultat du produit législatif, mais, selon nos informations, le premier fonds de pension international pourrait être approuvé sous peu. D’autres dossiers intéressants sont sur la table et donc je crois que, là aussi, les fonds de pensions avec les SEPCAV et les ASSEP auront un avenir très prometteur. On verra sous peu un développement similaire à ce qu’on a vu avec satisfaction avec les lettres de gage. Nous étudions tout un tas de législations pour les nouveaux produits financiers ou pour ceux qui requièrent un cadre juridique. On réfléchit aux trusts, on réfléchit à la titrisation des créances, à d’autres produits financiers, toujours dans une perspective européenne. Et je crois que c’est là l’atout de notre législation. Nous ne pensons pas au marché luxembourgeois dans nos législations, nous pensons au marché européen, nous n’établissons pas de barrières qui, demain, ne permettraient pas aux promoteurs de différents horizons juridiques et géographiques à ne pas se retrouver dans ces législations.

Je crois également que, parmi les mesures nationales, le rôle de l’administration est extrêmement important. Je crois que le nouvel organe de surveillance de la place financière, qui est issu de l’ancien IML, donc la commission de surveillance du secteur financier, a fait au cours de sa première année, un excellent travail, un travail pragmatique, efficace, strict dans la surveillance. Et c’est un atout de la place, et si la place va aussi bien, c’est aussi le mérite de cette commission de surveillance qui a su par le passé, surtout dans sa nouvelle formule, répondre aux exigences d’une place qui évolue rapidement.

Parmi les mesures législatives, bien sûr, la fiscalité joue un rôle important. Nous sommes en train d’élaborer la réforme fiscale que le Premier ministre a annoncée dans sa déclaration du 12 août dernier, et qui devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2002, même jour ou entrera en vigueur l’Euro, donc c’est un bon moment pour transposer notre législation fiscale en Euro, mais notre réforme fiscale ne se limitera pas à traduire les montants en Euros. Nous allons faire une réforme fiscale qui, combinée aux nombreuses réformes que nous avons faites au cours des dernières années et qui ont largement profité aux banques, réduction de l’impôt sur les collectivités, modernisation des provisions forfaitaires, neutralisation économique de l’impôt sur la fortune, et j’en passe, donc, nous en ferons de même dans les années à venir. Le projet est en train d’être élaboré.

Evidemment et là, je parle plutôt en tant que ministre du Budget que de ministre du Trésor, la politique fiscale doit s’insérer dans un objectif d’équilibre des finances publiques. Il est facile d’exiger que les impôts baissent sans nous dire comment nous allons payer, pour les écoles, les lycées, les centres des personnes âgées, les infrastructures routières, aéroportuaires, qui sont aussi nécessaires pour le bon fonctionnement de la place financière. Donc, c’est un équilibre que nous devons atteindre. Mais, évidemment, en ce qui concerne les entreprises, notre politique fiscale pour nous doit être un instrument de la consolidation et du renforcement de la compétitivité de l’économie luxembourgeoise. Le volet de la fiscalité des ménages me semble, également dans ce contexte revêtir un volet important, puisque ce sont quand même des hommes et des femmes qui travaillent dans les banques et l’attrait de la place est aussi inspiré par la fiscalité directe des ménages, une fiscalité qui respecte l’effort individuel tout en promouvant l’équité sociale. Avec des charges sociales qui sont moins élevées que dans les pays étrangers, je crois que la place a tout pour se développer favorablement au cours des années à venir. Donc, il est essentiel que nous continuions à travailler activement dans tous ces domaines, de nombreux domaines européens, et au niveau de la politique législative nationale. Il faut beaucoup d’imagination à cet égard. Il faut beaucoup s’inspirer à l’étranger.

II.B) Le développement de la place financière

Mais il ne suffit pas de bien travailler, encore faut-il informer correctement l’étranger de nos activités, encore faut-il que cette place s’ouvre à de nouveaux marchés et à ce que cette place témoigne concrètement à l’étranger de sa haute qualité et de sa spécialisation. Pour atteindre ces deux objectifs, j’ai décidé, en accord avec les dispositions du programme gouvernemental, de mettre sur pied à partir d’aujourd’hui un comité pour le développement de la place financière de Luxembourg. Et j’ai demandé à Monsieur Jean-Nicolas Schaus directeur général de la CSSF de présider ledit comité qui fonctionnera sous mon autorité directe. Ce comité servira donc de cellule de réflexion et de proposition auprès de moi. Il devra être soucieux de l’intérêt général de la place et du pays. Il devra faire le point sur la réalité de cette place financière et devra réfléchir sur la stratégie de cette place financière à l’avenir. Il doit promouvoir une meilleure compréhension de l’importance de la place financière, et la diffusion de l’image véridique de cette place à l’étranger. Il devra pouvoir discuter librement de l’ensemble des questions qui ont trait à la place financière. C’est pour cela que j’ai souhaité que ce comité se compose de personnalités qui représentent, d’un côté, au titre de leur fonction, et, d’un autre côté, à titre personnel, l’ensemble des acteurs de  la place financière du secteur public et du secteur privé. Evidemment, des représentants du gouvernement figureront également dans ce comité. Mais je souhaite qu’à travers ce comité, nous nous attaquions plus concrètement au développement durable de cette place financière et que nous jouions un rôle actif pour le développement et la promotion de cette place financière à l’étranger. Je suis convaincu que Monsieur Schaus saura s’entourer de personnalités qui, dans une structure flexible, sauront apporter un plus à cette place financière et où nous verrons les fruits dans très peu de temps. Evidemment, la décision sur une éventuelle mise en œuvre de ces décisions est du ressort des seules autorités politiques, mais je crois qu’il est important pour les responsables politiques qu’il y ait des cellules de réflexion qui incluent les acteurs administratifs, économiques et politiques d’une place. Tel est l’objectif que je souhaite atteindre avec le comité pour le développement de la place financière de Luxembourg. Je souhaite que ce comité regarde si cette place ne peut pas s’ouvrir vers d’autres produits, si elle ne peut pas s’ouvrir vers d’autres marchés, en dehors de l’Union européenne notamment, si elle ne doit pas s’orienter davantage vers d’autres clients, et notamment plus vers des clients institutionnels. Donc, tout cela à eux de réfléchir, à eux de faire des propositions constructives.

Conclusions

Mesdames, Messieurs,

le Luxembourg a et continuera à avoir besoin de l’Europe. Je rappelle ce credo avec lequel j’ai commencé ce soir, pour sa paix, sa stabilité et sa prospérité. Le Luxembourg a, et je le remarque tous les jours, une voix importante en Europe, qui est écoutée et respectée. L’Europe a aussi besoin, pour sa part, de différentes places financières, dont celle du Luxembourg. L’Europe serait pauvre, si elle n’avait que quelques places, très peu de places ou quelques grandes places financières. Je note d’ailleurs que souvent c’est la place de Luxembourg qui est le moteur de l’intégration des marchés financiers européens. Et il en est bien ainsi. Il est bien aussi qu’il y ait en Europe des gens qui croient qu’une réglementation excessive peut conduire à des délocalisations en dehors de l’Union européenne. Ce serait grave pour l’Euro, ce serait grave pour l’économie européenne. Mais, en même temps, il ne faut pas oublier que l’Europe changera le Luxembourg et sa place financière, comme elle d’ailleurs, elle nous change depuis cinquante ans. Je souhaiterais simplement que ces changements ne nous conduisent pas à des réactions défensives mais elles doivent faire naître en nous des idées nouvelles, des propositions qui assurent un développement durable de cette importante place financière. Je souhaite que vous Mesdames et Messieurs les banquiers, vous prépariez dans vos maisons ces changements. Comme vous avez si bien pu le faire par le passé avec les fonds d’investissement, la gestion de patrimoines, les banques électroniques, demain les fonds de pensions.

C’est à vous de développer cette place financière, c’est à vous de veiller par votre comportement éthique dans vos activités à l’image de notre pays à l’étranger. Le gouvernement peut encadrer et accompagner ces efforts, mais un rôle important vous revient. Le gouvernement peut accompagner ces efforts au niveau national, en améliorant sans cesse la législation financière et fiscale dans un esprit de flexibilité et d’ouverture sur l’Europe. Nous le ferons. Au niveau européen, avec la voix qui est la nôtre en Europe avec les droits qui sont les nôtres en vertu des traités européens, nous ferons des propositions qui tiennent compte des spécificités de notre place financière et qui sont dans l’intérêt du développement de cette place financière. Et je vous dis une chose : sachez que, dans notre activité quotidienne, nous avons constamment à l’esprit l’intérêt des 30 000 personnes dont vous avez parlé, M. le président, qui travaillent dans le secteur financier, la vie de leur famille qui dépend de cette activité au secteur financier et le bien-être économique et social de notre pays qui en dépend dans une large mesure.

Je vous remercie.

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