Discours de François Biltgen à l´occasion de la 88e session de la Conférence Internationale du Travail à Genève

Monsieur le Président,

Permettez-moi en premier lieu de vous transmettre mes félicitations et celles de mon gouvernement, à l’occasion de votre élection comme président de la présente session de la Conférence internationale du Travail.

Je n’ai aucun doute que votre compétence et expérience en matière de politique de l’Emploi et du Travail vous permettront de faire aboutir à un franc succès cette session si importante de la Conférence.

Che(è)r(e)s collègues,
Mesdames, Messieurs,

J’ai évoqué l’importance de la présente réunion. Je voudrais la resouligner formellement en prenant à témoin son Excellence Monsieur Somavia lui-même, et notamment trois de ces récentes interventions qui résument bien l’état à la fois des relations du travail dans le monde et la situation de l’OIT dans le contexte de la mondialisation des relations économiques et sociales.

Je veux citer en effet comme textes de référence,

  • premièrement le rapport du directeur général pour la Conférence de l’année passée, intitulé "Un travail décent",

  • deuxièmement, le premier rapport global, intitulé "Votre voix au travail", sur la mise en œuvre de la première série de principes retenus comme normes fondamentales du travail par la Déclaration sur les droits fondamentaux des travailleurs de 1998, rapport que nous sommes appelés à discuter cette année-ci, et, finalement, le discours du directeur général devant le Pape Jean Paul II du 1er mai dernier, lors du Jubilé des Travailleurs, discours dans lequel Monsieur Somavia a fait un appel pour une "union mondiale en faveur du travail décent" et qui constitue en quelque sorte une synthèse de la situation actuelle. 

Ces derniers termes (union mondiale en faveur du travail décent) résument à eux seuls la démarche que nous devons tous suivre, si nous voulons éviter que le nouvel ordre économique mondial ne se solde par un désastre social mondial qui, par effet de cercle vicieux, détruira les bienfaits que la mondialisation pourra – et devra – procurer à tous, si elle est bien gérée.

Il faudra, dit Monsieur Somavia, (je cite) une "union mondiale" dans le cadre de laquelle tous les acteurs engagent leur responsabilité, afin de doter l’économie mondiale "du pilier éthique qui lui manque" et de veiller à ce que cette "new economy" soit bénéfique à beaucoup et non à une minorité de personnes.

Le gouvernement luxembourgeois soutient expressément cette approche. Il faudra doubler le nouvel ordre économique mondial d’un nouvel ordre social mondial.

1. Pour ce faire, il faudra effectivement créer une sorte d’union "sacrée" de tous les acteurs impliqués. Je vise par-là les Etats, les Organisations internationales, dont plus particulièrement l’OIT, l’OMC (qui, soit dit entre parenthèses, doit sérieusement remettre en question sa philosophie actuelle) et l’OCDE, mais aussi, et cela dans une mesure extrêmement importante, les partenaires sociaux.

La tribune de l’OIT est d’ailleurs particulièrement appropriée pour en appeler à la responsabilité des partenaires sociaux qui portent une responsabilité très concrète et très lourde dans la mise en œuvre de l’ordre social mondial dont j’ai parlé. Le partenariat social, voire le tripartisme, doivent devenir une réalité efficace partout. Cependant, le rôle des partenaires sociaux doit encore plus qu’actuellement changer. Ils ne peuvent plus rejeter la responsabilité sur les seules autorités publiques. Le dialogue social est vital, non seulement pour la politique sociale, mais aussi pour un bon fonctionnement de l’économie nationale et mondiale.

J’estime que les partenaires sociaux doivent être plus directement responsabilisés en vue de prendre en compte la nécessité de créer des emplois de qualité, de mieux répartir l’emploi et les richesses et de ne pas uniquement songer à ceux qui ont des emplois. Il faudra agir concrètement, comme devront le faire les autorités publiques nationales et internationales, pour ceux qui sont exclus ou risquent l’exclusion. Ce sera a fortiori le cas en vue d’éviter la création de nouveaux exclus par leur non-accès ou leur non-formation aux nouvelles technologies, notamment de l’information.

 Pourquoi d’ailleurs ne pas trouver des enceintes et des mécanismes où les partenaires sociaux, comme les Etats membres ou les Organisations internationales, doivent rendre compte des efforts qu’ils ont faits?

2. Le terme "d’union mondiale" signifie aussi qu’il nous faut pratiquer une politique de l’emploi et sociale volontariste. Ne commettons pas l’erreur, comme la Communauté européenne à ses origines, de penser qu’une évolution économique positive entraînera automatiquement un niveau de protection sociale et de droit du travail élevé. C’est un leurre. La mondialisation ne créera nullement automatiquement un cercle vertueux entraînant vers le haut la protection sociale.

Il faudra, avec beaucoup d’efforts de la part de tous les acteurs, durement travailler pour mettre en place ce cercle vertueux, possible, mais non automatique.

3. Cependant, si vous me permettez ce jugement, nous pensons que les réflexions du BIT se basent, du moins à l’heure actuelle, trop exclusivement sur une approche d’éthique ou de morale. Ces valeurs constituent indéniablement la base – indispensable – de nos réflexions  portant sur une remise en cause de la nature et de la finalité de l’économie. Il faudra cependant traduire cette approche éthique par des démarches politiques et juridiques concrètes.

Nous étions tous fiers en adoptant, à 175, la Déclaration de 1998. Dans une certaine mesure cette fierté était justifiée. Mais il faudra bien voir que nous avons achevé par-là un strict minimum; ce n’est qu’un début timide. Il faudra maintenant garder le momentum, non seulement par le biais des rapports prévus dans la Déclaration, mais en mettant régulièrement à l’ordre du jour de cette Conférence le renforcement, l’élargissement, quant au fond, des droits fondamentaux des travailleurs ainsi que l’amélioration de la procédure de surveillance multilatérale, qui doit devenir de plus en plus contraignante. Nous acceptons bien de telles procédures en matière de politique financière et économique. Pourquoi nous nous y refusons en matière de politique sociale?

Quant au fond, il y a des principes fondamentaux qui doivent être universellement sauvegardés et pour la violation desquels il ne peut y avoir ni excuse, ni prétexte, ni période transitoire.

Nous plaidons donc pour le relèvement urgent du socle de droits sociaux minimaux contraignants au niveau mondial tel qu’il fut adopté en 1998. Nous continuons aussi à plaider pour l’intégration formelle de ces normes sociales dans le commerce mondial et l’institution de processus de surveillance multilatérale aussi contraignants que possible.  Si on parle de travail décent, pour prendre cet exemple, la Communauté internationale devra se donner les règles de fond et de procédure pour garantir aux travailleurs les salaires et aux citoyens les revenus minima qui leur permettent cette vie décente.

4. L’Union européenne l’a bien compris en instituant de telles procédures, d’abord en matière de respect de critères économiques et financiers communs, puis, à partir du Conseil européen de Luxembourg en 1997, et, plus encore à partir du récent Sommet de l’UE à Lisbonne, en matière de politique économique, d’emploi et d’inclusion sociale.

L’UE a dépassé les considérations de pure éthique et a concrètement et juridiquement mis en œuvre cette politique intégrée visant tant l’emploi que la décence de l’emploi.

En Europe nous avons compris que la politique économique et structurelle, la politique de l’emploi et la politique d’inclusion sociale sont les trois côtés nécessairement complémentaires d’un même triangle.

A cette fin, nous nous sommes fixés ou nous nous fixerons à bref délai au sein de l’UE des objectifs en partie chiffrés ou quantifiés, qui font partie de surveillance multilatérale, voire, en partie, de sanctions. Ces critères et procédures concernent à la fois les aspects économiques et financiers, l’accès à la société de l’information et la lutte contre le chômage et l’exclusion sociale.

Je suis d’accord pour admettre que l’état de développement économique et social des uns et des autres diffère largement. Je pourrai donc accepter des approches taillées sur mesures, mais néanmoins précises et, dans une certaine mesure, contraignantes.

Néanmoins, je maintiens que seule une politique cohérente et volontariste, juridiquement encadrée et visant les trois aspects précités peut nous faire avancer vers un ordre mondial comprenant une économie performante, des démarches actives contre le chômage et en faveur de l’emploi pour tous et une politique efficace contre l’exclusion sociale.

En tout état de cause, nous avons encore le temps de créer ce cercle vertueux, qui, je le souligne encore une fois, ne se fera pas automatiquement. Soyons donc offensifs, moins frileux, en affirmant unanimement le rôle de l’OIT dans la régulation sociale de l’économie mondialisée, et en soutenant d’une seule voix une stratégie intégrée de la globalisation qui fasse profiter, aux niveaux économique et social, le plus grand nombre possible de personnes des bienfaits de cette globalisation.

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, Che(è)r(e)s collègues, je vous remercie de votre attention.

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