Allocution d'Erna Hennicot-Schoepges, à l´occasion du 75e anniversaire de la Fondation Biermans Lapôtre

Altesses Royales,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs,

Il est de ces coïncidences qui ajoutent à la portée historique de certains événements. C’est ainsi qu’il en va de ces deux événements que nous célébrons aujourd’hui: un anniversaire et une inauguration.

Je suis particulièrement heureuse et très flattée de pouvoir prendre part, en ma double qualité de ministre de la Culture, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche et de ministre des Travaux publics, aux cérémonies en l’honneur d’une vieille dame très digne à laquelle les gouvernements belge et luxembourgeois ont redonné, et ses splendeurs d’antan, et une nouvelle jeunesse.

L’enseignement supérieur luxembourgeois a toujours été intimement lié à l’histoire et à l’évolution de la Fondation Biermans-Lapôtre.

Le 21 septembre 1923 était signé le premier “accord intellectuel et scolaire” – aujourd’hui nous dirions ”accord culturel” – entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg. Cet accord avait été conclu pour rendre plus étroites les relations intellectuelles entre les deux pays; il traitait des échanges de professeurs et d’élèves, il prévoyait des équivalences de scolarité et de diplômes et instaurait même une commission mixte permanente chargée d’étudier toutes les questions se rapportant aux relations scientifiques, littéraires et scolaires entre les deux pays.

Seulement quelques mois plus tard, le 10 avril 1924, était signé l’acte de donation des époux Biermans-Lapôtre, acte qui stipulait que la maison qu’ils avaient décidé de construire dans l’enceinte de la Cité Universitaire de Paris était destinée “au logement d’au moins deux cents étudiants choisis, en première ligne, parmi les étudiants belges faisant leurs études en France et, en deuxième ligne, les limbourgeois, hollandais et luxembourgeois…”.

Les étudiants luxembourgeois ne se sont pas fait prier pour prendre leurs quartiers à la Fondation; ainsi, lors de l’inauguration de la Maison le 4 novembre 1927, en présence de Joseph Bech, ministre d’Etat et président du gouvernement luxembourgeois, 11 étudiants luxembourgeois, sur 208 résidents en tout, habitaient la Maison de la Fondation. Au nombre de ces “pionniers” luxembourgeois, il y avait 5 étudiants en médecine, 3 étudiants en droit, 1 étudiant en sciences commerciales et 1 étudiant inscrit à l’Académie des Beaux-Arts. L’histoire n’a malheureusement pas gardé la trace des études suivies par le 11e étudiant luxembourgeois.

Encore deux années plus tard, le 12 septembre 1929, Joseph Bech et Jean Hubert Biermans signaient une convention par laquelle la Fondation louait, à partir du 1er octobre de la même année, six chambres au gouvernement luxembourgeois, dont les occupants étaient à désigner par le ministre d’Etat du gouvernement luxembourgeois. Ces chambres portaient les numéros 30, 31, 32, 75, 76 et 77 et étaient situées au premier et au deuxième étages, au-dessus de la porte d’entrée principale. C’est ainsi que venait d’être instauré le système et la procédure dites des “chambres gratuites”. Elles existent aujourd’hui encore et chaque année académique 6 étudiants luxembourgeois, choisis en fonction de critères sociaux et économiques, continuent d’en bénéficier. Je suppose qu’avec le temps, les termes de la convention se sont quelque peu assouplis et que les chambres ne sont plus les mêmes qu’en 1929, encore que, à entendre d’anciens résidents, les chambres situées face Est soient, après celles donnant sur le Collège franco-britannique, les plus convoitées!

Entre 1927 et 1939, 173 étudiants luxembourgeois ont résidé à la Fondation Biermans-Lapôtre. La plupart d’entre eux étudiait la médecine; un étudiant au Conservatoire de Paris n’a réussi à se faire admettre à la Fondation qu’après moult pourparlers. En effet, le directeur de l’époque, Monsieur Daux, se trouvait dans l’impossibilité de lui accorder un local où il pourrait étudier la musique: "Notre maison, écrit-il, est malheureusement d’une sonorité excessive et les sons d’un piano ou d’un violon s’entendent du rez-de-chaussée au sixième étage, rendant ainsi impossible le travail des autres étudiants". Il s’agit d’un souvenir d’une époque aujourd’hui bien révolue, puisque les travaux de rénovation, dont nous célébrons la fin aujourd’hui, ont, je pense, aussi amélioré l’insonorisation de la maison.

Durant le deuxième conflit mondial, la vie de la Fondation fut mise entre parenthèses. A sa réouverture, en juillet 1945, 6 étudiants luxembourgeois étaient au rendez-vous.

Les années suivantes allèrent devenir plus ou moins houleuses; des conflits éclatèrent entre les étudiants luxembourgeois et les directions successives de la maison; ces escarmouches culminèrent en 1965 lorsque la commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés en fut saisie. On songea même à construire une maison des étudiants luxembourgeois, mais en fin de compte, on décida quand même d’abandonner cette idée, tant le Luxembourg était attaché à cette maison riche en histoire et en tradition qu’était la maison de la Fondation Biermans-Lapôtre.

Cet attachement perdure aujourd’hui; le 31 janvier 2000, j’ai signé, pour une durée de vingt ans, au nom du gouvernement luxembourgeois, deux conventions avec la Fondation Biermans-Lapôtre. Un accord porte sur la participation du Grand-Duché aux travaux de rénovation, l’autre sur notre participation annuelle aux frais de fonctionnement. En contrepartie, la Fondation s’est engagée à réserver un tiers des chambres aux étudiants luxembourgeois.

A l’heure actuelle 51 étudiants luxembourgeois, jeunes filles et jeunes gens, sont logés ici et bénéficient du confort moderne des chambres rénovées.

Il est vrai que l’importante présence d’étudiants à la Fondation, mais aussi dans les autres villes universitaires, est due à l’absence de cycle universitaire complet au Luxembourg.

L’étudiant luxembourgeois doit donc s’expatrier pour un temps donné et il est de mon intime conviction qu’il s’agit là d’une bonne chose. En tant que ministre de l’enseignement supérieur, je suis en train de développer davantage encore l’enseignement supérieur au Grand-Duché. L’accent sera mis sur la création d’une palette de formations de troisième cycle dans des domaines de pointe tels la finance, le droit communautaire, les médias et les biotechnologies, mais également dans des domaines comme l’histoire de la Lotharingie, l’histoire de la construction européenne et l’histoire de la civilisation luxembourgeoise. Ainsi, dans quelques années, un étudiant pourra poursuivre ses études de premier cycle au Centre Universitaire de Luxembourg et il pourra y revenir pour se spécialiser dans le cadre d’un troisième cycle. Mais, entre les deux, il lui faudra quitter le pays, et c’est très bien ainsi.

Permettez-moi de m’attarder quelques instants sur cette spécificité luxembourgeoise qui nous permet de faire de la mobilité des étudiants une partie intégrante et un atout de notre système d’enseignement supérieur.

La mobilité des étudiants luxembourgeois a ses racines dans l’histoire de notre pays.

Remontons au 19e siècle: la Constitution de 1848 donne le droit à chaque étudiant de faire ses études au Grand-Duché ou à l’étranger et de fréquenter les universités de son choix. Or, cette ouverture n’était pas vraiment du goût du Roi des Pays-Bas sous la souveraineté duquel le Grand-Duché avait été placé à la suite du Congrès de Vienne de 1815. Il craignait en effet que, pendant leur séjour en dehors des frontières, les étudiants ne développent des idées subversives et dangereuses pour l’influence des Pays-Bas au Grand-Duché, voire de la monarchie. Voilà pourquoi le système de l’homologation des diplômes et de la collation des grades fut mis en place. Cela signifiait que chaque étudiant luxembourgeois qui faisait ses études supérieures à l’étranger, devait se soumettre à une examen, dit de la collation des grades, à son retour au Grand-Duché. Pendant quelque 80 ans, ce système a permis au Luxembourg de faire former ses élites dans les meilleurs universités étrangères, sans pour autant tomber dans une “dépendance académique”. En faisant passer les examens de la collation des grades, les autorités luxembourgeoises déterminaient le niveau de l’excellence académique nécessaire et marquaient ainsi leur indépendance par rapport aux autorités académiques étrangères.

Les contestations de mai 1968 ont mis fin au système de la collation des grades. En effet, les étudiants luxembourgeois contestaient ce système qui les obligeait, leur diplôme universitaire en poche, à passer une deuxième session d’examen devant des professeurs qui, disaient-ils, n’étaient même pas leurs pairs. La collation des grades fut donc abolie, mais le système des homologations fut maintenu jusqu’à présent.

Le Luxembourg a toujours mis un point d’honneur à envoyer ses étudiants à l’étranger. Nous sommes situés à la croisée de deux cultures et il nous a toujours paru essentiel que nos jeunes aient la possibilité de se former dans l’une de ces cultures, voire dans les deux.

Et nous avons eu raison de garantir la mobilité de nos étudiants.

En lançant le programme ERASMUS, l’Union européenne allait porter ses efforts dans la même direction. Quant aux 29 signataires de la Déclaration de Bologne, dont le Luxembourg, ils allaient se mettre d’accord, en 1999, pour réformer leurs systèmes universitaires de façon à permettre aux étudiants un passage plus facile d’un système à l’autre.

Aujourd’hui, l’enseignement supérieur luxembourgeois est en train de franchir une nouvelle étape; le défi que nous avons à relever est de mettre en place des formations de qualité internationalement reconnues, de favoriser la recherche, de rendre le site universitaire luxembourgeois attrayant pour les étudiants et les chercheurs étrangers.

Cette volonté de construire un site universitaire luxembourgeois n’enlève en rien à notre volonté de continuer à garantir la mobilité de nos étudiants. Au Luxembourg, nous nourrissons l’espoir que nos industriels d’aujourd’hui montreront la même générosité que les époux Biermans-Lapôtre et qu’ils seront les philantropes de la jeunesse estudiantine d’aujourd’hui.

En même temps, nous exprimons notre reconnaissance aux époux Biermans-Lapôtre d’avoir su, à une époque meurtrie par les conflits de nationalismes de la Première Guerre Mondiale, créer une maison où allaient habiter les étudiants de ce qui allait devenir le BENELUX.

Cette reconnaissance est devenue un devoir qui nous force à être vigilants et à permettre le même brassage d’idées et de cultures. La mobilité des étudiants, c’est aussi cela!

Altesses Royales, Excellences, Mesdames et Messieurs les ministres, Mesdames et Messieurs, les étudiants luxembourgeois continueront à venir habiter à la Fondation Biermans-Lapôtre et j’en suis très heureuse.

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