Intervention d'Erna Hennicot-Schoepges au Sommet de la Grande Région, le 12 novembre 2001

Séjournant à Luxembourg en 1871, Victor Hugo écrivait "il n’y a ni Belges, ni Français ni Allemands, il y a les États-Unis d’Europe". Il arrivait de Belgique et allait visiter la Lorraine et les provinces frontalières d’Allemagne. Le poète, dont le monde célébrera le bicentenaire de sa naissance l’année prochaine, avait senti combien la région où il avait trouvé refuge, meurtrie par l’histoire et les combats fratricides qui avaient déchiré l’Europe avait une vocation presque naturelle à devenir le noyau autour duquel les peuples et les nations autrefois ennemies allaient se réunir.

Encore plus près de nous, Robert Schuman disait dans sa déclaration du 9 mai 1950:

“La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. (...)  L'Europe n'a pas été faite et nous avons eu la guerre. (...)  L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble: elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée.”

L'Europe d'aujourd'hui est née de la main tendue à l'ancien ennemi, d'une démarche basée sur le pardon et non pas sur l'esprit de revanche.

La volonté du père fondateur de l'Europe était claire dès le départ: l'union ne peut se faire que sur la base du respect de l'autre en acceptant son altérité.

La Grande Région est aujourd’hui une réalité, mais une réalité en devenir. Elle peut s’affirmer encore plus spectaculairement, aux yeux de l’Europe comme un modèle et un exemple. La culture peut être un des moteurs efficaces de cette consolidation.

Le Parlement européen, par sa décision n°1419/1999/CE du 25 mai 1999, a institué une action communautaire en faveur de la manifestation "Capitale européenne de la culture" pour les années 2005 à 2019. De nouvelles dispositions régissant le choix des villes retenues ont été fixées, prévoyant notamment un jury annuel composé de hautes personnalités indépendantes, au nombre de sept, dont deux sont désignées par les pays assumant la présidence. Une ville d’un État membre est désignée chaque année selon un calendrier prévoyant une ville du Grand-Duché de Luxembourg en 2007. Le dossier de candidature devra comporter un projet culturel de dimension européenne, principalement fondé sur la coopération culturelle.

Luxembourg a déjà assumé le titre de “Ville européenne de la Culture” en 1995. Cet événement a réuni, lors d’innombrables manifestations culturelles, plus de 1,3 millions de personnes.

Sur un budget total de près de 900 millions de LUF (€ 2,23 mio), un tiers a été réuni grâce au sponsoring en liquide et en nature, à la vente de billets et aux royalties perçues sur le catering et les produits dérivés. Les effets, en termes d’image, de fréquentation touristique et de développement culturel ont été considérables.

Pour les acteurs culturels luxembourgeois il y a un avant et un après 1995. La place de la culture dans la société luxembourgeoise, originale par sa diversité ethnique, son plurilinguisme et sa conscience de vivre à la frontière des mondes roman et germanique a pris une importance sans précédent.

Il ne fait pas de doute que l’expérience acquise, l’édification de nouveaux équipements culturels et la professionnalisation des activités au Grand-Duché sont des garants d’une nouvelle opération dont les chances de succès sont indéniables.

Il ne fait pas de doute non plus qu'il y a, actuellement déjà, un certain nombre de réalisations culturelles transfrontalières qui montrent que l'idée de la Grande Région commence à faire son chemin: j'en veux comme exemples

- le Chœur Robert Schuman, l'Orchestre SaarLorLux, l'association des musées de la Grande Région, le Festival du Film et de la vidéo SaarLorLux, la Maison de la Grande Région,

- le quadripôle formé par les villes de Trèves, Saarbrücken, Metz et Luxembourg,

- et puis le projet d'institut culturel tri-national (France, Allemagne, Luxembourg) au futur Centre culturel de Rencontre Abbaye de Neumünster...

C'est pour cela, et persuadés qu’il serait injuste que le Luxembourg bénéficie deux fois en douze ans de cette manifestation, les Luxembourgeois proposent de créer un événement unique et exemplaire, sans précédent et susceptible d’instaurer une coopération culturelle et institutionnelle durable, c’est-à-dire le partage de cette manifestation prestigieuse avec ses partenaires naturels et privilégiés, les régions frontalières de l’ensemble géographique, politique, économique, humain et culturel, que constitue la Grande Région.

La préparation commune, la réalisation pratique, les coopérations, les coproductions, les échanges d’artistes et de publics, la réunion d’un budget, la constitution d’équipes plurinationales, l’invention de structures nouvelles, la recherche de sponsors de secteurs et de nationalités différents… amèneront un changement profond et irréversible des relations transfrontalières.

Afin d’avancer concrètement dans la préparation de ce projet ambitieux et enthousiasmant, le ministère de la Culture du Grand Duché a mis sur pieds une "task force" composée de représentants du ministère d'État, du ministère de la Culture et de l'agence luxembourgeoise d'Action culturelle. Viendront s'y ajouter les ministères des Affaires étrangères et du Tourisme. Les premiers contacts ont été pris avec les relais institutionnels et culturels des régions partenaires.

Une équipe sera chargée de définir le concept global de "Grande Région, capitale culturelle de l'Europe 2007", pour permettre au gouvernement luxembourgeois  de déposer la candidature auprès des autorités compétentes de l’Union en 2002.

Une première rencontre avec les relais institutionnels et culturels est programmée, à Luxembourg, pour le 19 décembre prochain, rencontre à laquelle je vous invite aujourd'hui très cordialement.

L’objectif 2007 sera l’occasion d’une collaboration sans précédent des régions partenaires. Motivant et exemplaire, il permettra de démontrer le potentiel d’une région transfrontalière et transnationale, véritable laboratoire de l’Europe.

Ce projet est un défi pour tous ceux qui ont à cœur de construire, grâce à une entreprise commune, basée sur des activités culturelles réunissant des créateurs, des publics, des sources institutionnelles ou privées de financement, des organisateurs plurinationaux, un événement dont le retentissement, aussi bien que le déroulement seront déterminants pour l’avenir de la coopération entre les différentes entités formant l’espace Grande Région.

Je vous remercie de votre attention.

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