Discours de Erna Hennicot-Schoepges à l'occasion du "Forum des villes du patrimoine mondial"

Madame le Commissaire de la Commission européenne,
Monsieur le Maire de la Ville de Luxembourg,
Monsieur le Sous-Secrétaire du Ministère de la Culture d’Italie,
Madame la Directrice Adjointe du Centre du Patrimoine mondial de l’Unesco,
Eminents Invités,Mesdames et Messieurs,

C’est pour moi un grand honneur et un plaisir sincère, non dénué d’une certaine fierté, de pouvoir vous souhaiter la bienvenue au Forum européen des villes du patrimoine mondial.

C’est un grand honneur aussi pour notre pays et notre capitale d’avoir pu réunir dans cette enceinte une pléiade des meilleurs spécialistes en matière  de «  restauration et valorisation touristique des sites du Patrimoine mondial ».

Enceinte symbolique à plus d’un titre. Car le nouveau Musée National d’Histoire et d’Art, qui vient d’être inauguré, est situé au berceau historique de la Ville de Luxembourg, dans  le périmètre de notre site unique inscrit sur la Liste du Patrimoine mondial sous la dénomination « Ville de Luxembourg : anciens quartiers et fortifications ». Et nous croyons que l’architecture moderne de ce musée, dans un noyau urbain plus que millénaire, peut être considérée comme un exemple réussi de symbiose entre le nouveau et l’ancien.

Mesdames et Messieurs,

En ma triple qualité de ministre de la Culture, ministre de tutelle de notre Commission nationale pour la coopération avec l’Unesco et  ministre des Bâtiments publics, je me sens autorisée à faire quelques réflexions liminaires concernant le thème-pivot de ce Forum : le patrimoine :

La défense du patrimoine constitue aujourd’hui un des grands défis de la communauté mondiale.

Selon la Convention du patrimoine mondial, adoptée par la conférence générale de l’Unesco en 1972, et dont on vient de célébrer le trentième anniversaire à Venise : « les sites inscrits sur la Liste du patrimoine mondial appartiennent à tous les peuples, sans tenir compte du territoire sur lequel ils se trouvent » et constituent « un patrimoine à la préservation duquel « il incombe à la communauté internationale tout entière de participer ».

Or ce patrimoine est exposé à bien des dangers : conflits armés, catastrophes naturelles, vols et pillages… Et même des destructions intentionnelles, comme celle des bouddhas de Baniyam en Afghanistan. A Baniyam, le seul et unique bouddha géant du monde qui appartenait à l’école de Gandhara – caractérisée par la symbiose de la civilisation gréco-romaine et les civilisations de l’ancienne Perse, du sous-continent indien et de la Chine – a été délibérément démoli et demeure désormais perdu à jamais. On peut presque tout reconstruire, on ne peut pas refaire une œuvre d’art, créée pour l’éternité, du moins pour ce qui s’en rapproche le plus ici-bas, la pérennité, et démolie absurdement dans quelques instants d’aveuglement iconoclaste.

Il s’agit là, pour citer la Déclaration de Budapest sur le patrimoine mondial, du 28 juin 2002, d’une « atteinte à l’esprit humain et à l’héritage commun de l’humanité.»

La communauté internationale devra trouver des voies et moyens pour honnir et sanctionner désormais les crimes avérés contre le patrimoine, non seulement culturel, mais tout aussi bien le patrimoine naturel que nous devons léguer aux générations futures.

La défense du patrimoine est également un défi plus spécifiquement européen

Lorsqu’on analyse la distribution des sites du patrimoine mondial, on constate une forte concentration dans les pays  européens.

Notre patrimoine commun constitue un conservatoire de la mémoire de l’Europe. Un héritage qui, malgré son extrême diversité,  nous permet de retrouver nos racines et de mieux cerner notre identité culturelle, surtout au moment d’un élargissement de l’U.E qu’on peut qualifier d’historique. Au moment également où cette nouvelle Europe est en train de se donner une Constitution. Et je ne puis que me rallier à l’idée avancée tout récemment à Venise - lors de la commémoration du trentième anniversaire de la Convention de 1972 - pour que la protection du patrimoine naturel et culturel fasse l’objet d’une déclaration formelle dans la future Constitution de l’Europe.

En tant que ministre de tutelle, je voudrais souligner ici l’action exemplaire de l’Unesco  qui a très tôt joué un rôle de pionnier dans la protection du patrimoine mondial. Faut-il encore rappeler les grandes campagnes internationales qu’elle a lancées, à partir des années soixante, pour sauver des sites célèbres comme Abou Simbel et les monuments de Nubie, la cité de Mohenjo Daro au Pakistan, l’ensemble du temple bouddhique de Borobudur en Indonésie ; enfin la campagne Sauvez Venise, après la grande inondation du 4 novembre 1966 et,  plus récemment, l’action de sauvetage de l’ensemble gigantesque des temples d’Angkor au Cambodge, et des sites historiques de Hué, l’ancienne capitale du Vietnam.

Je voudrais rendre hommage également au rôle éminent du Centre du patrimoine mondial, chargé de la mise en œuvre de la Convention de 1972, principal instrument juridique international qui a permis à l’UNESCO d’exercer la fonction de conscience universelle pour la protection du patrimoine culturel et naturel. Et j’ai le grand plaisir de saluer la présence parmi nous de Madame Minja Yang, (représentante de M. Francesco Bandarin), Directrice Adjointe du Centre du patrimoine mondial, notamment en sa qualité de coordinatrice du programme des villes du patrimoine mondial.

Mais l’UNESCO ne peut pas tout faire. Elle a très tôt cherché à s’adjoindre des partenaires, sous forme d’organismes consultatifs, comme l’ICOMOS, l’UICN et l’ICCROM.

Aujourd’hui, il s’agit d’élargir à nouveau le cercle de ces partenaires jusqu’aux autorités gouvernementales, régionales et locales.

Dans ce contexte, je voudrais d’ailleurs mentionner la collaboration exemplaire du gouvernement luxembourgeois avec l’UNESCO dans deux projets majeurs, situés dans la zone tampon du site inscrit sur la Liste du patrimoine mondial. Il s’agit du futur  Musée d’Art moderne Grand-Duc Jean (conçu par le bureau d’architectes de M. Péï)  et la Cité judiciaire, qui ont tous les deux sensiblement bénéficié des sages conseils de l’ICOMOS et du Centre du patrimoine mondial.

Voilà deux exemples, de bonne pratique, espérons - nous, qui illustrent le rôle que l’UNESCO et ses partenaires institutionnels peuvent jouer dans l’évolution des villes historiques conformément à la philosophie de la Convention du Patrimoine mondial.

L’avenir des villes historiques doit être ancré dans l’identité et les caractères propres à chacune d’entre elles de manière à préserver ce que l’on peut appeler le « paysage urbain ». En même temps, et dans le respect de leur histoire et de leurs langages architectoniques successifs, ces villes doivent pouvoir évoluer et planifier leur avenir, dans un esprit de développement social et économique durable.

 C’est dans cette même philosophie qu’il faut inscrire la vocation touristique des villes du patrimoine, qui constitue l’un des thèmes transversaux de notre Forum.

Certes, le tourisme peut créer des problèmes sérieux, comme c’est le cas pour Venise, ou carrément constituer une menace pour certains sites du patrimoine mondial. Je n’en veux citer pour exemple que le cas de Sigisoara en Roumanie, dont on a beaucoup discuté au cours de la dernière réunion du Comité du patrimoine mondial à Budapest. La petite ville historique de Sigisoara, considérée comme ville natale du compte de Dracula, risquait d’être fortement perturbée par le projet d’implantation dans ses abords immédiats d’un Mégaparc-Dracula qui aurait attiré certainement un grand afflux touristique, menaçant l’équilibre urbain et l’authenticité de Sigisoara. Heureusement le projet ne sera pas réalisé, du moins à l’endroit prévu initialement.

Mais il y a aussi de bons exemples, notamment  le site de la ville de Luxembourg inscrit sur la Liste du patrimoine mondial. Ce site est traversé par un itinéraire culturel, le circuit Wenzel ou circuit Wenceslas, qui permet aux visiteurs  de « découvrir mille ans d’histoire en cent minutes ». Exemple d’une mise en valeur exemplaire d’un site du patrimoine, ce circuit a connu un succès touristique dépassant tous les espoirs.

Je profite de l’occasion pour attirer votre attention sur l’intérêt extraordinaire que représentent les itinéraires culturels à la fois pour le tourisme et pour le patrimoine. Ces circuits, qui peuvent avoir les formes les plus diverses, constituent une formule originale et particulièrement prometteuse de tourisme culturel. Et pour votre gouverne je vous signale que l’Institut européen des itinéraires culturels a son siège à Luxembourg. Son directeur, M. Michel Thomas-Penette, est d’ailleurs un des invités de notre Forum. Il pourrait sans doute devenir un interlocuteur intéressant pour l’un ou l’autre d’entre vous.

C’est ce genre de partenariats qu’il faut rechercher à l’avenir, en explorant toutes les synergies possibles entre les organisations gouvernementales et non gouvernementales, les collectivités locales et les citoyens, les universités, les centres de recherche et j’en passe.

Je suis persuadée aussi que les villes du patrimoine mondial ont tout intérêt à mieux se connaître, à coopérer, à réfléchir ensemble sur la meilleure manière de gérer leurs problèmes, à développer des visions d’avenir pour les villes.

Dans ce contexte, il ne faut pas oublier la dimension régionale du partenariat. Le Luxembourg y est particulièrement sensible. En 2007, quand notre capitale sera à nouveau Ville européenne de la Culture, nous entendons associer la grande région à cette dynamique culturelle.

Pour conclure je ne puis vous cacher ma satisfaction qu’en dépit des difficultés inévitables, ce Forum ait pu avoir lieu, grâce à la collaboration de mon ministère avec la FIL, la Camera di Commercio Italo-Lussemburghese, la Ville de Luxembourg, l’Office national du Tourisme et, comme unité de liaison en quelque sorte, la Commission nationale pour la coopération avec l’Unesco.

En remerciant chacun de sa contribution spécifique, je souhaite un plein succès à ce Forum européen des villes du patrimoine mondial.

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