Lydie Polfer, ministre des Affaires étrangères, à l'occasion de la 59e session de la Commission des droits de l´homme à Genève

Madame le Président,
Monsieur le Haut Commissaire aux Droits de l’Homme,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,

D’emblée, je tiens à vous assurer du plein soutien du Luxembourg dans la délicate tâche de Président que vous assumez à un moment important pour l’Organisation des Nations Unies comme pour les Droits de l’homme dans le monde.

Je souhaite que le succès de votre mandat à cette 59ème session de la Commission des Droits de l’Homme puisse être un encouragement pour s’engager - partout dans le monde - dans la voie d’un meilleur respect des Droits de l’Homme. Nous savons cette voie semée d’embûches mais indispensable à une saine conduite des relations internationales.

Qu’une femme assume une nouvelle fois la Présidence de la Commission des Droits de l’Homme me dispensera de rappeler l’importance que le Luxembourg attache à l’élimination de toute forme d’atteinte aux droits des femmes. Je vous sais attentive et sensible à ce point.

Permettez-moi, Madame le Président, de saluer également dans ses nouvelles fonctions, notre Haut Commissaire aux Droits de l’Homme, Monsieur Sergio Vieira de Mello. Son habilité diplomatique, sa persévérance et sa longue expérience nous seront des plus utiles dans nos efforts communs pour un monde plus respectueux de la personne humaine. Je saisis l’occasion pour assurer le Haut Commissaire de l’appui du Luxembourg dans les divers efforts qu’il entreprend. Nous prévoyons en particulier dès cette année une hausse très substantielle de nos contributions volontaires au budget ordinaire comme au financement des projets.

Madame le Président,

Dans moins d’un mois, l’Union Européenne signera à Athènes les textes scellant l’adhésion de 10 nouveaux Etats-membres. Ces adhésions ne sont devenues possibles qu’au vu d’une remarquable progression du respect des Droits de l’Homme dans cette partie du monde. En faisant de ce respect un critère d’appartenance, l’Union Européenne applique en son sein le même critère que celui qui guide son action vers l’extérieur et son dialogue avec les Etats tiers. Il m’importe dès lors de souscrire aux considérations exposées à cette tribune par la Grèce en sa qualité de Présidence de l’Union Européenne.

L’année dernière nous avons mesuré dans cette même enceinte ce qui nous sépare encore d’une pleine application de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. La réalisation de ces droits universels et individuels est notre responsabilité commune face à l’humanité que nous représentons dans sa diversité comme dans sa communauté d’idéaux.

Cette responsabilité commune n’est pas facile à assumer. Des antagonismes, parfois réels parfois imaginaires, entre différentes régions de ce monde, entre le Nord et le Sud, font obstacle à une vision globale des droits de la personne humaine. Ils rendent plus difficile l’intégration des approches régionales et multilatérales.

Le respect des libertés individuelles ne deviendra jamais un acquis définitif. L’arbitraire, l’absolutisme, l’avilissement humain ne sont pas des phénomènes en voie d’extinction. Ils resurgiront dans la plus paisible et juste de nos sociétés au hasard d’une crise, d’une menace ou plus sournoisement par suite de notre relâchement face au fléau des violations des droits les plus élémentaires.

Parce que les Droits de l’Homme sont une valeur commune à l’humanité, la communauté internationale a le devoir d’examiner sur un plan individuel la situation dans tous les Etats du monde pour se prononcer sans complaisance, pour avertir sans préjugés et pour dissuader les tentations de non-respect des droits de la personne humaine. Parfois des situations préoccupantes ne nous laissent pas d’autre choix que la singularisation des violations les plus graves. Mais nous ne devons pas perdre de vue que le dialogue critique et discret peut constituer un puissant encouragement à persévérer dans la voie d’un meilleur respect des Droits de l’Homme. Dans l’intérêt des objectifs que nous poursuivons, laissons nous guider par le souci d’une efficacité dynamique:

  • si dans un cas précis, notre critique - aujourd’hui ouverte et directe - remplit son rôle de révélateur ou de dissuasion, notre approche de demain pourra privilégier le dialogue, toujours critique mais discret et encourageant

  • à l’inverse, notre recours au dialogue, à l’encouragement et à la discrétion ne devra jamais être vue comme un relâchement de notre attention ou un abandon de l’option d’une mise en examen ouverte.

Madame le Président,

Dans ce monde qui ne sera jamais parfait, nous n’aurons d’autre choix que de faire de notre lutte en faveur des Droits de l’Homme, un combat de tous les jours, de tous les pays et de toutes les situations. La tentation de violer les droits des plus faibles nous guette partout. Elle se nourrit le plus facilement des situations de crise.

Cette ville de Genève qui nous offre l’hospitalité, symbolise par les Conventions qui portent son nom, les limites que nous nous sommes imposées dans la conduite de la guerre. Mais en cas de conflit, les non-belligérants ne doivent pas se retrouver dans un zone de non-droit dans laquelle les populations civiles impliquées dans des conflits armés seraient sans protection. Le Luxembourg soutient les efforts conceptuels en cours pour que la communauté internationale se dote d’un Droit humanitaire adapté aux circonstances changeantes et aux acteurs et victimes les plus divers.

Je salue les actions concrètes menées sur le terrain par le Haut Commissariat aux Réfugiés et la Croix-Rouge Internationale au bénéfice des malheureux qui du fait d’un conflit armé

  • doivent trouver refuge hors de leur patrie,

  • se trouvent déracinés et déplacés au sein même de leur propre pays,

  • ou au pire des cas, viennent simplement à disparaître.

Je me félicite que dans ces efforts pour aider les victimes civiles des conflits armés, nos Gouvernements et les Organisations Internationales puissent compter sur l’appui sans précédent de la société civile par l’intermédiaire des Organisations Non Gouvernementales dont je salue la présence aux débats de notre Commission. Leur engagement sur le terrain comme celui des fonctionnaires des organisations internationales se fait souvent au risque de leur propre sécurité. Par leurs efforts les ONG sensibilisent nos sociétés et favorisent ainsi l’appui démocratique à la tâche de respect des droits de l’homme que nous nous sommes fixée.

Madame le Président,

Les conflits armés ne sont pas les seules occasions de crise où des impératifs de sécurité risquent d’être élevés à la priorité absolue au point de prendre le pas sur les libertés individuelles.

La lutte contre le terrorisme dans laquelle la Communauté internationale s’est collectivement engagée après les attentats du 11 septembre 2001, appelle de notre part une grande vigilance:

  • La liberté individuelle que nous chérissons ne s’accommodera pas des contrôles toujours plus poussés que pourraient exiger des impératifs de sécurité absolue, si tant est que celle-ci pourrait jamais exister. Dans ce contexte les entraves aux libertés individuelles méritent notre plus grande attention, y compris en matière de protection des données.

  • Pour abjectes et inqualifiables que puissent être leurs forfaits, les terroristes doivent bénéficier des droits élémentaires de respect de la personne humaine. Nos sociétés de droit ne sauraient se rabaisser à vouloir combattre le mal par le mal. Nous perdrions l’assise morale qui nous investit du pouvoir de juger et de punir ceux qui commettent les actes de terrorisme.

Dans sa dimension globale, cette problématique est nouvelle. Elle nous touche tous. Elle interroge certains parmi nous qui se croyaient à l’abri des tentations de violations des Droits de l’Homme. Le mauvais choix serait de vouloir escamoter le débat. Les solutions conciliant le respect des droits de l’homme avec la lutte contre le terrorisme ne peuvent venir que d’une discussion en commun qui prenne en compte notre diversité et se penche sans complaisance sur les sources profondes du terrorisme. Sous Présidence luxembourgeoise le Conseil de l'Europe a adopté l’année dernière des lignes directrices sur les droits de l'homme et la lutte contre le terrorisme.

Ce contexte du terrorisme me permet de rappeler l’importance que nous attachons au bannissement de toute forme de torture. Notre opposition à cette forme d’abus de l’être humain contre son semblable ne doit pas connaître d’exception. A défaut, nous risquons de devoir constater un jour la dérive d’une certaine tolérance de la torture dans la lutte contre le terrorisme vers une tolérance semblable en droit pénal pour les crimes les plus abjectes.

Je me plais à souligner que depuis 1987 la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants a joué un rôle essentiel dans la prévention de la torture en Europe. Pour ce qui est des instruments juridiques sur le plan mondial, je me félicite que le 1er janvier de cette année ait été ouvert à la signature le Protocole facultatif à la Convention des Nations Unies contre la torture. Le Luxembourg entend le signer sous peu.

L’abus le plus irréparable de la puissance étatique est la pratique de la mise à mort légale. De concert avec nos 43 partenaires du Conseil de l’Europe, le Luxembourg réaffirme sa position en faveur de l’abolition universelle de la peine de mort. Notre propre expérience en Europe nous apprend que l’abandon universel de ce symbole de la puissance souveraine ne pourra être que progressif. Mais avec l’ouverture à la signature du Protocole n.13 à la Convention européenne des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales nous sommes devenus 30 Etats en Europe à constituer un espace libéré de la peine capitale en toutes circonstances. Nous réitérons l’engagement de l’Union Européenne à voir abolie sans délai l’exécution des personnes mentalement handicapées ou mineures au moment des faits incriminés.

Madame le Président,

Quels que soient les coupables, les victimes ou les circonstances, la violation des Droits de l’Homme est toujours un abus du puissant sur la personne du faible. Je m’en voudrais dès lors de ne pas mentionner devant cette Commission les efforts à entreprendre pour protéger les plus faibles parmi les faibles, à savoir les enfants. Devant les multiples violations des droits des enfants dans des situations de tous les jours comme dans des situations de conflits armés, nous ne pouvons nous contenter de notre indignation. Faisons fi de nos hésitations pour passer à l’action dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Comment croire que nos efforts collectifs pour un monde plus juste et plus respectueux des droits de l’homme puissent être couronnés de succès, si  nous tolérons les abus contre l’enfance d’aujourd’hui dans laquelle nous plaçons nos espoirs pour un demain meilleur. Tous nos efforts d’éducation et d’assistance technique en matière des Droits de l’Homme seraient vains.

Madame le Président,

Nous oeuvrons tous pour que cessent les violations des libertés individuelles inscrites dans notre Charte. Mais toute entreprise humaine restera imparfaite. Toute règle de droit ou de conduite sera un jour transgressée au point d’appeler une sanction. Nous savons en toute modestie que nous avons peu de chances de voir les violations des Droits de l’Homme disparaître totalement. Il est d’autant plus important que les manquements au respect de ces droits connaissent une sanction.

Il y a dix jours, j’ai assisté à La Haye, à l’instauration de la Cour Pénale Internationale. Ce fut un moment historique que nous avions longtemps appelé de nos voeux. Pour assurer, partout dans le monde,  le respect des Droits de l’Homme, la communauté internationale devait se doter de cet instrument juridictionnel dont l’indépendance et l’impartialité symbolisent l’Etat de droit. Cette Cour donne une nouvelle crédibilité à nos efforts en faveur des Droits de l’Homme.

Ceux qui partagent nos idéaux en matière de Droits de l’Homme mais hésitent à adhérer pleinement à la Cour Pénale Internationale devraient reconnaître les qualités dissuasives que l’existence de cette juridiction aura sur les individus tentés de violer les Droits de l’Homme dans le futur.

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