Discours de Henri Grethen à l'occasion de la présentation du rapport 2003 de l'OECD sur l'économie luxembourgeoise

Mesdames, Messieurs,

C’est avec grand plaisir que j’ai saisi l’occasion de pouvoir vous faire part de quelques réflexions pour clôturer cette conférence.

En effet, l'examen de l'économie luxembourgeoise par l’OCDE est un exercice important et utile pour les décideurs économiques.

Dans la convention signée lors de la création de l’OCDE en 1960, convention dont le Luxembourg était d’ailleurs un signataire original, on peut lire que cette organisation a pour objectif de promouvoir des politiques visant :

* à réaliser la plus forte expansion de l’économie et de l’emploi et une progression du niveau de vie dans les pays membres, tout en maintenant la stabilité financière, et à contribuer ainsi au développement de l’économie mondiale ;

* à contribuer à une saine expansion économique dans les pays membres, ainsi que les pays non membres, en voie de développement économique ;

* à contribuer à l’expansion du commerce mondial sur une base multilatérale et non discriminatoire conformément aux obligations internationales.

 

Une mission donc dans laquelle on reconnaît de la part des pères fondateurs de l’OCDE une grande sagesse et une clairvoyance dans la droite ligne de ce qui fût en quelque sorte le prédécesseur de l’OCDE, à savoir le fameux plan Marshall.

L’OCDE a toujours respecté ces objectifs et le rapport qui vous est présenté aujourd’hui n’y fait pas exception.

Voilà en effet une organisation internationale qui se penche périodiquement sur notre économie pour nous fournir un regard de l’extérieur sous forme de bilan sur l'évolution macro-économique récente et les perspectives à court terme, ainsi que sur l'un ou l'autre thème à caractère structurel.

En découle un rapport qui porte son appréciation sur une série de paramètres et d'évolutions critiques et rassemble les données et les appréciations pour l'émission, par l’OCDE de recommandations de politique macro-économique ou de politique structurelle, corrective voire préventive.

C'est un exercice que le Gouvernement luxembourgeois considère comme positif et utile et auquel il s’applique avec assiduité.

Car le rapport présenté aujourd’hui a été longuement préparé par l’OCDE ainsi que par les différentes administrations et institutions nationales concernées et auxquelles je souhaite adresser à cet endroit mes vifs remerciements pour leur collaboration à cet exercice malgré leurs nombreuses autres tâches.

Je trouve en outre particulièrement significatif que l’OCDE ait choisi comme thème structurel celui des migrations et de la croissance.

Depuis que le Luxembourg, de terre d’émigration jusqu’à la fin du 19ième siècle soit devenu terre d’immigration dès le début du 20ième siècle avec la révolution sidérurgique, ceci est un thème d’une importance vitale pour notre pays et pour notre économie.

Cependant, bien que je sois plein d’éloges sur l’intérêt du travail accompli, vous me permettrez, dès à présent, de rappeler qu’il s’agit bien d’un rapport de l’OCDE.

Ainsi, si dans bien des cas, le Gouvernement peut partager l'analyse et les appréciations, même critiques de l'OCDE, dans d'autres le Gouvernement peut être amené à exprimer ses vues divergentes par rapport aux appréciations et recommandations émises.

Plus particulièrement, trois remarques importantes me semblent nécessaires à cet endroit.

Premièrement, le Gouvernement actuel s’est lancé dans un processus de réformes structurelles important dont certaines anticipent d’ailleurs les recommandations mêmes que l’OCDE nous fait dans ce rapport.  « In ultimo », l’objectif de ces réformes est d’accroître le potentiel de croissance économique et donc j’ai du mal à suivre l’OCDE lorsqu’elle nous prédit une baisse structurelle de nos perspectives de croissance.

Deuxièmement, le Gouvernement, bien conscient de l’importance d’une politique des finances publiques stable et conforme au pacte de stabilité et de croissance, a depuis longtemps pris en compte les données conjoncturelles récentes pour sa politique de dépenses, comme en témoigne d’ailleurs éminemment  le projet de budget pour 2004.

Finalement, le Gouvernement, comme l’OCDE, a identifié les problèmes socio-économiques qui se posent face au changement de notre société et a commencé à œuvrer dans la direction proposée par l’OCDE.

Permettez-moi, après ces remarques générales, de commenter davantage les différentes parties du rapport.

Il y a deux ans, en 2001, lors de ce même examen, l'économie luxembourgeoise, avec 9.1% de croissance du PIB - chiffres révisés à la hausse la semaine dernière - venait de réaliser sa meilleure performance de croissance de son histoire récente. Le chômage était revenu à 2,7% alors que l'inflation avait accéléré à 3,2%.

Je vous épargnerai de citer ici les perspectives que l’OCDE et nous mêmes avions jugées probables sur le moyen terme, jugement que nous avions basé sur une appréciation du potentiel de croissance de notre économie. 

La réalité, nous le savons aujourd'hui, a été toute autre. Le ralentissement économique mondial amorcé aux Etats-Unis dès le début de l'année 2001 et aggravé par les tragiques événements du 11 septembre n'a pas épargné le Luxembourg.

Avec une croissance du PIB de 1.2% en 2001 et de 1.3% en 2002, la performance macro-économique luxembourgeoise a à peine atteint les niveaux de ses partenaires de l'UE.

Cependant, je ne puis que partiellement partager les recommandations de l’OCDE qui parle d’importants ajustements structurels nécessaires pour faire face aux perspectives de croissance moindres sur le moyen et sur le long terme.

Tous les spécialistes s’accordent à qualifier d’exceptionnels les taux de croissance enregistrés au cours des dernières années du dernier siècle et peu probables de se répéter de sitôt.

Le Gouvernement pour sa part n’a jamais considéré ces taux comme tendanciels voire structurels, ses choix, notamment en matière de politique budgétaire, l’ayant d’ailleurs clairement démontré.

Si je puis partager l’appréciation de l’OCDE que la croissance à moyen terme sera inférieure à celle observée au cours de la période 95-2000, je pense qu’il n’est guère correct d’attribuer cette croissance moindre à des facteurs structurels.

J’estime en effet, que plutôt que de parler d’une baisse structurelle de la croissance depuis 2000, il convient de parler d’excès conjoncturels pour les « cinq glorieuses » citées et d’un retour à la normale dès la fin du ralentissement économique observé depuis 2001.

Quant aux facteurs structurels, le Gouvernement a fait des réformes structurelles une de ses priorités ; ces réformes ont pour objet une hausse du potentiel de croissance de notre économie.

Je ne citerais que les efforts importants en matière d’enseignement, de recherche et de développement et d’innovation, des facteurs extrêmement importants pour la croissance future.

D’ailleurs, dans l'ensemble il n'y a guère de différence fondamentale entre les perspectives de croissance futures, fussent-elles estimées par le STATEC, l'OCDE ou par la Commission Européenne.

Malgré le fait que la valse des révisions vers le bas de ces prévisions batte son plein ces derniers temps, il semble que pour le Luxembourg, 2003 sera une année aussi "bonne" - ou mauvaise - que les deux précédentes : le Grand-Duché connaîtra une 3e année consécutive de croissance molle et que dès 2004 on puisse de nouveau enregistrer des niveaux de croissance proche de leur tendance à long terme.

L’OCDE nous met en garde contre un dérapage des finances publiques. A cet égard je pense que le projet de budget que le Ministre Frieden vient de déposer à la Chambre des Députés, montre bien la détermination du Gouvernement à poursuivre sa politique budgétaire responsable, l’avertissement afférent de l’OCDE n’ayant pas été nécessaire.

Dès les premiers signes de ralentissement économique, le Gouvernement a pris l’initiative de consulter les partenaires sociaux et pour  délibérer des réponses à apporter. Je me réfère aux discussions du Comité de coordination tripartite en 2002 sur la situation économique.

Permettez-moi également, de revenir brièvement sur l’avenir de notre secteur financier, secteur dont l’OCDE met justement en évidence l’importance pour notre économie.

Il est vrai que, comme le note l’OCDE, ce secteur a été très lourdement touché par le ralentissement économique, dû notamment aux chocs boursiers, et que de ce fait il n’ait pas joué le rôle de moteur de la croissance qu’on lui connaissait fin des années 90.

Or, même l’OCDE prédit à ce secteur des perspectives de croissance plus importantes qu’aux autres secteurs de l’économie.

En résumé : croissance à moyen terme plus basse, d’accord avec l’OCDE mais baisse de nature structurelle et risque de dérapage budgétaire, non.

Partant d’une croissance tendancielle moindre, tout en prévoyant un apport constant de travailleurs étrangers, qu’ils soient frontaliers ou immigrés, l’OCDE met également en garde contre les risques que ceci comporte au niveau socio-économique et prodigue bon nombre de recommandations dans ce domaine.

Le rapport OCDE consacre évidemment une importante partie sur le régime général des pensions. 

J’ai à coeur d’abord d’exprimer ma satisfaction face au fait que l’OCDE ne remette pas en cause l’architecture générale de notre système de sécurité sociale.

En ce qui concerne l'assurance pension, le rapport se limite à une analyse de la situation du régime général - faisant abstraction des mesures récentes concernant les 2e et 3e piliers du système de pension - et critique surtout la générosité des mesures prises à la suite des négociations de la table ronde sur les pensions en 2001.

Le Gouvernement est conscient que le principal défi auquel doit faire face le système public de pension luxembourgeois est celui d'assurer sa durabilité.

Dans cette optique, il s'agit de faire en sorte que le système garde sa capacité d'adaptation à l'évolution économique à long terme du pays et aux ressources financières disponibles, sans pour autant abandonner ses objectifs sociaux.

Le rapport recommande un ajustement immédiat du système d’assurance-pension. Cela n'est guère envisageable, ni nécessaire un peu plus d’un an après la mise en place des mesures.

Une des explications de l’urgence attachée par l’OCDE aux mesures correctives, semble résider dans une divergence d'appréciation de la capacité d'adaptation du système. Cela vaut notamment pour les paramètres soumis à révision tous les 7 ans. Cela vaut aussi pour les ajustements des pensions à l'évolution réelle des salaires qui ne sont pas des ajustements automatiques, mais plutôt des actes de politique volontariste.

Dans un domaine où l’horizon de prévision est généralement de 50 ans, une vision de long terme s’impose pour éviter des navigations trop influencées par les revirements de court terme. Or, il me semble que l’OCDE n’a pas mis en cause les hypothèses économiques fondamentales sur lesquelles se fondent le régime actuel.

En outre, supprimer le principe de l'ajustement à l'évolution réelle des revenus serait se mettre en contradiction avec l'objectif de la participation des retraités à l'évolution du revenu national et avec le principe de la solidarité entre générations.

Pour ce qui est de la retraite anticipée et de la préretraite, les récentes réformes concernant l'accès à l'assurance invalidité de même que la fin de l'ajustement social dans la sidérurgie semblent indiquer une tendance à l'augmentation du taux d'emploi dans la catégorie d'âge 55-64 ans et de l'âge moyen du départ à la retraite.

Il est vrai que pour toutes les recommandations concernant le marché de l’emploi, la question de l’immigration et des mouvements frontaliers est cruciale.

En effet, ni l’augmentation des taux de participation ni l’augmentation de l’âge de départ à la retraite ne sauront alimenter le marché du travail luxembourgeois dans la mesure où ces deux facteurs de migration l’ont fait au cours des dix dernières années.

Ce sont d’ailleurs ces mêmes facteurs de migration qui sont à la base des défis socio-économiques auxquels le Luxembourg fait face actuellement et que l’OCDE commente dans son rapport.

Les mouvements d’immigration suivant souvent de près l’évolution de l’économie, l’OCDE fait remarquer à juste titre que l’élasticité de notre marché de travail est largement dépendant du réservoir des marchés transfrontaliers. L’actualité récente du marché du travail a d’ailleurs démontré ceci à travers l’augmentation du taux de chômage.

Cependant, j’ai du mal à partager l’appréciation de l’OCDE lorsqu’elle recommande un taux de remplacement réduit en matière de prestations de chômage. J’estime que ce taux est à un niveau convenable ; ce taux est d’ailleurs réduit dans le temps conformément à la recommandation de l’OCDE. En effet, le taux de remplacement est l’aide que les travailleurs reçoivent face à un événement imprévu et non recherché, une aide qui provient d’un fonds de type assurance auquel ils contribuent au cours de leur période de travail.

Je partage plus volontiers les observations de l’OCDE quant aux dangers potentiels du RMG et notamment la trappe à l’inactivité. Différents projets communautaires dans ce domaine ont récemment été lancés et nous les suivons avec grand intérêt.

Mesdames, Messieurs,

Je terminerai sur les recommandations de l’OCDE concernant le secteur public.

Le rapport fait allusion à un secteur public en dérapage de croissance, pléthorique en main-d'œuvre et richement rémunéré. Il est vrai que la croissance de l'emploi dans le secteur public a été significative au cours de la période 1990-2000.  Pourtant, elle a été moindre que dans le secteur privé alors que des obligations nouvelles - surtout dans le suivi et la gestion des affaires internationales -  mais aussi pour maîtriser les défis nationaux - protection de l’environnement, sécurité et justice, enseignement - sont venues s’ajouter.

Il est vrai que la croissance économique réduite doit faire réfléchir à un freinage de l’augmentation des ressources humaines, comme ce Gouvernement a choisi de l’implémenter dès 2004. Cela renforce la nécessité de faire appel aux technologies de l'information et des communications pour améliorer l'efficacité du service public. Le Gouvernement s'y emploie depuis la mise en place du projet e-Luxembourg et e-Gouvernement dont les résultats commencent à se manifester. Nous sommes confiants de pouvoir rapidement rattraper les retards dans ce domaine.

Dans le même ordre d’idées, je tiens à rappeler que le Gouvernement luxembourgeois souscrit pleinement aux décisions de libéralisation des marchés des télécommunications, des postes et de l'énergie, ce dernier étant d’ailleurs déjà largement ouvert à ce stade.  Mais il ne faut pas confondre libéralisation et privatisation des moyens de production. Le marché des télécommunications est complètement libéralisé. Une dizaine de licences A ont été accordées dans le service fixe, quatre licences dans le service mobile. C’est un record en Europe pour un territoire aussi exigu et une population aussi faible. Dans le domaine des postes et télécommunications, le Gouvernement souhaite poursuivre une politique de qualité de service élevée, ces services étant une infrastructure de première importance pour le pays. La privatisation de l’EPT n’est donc pas à l’ordre du jour.

Finalement, le Gouvernement note avec satisfaction que l’OCDE le crédite d’un avis favorable sur ses réformes en matière de gestion du secteur public, de comptabilité d’exercice ainsi qu’en matière de simplification administrative.

Mesdames, Messieurs,

Avant de conclure, permettez-moi encore rapidement de me revêtir de mon autre casquette qui est celle de ministre des transports.

Il est vrai que le réseau de transport national doit acheminer chaque jour non seulement les résidents se déplaçant au travail et à l'école, mais encore permettre aux frontaliers, constituant plus d'un tiers de la force de travail de rejoindre leur lieu de travail. Pour faire face à ces besoins, le Gouvernement travaille activement au projet « mobilitéit.lu », visant entre autre à doubler l'usage du transport public, notamment par un important effort d'investissement dans les infrastructures.

Cependant, alors que je trouve certaines recommandations très intéressantes, d’autres et notamment l'introduction de péages sur les autoroutes ne me semblent que peu réalistes au regard des spécificités du pays et de son réseau autoroutier.

Mesdames, Messieurs,

En raison de la contrainte de temps, je ne suis en mesure de commenter ni la partie concernant l’éducation, ni celle sur les mesures en matière de changement climatique, ni les recommandations en matière de coopération, une priorité que le Gouvernement actuel a inscrit sur sa bannière et au sujet de laquelle l’OCDE nous donne une note plus que honorable.

Mesdames, Messieurs,

Je voudrais terminer m’inspirant, je l’admets, quelque peu librement de la note finale de l’OCDE :

Le Gouvernement compte poursuivre sa politique de réformes structurelles pour un  développement durable ; ainsi le Luxembourg peut espérer rester une économie très prospère pendant de nombreuses années encore.

Merci de votre attention.

Dernière mise à jour