La ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche Erna Hennicot-Schoepges lors de l'inauguration de l'Institut Pierre Werner

Excellences,
Mesdames,
Messieurs,

Merci à Paddy Frère et à Dorel Dorneanu pour leur interprétation de «Ode an die Freude». Je voudrais remercier aussi  toutes celles et tous ceux qui font de cette inauguration un moment de joie et de réflexion: le Choeur Robert Schuman, «notre» choeur de la Grande Région» dirigé par Martin Folz, les professeurs Gilbert Trausch et Robert Picht, les Ministres des Affaires étrangères d'Allemagne, de France et du Luxembourg, ainsi que toutes celles et tous ceux qui nous font l'honneur d'être avec nous aujourd'hui.

Il y a des moments privilégiés dans la vie, et dans la vie politique, où on peut fêter la réalisation d’un grand projet dont l’opportunité est si évidente qu’elle n’admet aucun doute et suscite une adhésion quasi-unanime.

L’Institut Pierre Werner, que j’ai la grande joie de pouvoir inaugurer avec vous aujourd’hui, est un de ces projets parce qu’il répond à une nécessité, voire une double nécessité historique: d’abord par sa vocation propre, ensuite par son lien indissoluble, j’allais dire consubstantiel avec l’œuvre et la personnalité de Pierre Werner.

La vocation de l’a.s.b.l. officiellement dénommée «Institut culturel franco-germano-luxembourgeois Pierre Werner» est clairement définie dans l’article 3 des statuts: «créer une dynamique dans la réflexion, les échanges intellectuels et la recherche entre l’Allemagne, la France et le Luxembourg et, le cas échéant, d’autres pays dans la tradition de l’esprit de Colpach.»

La référence explicite à Colpach m’amène à faire un bref retour en arrière. Déjà depuis le XIXe siècle le château servait de résidence au peintre hongrois Mihaly Munckacsy, qui y recevait son compatriote Franz Liszt en 1866. L’ancienne maison seigneuriale, sertie dans un écrin bucolique à la frontière belge, est acquise en 1917 par le directeur général des ARBED, Emile Mayrisch. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, comblant le fossé entre les ennemis héréditaires France et Allemagne et essayant de refaire l’Europe sur des bases communes, sa femme Aline et lui en font un lieu de rencontres pour intellectuels et politiques. La liste des hôtes de Colpach est aussi longue que prestigieuse: André Gide, Jean Schlumberger, Jacques Rivière, Paul Claudel, Jules Romains, Richard Coudenhove-Kalergi, Jean Paulhan, Henri Michaux, Maria van Rysselberghe, Annette Kolb, Bernard Groethuysen, Paul Desjardins, Marie Delcourt, ErnstRobert Curtius et Joseph Hackin.

L’esprit souffle où il veut. A Colpach, il soufflait dans toutes les directions, comme en témoigne la philologue belge Marie Delcourt: Tandis qu’Emile Mayrisch, industriel aux vues larges, vaquait à ses affaires, sa femme Aline  (et je cite)  « traduisait Maître Eckhart en français et les Caves du Vatican en allemand... Le visiteur auquel s’ouvrait cette maison extraordinaire n’avait jamais l’impression d’en interrompre les activités, mais par un miracle d’hospitalité, il s’y trouvait mêlé et s’en enrichissait presque sans s’en apercevoir… Un hôte étranger donnait lecture de son dernier roman; un sociologue commentait la cinquième symphonie après avoir discuté sur la pêche à la truite avec le maître du lieu et, avec la maîtresse, des conséquences morales de l’assurance - maladie ou de la poésie de Hölderlin. Une grande jeune fille aux cheveux bruns et aux yeux bleus exprimait d’une voix mesurée, mais sans aucun respect pour les conceptions généralement reçues, des critiques audacieuses et des plans plus audacieux encore…» Voilà qui peut donner une idée de «l’esprit de Colpach où utopisme et tradition faisaient alternativement leur partie, de même que Saint-Simon et Nietzsche fraternisaient sur les rayons de la bibliothèque».

Aline und Emile Mayrisch étaient les citoyens d'un pays qui a besoin de coopérer activement avec d'autres. Ils se sentaient profondément attachés à ce pays dont ils savaient que la grandeur réside - paradoxalement - dans la petitesse de son teritoire, car elle la force à s'ouvrir aux autres et lui défend d'exclure qui que ce soit. Emile Mayrisch pouvait se référer à son expérience d'industriel génial et inventif, sa femme et sur sa vaste culture générale fondée sur une connaissance parfaite de plusieurs langues.

Incontestablement Pierre Werner aurait pu faire partie du «petit noyau de la future Europe», comme Paul Desjardins définissait Colpach. Visionnaire et bâtisseur d’avenir, comme Emile Mayrisch, homme de culture comme Aline, son épouse, Pierre Werner avait tout pour devenir un grand Européen, un homme d’Etat profondément ancré dans la tradition en même temps qu’ouvert aux chances et défis de la modernité.

Au plan national, continuant l’œuvre de ses prédécesseurs, il a achevé la transformation du Luxembourg en un Etat moderne, siège d’une des places financières les plus importantes et de sociétés d’envergure internationale comme CLT/RTL et la Société Européenne des Satellites (SES).

Architecte de la future Europe, il a préparé la voie à la monnaie unique et peut être considéré, à juste titre, comme le père de l’Euro. Mais surtout, sa vision de l’union européenne dépassait celle d’une communauté économique pour s’élargir à celle  d’une communauté culturelle, fondement d’une Europe unie dans la paix.

On retrouve ici l’homme de culture Pierre Werner, et vous comprendrez que j’insisterai un peu sur cette facette de sa personnalité et de son action politique.

Pierre Werner a tenu à gérer le ministère des Affaires culturelles, de 1979 à 1984, parallèlement à sa fonction de Ministre d’Etat. Et son bilan dans ce domaine est loin d’être maigre.

Sentant que les étrangers ont souvent du mal à percevoir notre identité linguistique et culturelle, Pierre Werner, et là je reprends les termes mêmes de son autobiographie politique «Itinéraires luxembourgeois et européens» a «essayé de mettre un minimum d’ordre dans un pragmatisme linguistique moins déroutant pour les autochtones que pour l’étranger.

Défendant l'identité culturelle luxembourgeoise, il a fait adopter en 1984 une loi faisant du luxembourgeois la langue nationale du Luxembourg, en gardant au français et à l'allemand une place importante dans la vie politique et quotidienne de son pays: considérant que notre parler, quel que soit son caractère scientifique, représente un lien patriotique très fort entre citoyens de ce pays, le premier article de la loi «sur le régime des langues» proclame solennellement: «La langue nationale des Luxembourgeois est le luxembourgeois.»

La langue française est confirmée comme langue législative. Les langues administratives et judiciaires sont le français, l’allemand et le luxembourgeois.

Ce trilinguisme, que chaque Luxembourgeois devrait pratiquer avec soin, est non seulement une marque d’identité, il représente un grand atout dans l’émulation à l’intérieur des Communautés Européennes et de la Maison de l’Europe, surtout s’il est encore complété par la connaissance d’une quatrième langue.»

Ce n'est pas un hasard si l'Institut culturel trinational Pierre Werner est installé à partir d'aujourd'hui, dans l'ancien hôpital militaire construit au XIXe siècle et qui porte aujourd'hui le nom de «Bâtiment Robert Bruch». D'après le plus éminent chercheur de la langue luxembourgeoise, le professeur Robert Bruch.

Je ne saurais pas non plus passer sous silence, l’attachement indéfectible de Pierre Werner à la foi catholique et à l’humanisme chrétien, matrices profondes de son action politique et da vision de la condition humaine. Vision que le chanoine André Heiderscheid, lors de son hommage à Pierre Werner, récipiendaire du prix Peter Wüst en 1997, définit comme: «Erhellung des menschlichen Daseins, aus christlichem Verstehen».

Considérant la politique comme un sacerdoce, Pierre Werner incarnait au plus haut point une intégrité personnelle et politique qui n’a jamais été mise en doute par personne, y compris ses opposants les plus acharnés.

Ministre d’Etat pendant vingt ans, Pierre Werner possédait toutes les vertus qui font les grands hommes d’Etat. La prudence, au sens latin du terme de capacité de prévoir et de construire l’avenir. Cette prudentia n’excluait pourtant pas chez lui le goût du risque, sans lequel il n’y a pas de grande ambition

Comment mettre en œuvre la vocation de l’Institut Pierre Werner ?

Comparé à «d’autres lieux où l’on s’efforça de créer ou d’entretenir des pensées de paix, des projets capables d’intéresser des hommes sans distinction de nationalité…Colpach, écrit encore Marie Delcourt, se distinguait parce que, là, rien n’avait été préalablement délibéré. Tout y était apparu spontanément.»

Il ne faut peut-être pas trop espérer que le même enchantement se reproduira automatiquement à Neumünster. Mais il ne faut pas non plus vouloir tout planifier des années à l’avance, du moins à ce stade.

Dans un premier temps, il s’agira de laisser encore libre cours à l’imagination créatrice, tout en tenant compte de quelques idées et projets qui ont déjà émergé de différentes rencontres.

Demain aura lieu, au Musée national d'Histoire et d'Art, une table ronde animée par M. Jacques Rigaud sur les «Lieux de culture en Europe».

Un grand symposium international ayant comme thème «Vivre la diversité culturelle» est prévu pour mai/juin 2004.

Et puis il y aura des synergies avec des partenaires «naturels», comme

  • l'Université de Luxembourg,

  • l'Institut Universitaire de Florence où a été créée une Chaire Pierre Werner et

  • l’Institut européen des itinéraires culturels du Conseil de l'Europe:

Permettez-moi, à ce propos, de vous annoncer que nous accueillerons dans les prochaines semaines, dans le même bâtiment où est installé l'Institut Pierre Werner, l'Institut européen des Itinéraires culturels du Conseil de l'Europe. Depuis son installation à la Tour Jacob en 1997, cet institut est devenu un Centre de ressources incontournable, auquel l'Europe entière fait appel chaque jour et qui est devenu le pivot de toute opération concernant les itinéraires culturels.

Le lancement d’un Institut aussi nouveau que l'Institut Pierre Werner mettra du temps, mais devrait prendre sa vitesse de croisière dès avant 2007, où Luxembourg sera la Capitale européenne de la Culture, projet que nous étendrons à la Grande Région SarLorLux, la Rhénanie-Palatinat, les Communautés francophone et germanophone de Belgique et la Ville de Sibiu en Roumanie.

Excellences,
Mesdames,
Messieurs,

C'était un des hôtes des époux Mayrisch de Colpach, Richard de Coudenhove-Kalergi, qui en 1929, proposa d'adopter l'Ode à la Joie de Schiller sur la musique de la 9e symphonie de Beethoven en tant qu'hymne européen.

Mais Il est surtout connu pour son appel à l'unité de l'Europe en octobre 1922. Pour lui l'Europe, héritière d'un riche passé, ne peut survivre que si elle s'unit en préservant les particularités de tous ses peuples et en leur accordant le droit incontestable de les conserver. Le rejet de tout préjugé nationaliste, la défense de la liberté et la consolidation de la paix sont les pierres angulaires de l'unité européenne.

Ses idées mais aussi la pensée humaniste et chrétienne de Pierre Werner seront pour nous, à l'Institut qui porte son nom, une source d'inspiration intarissable et un rempart contre toutes formes d'intolérance et de xénophobie qui nous guettent au moment où l'Europe s'élargit à de nouveaux partenaires. Je reste convaincue que l’Institut Pierre Werner aura toujours pour vocation essentielle de constituer, au cœur de l’Europe, un forum permanent pour le dialogue des cultures et la culture du dialogue.

Et c'est ainsi que la boucle se boucle: car c'est précisément le thème fédérateur du futur Centre culturel de Rencontre, Abbaye de Neumünster que nous ouvrirons le 28 mai prochain!

Je vous remercie de votre attention.

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