Le ministre de la Culture, de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, François Biltgen, à l'occasion du colloque international sur le traité constitutionnel européen à l'Université du Luxembourg

Altesse Royale, Monsieur le Premier Ministre Honoraire, Monsieur le Recteur, Mesdames, Messieurs,

Le 18 juin 2004, à Bruxelles, les chefs d’Etat et de gouvernement européens ont adopté un projet de Traité qui pourrait donner naissance à la première Constitution européenne. Ce texte, objet de vos débats, peut-être considéré dès à présent comme le socle démocratique de l’Europe réunifiée. En effet, la Constitution européenne vise à renforcer l’efficacité des institutions européennes et à rapprocher l’Europe de ses citoyens. De surcroît, elle ouvre de nouvelles perspectives: notamment, l’affirmation d’une véritable identité européenne sur la scène internationale par l'attribution d'une personnalité juridique à l'Union européenne.

Plus particulièrement, la Constitution européenne cherche à:

  • Substituer un système simplifié et clair à la complexité des procédures et des moyens d’action dont dispose l’Union européenne;
  • Clarifier ce qui relève de l’Union européenne et des Etats et finalement à répondre à la question "Qui fait quoi ?";
  • Renforcer la capacité de décision des institutions dans une Union à vingt-cinq Etats membres tout en accroissant la légitimité démocratique des décisions en renforçant la représentation et en favorisant la participation des citoyens.

La Constitution se compose de quatre parties principales: 

  • La première partie contient les objectifs de l’Union, ses compétences, les moyens dont elle dispose pour décider, et ses moyens d’action, c’est-à-dire ses institutions;
  • La seconde partie est tout entière consacrée à la Charte des droits fondamentaux qui sont donc "enchâssés constitutionnellement" ce qui leur confère une force juridique qu’ils n’avaient pas jusque-là. Très concrètement, les juges nationaux et européens auront à interpréter ces droits et à garantir que les législations nationale et européenne les respectent;
  • La troisième partie traite des différentes politiques dont est en charge l’Union européenne;
  • Enfin, la quatrième partie précise la manière dont la Constitution doit entrer en vigueur et les moyens pour la modifier.

Parmi les avancées essentielles j’en relèverai 7:

1) Une présidence stable pour l'Union

La présidence tournante du Conseil européen, qui privilégie aujourd’hui le passage de relais tous les six mois entre les Etats membres, que le Luxembourg assume actuellement est abandonnée pour un président stable élu pour deux ans par le Conseil européen. La Constitution crée parallèlement un ministre européen des affaires étrangères qui aura pour tâche de conduire la politique étrangère et de sécurité commune, et de présider le Conseil des affaires étrangères de l’Union.

2) Un système de décision renouvelé

La Commission européenne sera toujours composée d’un commissaire par Etat membre jusqu’en 2014. Ensuite, seuls 2/3 des Etats y seront représentés pour éviter que la Commission soit ingouvernable lors des prochains élargissements de l’Union (la Bulgarie, la Roumanie, la Croatie à partir de 2008). Le Conseil de l'Union européenne aura un nouveau système décisionnel: Ses décisions seront le fruit de "coalitions gagnantes". C’est-à-dire, les décisions du conseil seront prises plus souvent à la majorité qualifiée (55% des Etats membres représentant 65% de la population). Cependant, le vote à l'unanimité, dominé par "les minorités de blocage", reste la règle particulièrement en matière de fiscalité, de sécurité, de politique sociale et d’exception culturelle. Pour bloquer une décision du Conseil, il faut par ailleurs qu’un minimum de quatre Etats membres s’opposent à la décision.

3) Un meilleur contrôle démocratique

Un droit de pétition est prévu à l’avenir pour les citoyens. Il ouvre le droit à 1 million d'européens, (sur un total de 450 millions) issus d'un nombre significatif d'Etats membres, de demander à la Commission européenne de présenter une proposition de loi.

Le rôle du Parlement est accru dans la Constitution: 95% des lois européennes seront dorénavant adoptées conjointement par le Parlement européen et le Conseil. La procédure dite de codécision entre ces 2 instances sera ainsi quasiment généralisée. Elle prend le nom de "procédure législative ordinaire". Cette nouvelle procédure étend son action à trente-quatre nouveaux domaines d’action, notamment en matière de marché intérieur et de "Justice et Affaires intérieures". Le Parlement obtient également une égalité de droit avec le Conseil pour l’adoption de l’ensemble du budget européen. Enfin, le Parlement européen élit le président de la Commission qui sera proposé par le Conseil sur la base des résultats des élections européennes. Le nombre de sièges au Parlement européen est porté à 750. Avec un minimum de 6 sièges et un maximum de 96, le nombre de députés européens par Etat est proportionnel à l’importance de leur population tout en garantissant au plus petits Etats membres dont le Luxembourg un socle minimal et donc une surreprésentation certaine.

Toutefois, la Constitution européenne reconnaît toujours à la Commission européenne son quasi-monopole d’initiative législative. La Commission devra toutefois informer de manière plus systématique les Parlements nationaux. En effet, la Constitution affirme le rôle des parlements nationaux dans le contrôle du respect du partage des compétences entre l’Union et les Etats membres grâce à l’introduction d'un "mécanisme d'alerte précoce" qui permet à chaque parlement national d’indiquer les risques de violation du principe de subsidiarité par les institutions européennes. Au-delà d'un tiers (un quart dans le domaine "Justice et affaires intérieures") d'avis négatifs de la part des parlements nationaux, la Commission doit revoir sa proposition. La Constitution prévoit enfin après la possibilité pour chaque Etat membre de transmettre à la Cour de justice des recours pour violation du principe de subsidiarité.

4) Une clarification des compétences entre l’Union et les Etats

La Constitution donne enfin une définition claire des compétences de l’Union: ce qui relève de l’Union, ce qui ne relève que des Etats membres et ce qui relève des deux niveaux à la fois. Tout d’abord, elle définit les principes: les compétences de l’Union sont celles que les Etats membres lui attribuent dans la Constitution (principe d’attribution) et toutes les autres compétences continuent d’appartenir aux Etats membres qui détiennent donc une compétence de droit commun; l’Union agit dans les domaines où les Etats ont décidé de mettre en commun leur pouvoir, pour être plus efficace (principe de subsidiarité) dans le respect de ce qui est nécessaire (principe de proportionnalité).

Ensuite, elle opère une clarification des compétences de l’Union en distinguant: 

  • Les compétences exclusives dans les domaines où l’Union légifère seule

comme, par exemple, la politique monétaire des Etats de la zone euro, la politique commerciale commune et l’Union douanière, les Règles de concurrence, la Conservation des ressources halieutiques, certains accords internationaux affectant l'UE;

  • Les compétences partagées dans les domaines où l’Union et les Etats partagent le pouvoir de légiférer comme,

par exemple, la sécurité intérieure et la justice, le Marché intérieur, la  Politique agricole commune, la Politique commune de Pêche, la Politique des Transports, les Réseaux transeuropéens (transports, télécommunications et énergie), l’Energie, la Cohésion économique, sociale et territoriale, l’Environnement, la  Protection des consommateurs, certains aspects de la santé publique, certaines compétences dans les domaines du développement et de l’aide humanitaire, certaines compétences dans les domaines de la recherche, du développement technologique et de l’espace;

  • Enfin, les actions d’appui, de coordination ou de complément par lesquelles l’Union peut soutenir certaines politiques qui relèvent des Etats

comme la Protection civile, la Culture, l’Industrie, la Protection et amélioration de la santé humaine, l’Education, formation professionnelle, jeunesse et sport, le Tourisme, la Coopération administrative.

Une clause de flexibilité permet à l'Union d'élargir le domaine de ses compétences, afin d'atteindre certains objectifs de la Constitution. La décision de confier à l'Union de nouveaux pouvoirs est prise par le Conseil à l’unanimité, après approbation par le Parlement européen.

5) Le respect des Etats membres

La Constitution précise que l’Union respecte l’identité des Etats membres. Si le droit adopté par l’Union dans les domaines que les Etats lui ont attribués prime sur le droit des Etats membres, la Constitution européenne ne remplace pas les Constitutions nationales et coexiste avec elles.

La Constitution prévoit que tout Etat membre bénéficie d’un "droit de retrait volontaire" de l’Union européenne. Aujourd’hui, un Etat membre n’a le droit de quitter l’Union que si tous les autres Etats membres sont d’accord. La Constitution prévoit que tout Etat peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l'Union.

Les "coopérations renforcées" qui ont été créées par le traité d’Amsterdam (1997), permettent à des Etats d'aller de l'avant en utilisant le cadre institutionnel de l'Union pour la mise en œuvre des politiques conduites en commun. Par rapport au traité de Nice, la Constitution européenne confirme que ces "coopérations renforcées" s’appliquent à la politique étrangère et de sécurité commune et assouplit son fonctionnement. Elle étend son application à la politique de défense. Cela signifie que les Etats qui souhaitent aller de l’avant le pourront sans contraindre les autres, tout en leur laissant la possibilité de les rejoindre librement et volontairement.

6) Un oui à une Europe sociale

A l’heure ou d’aucuns se posent la question si l’Europe n’est pas en train de devenir un espace fondé uniquement sur une approche néo-libérale et proposent ainsi de refuser la Constitution, il est nécessaire de souligner que le texte consacre bien l’Europe sociale que nous avons. Faut-il rappeler qu’aux débuts de ce qu’on appelait fin des années cinquante le Marché Commun il n’y a avait guère de disposition dans les Traités parlant d’Europe sociale à part l’article 119 sur l’égalité entre hommes et femmes ou encore les dispositions sur la sécurité sociale.

L’Europe sociale s’est construite par à-coups. Le texte du Traité la consacre entièrement et donne même des bases constitutionnelles à certains développements qui jusqu’ici n’en avaient pas, par exemple en matière de dialogue social.

Mais ce qui plus est, le fameux article I-3 sur les objectifs de l’Union est des plus claire dans son paragraphe 3:

"L’Union œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement."

Et plus loin:

"Elle combat l’exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociale, l’égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant."

7) Des valeurs communes

La Constitution européenne est un véritable contrat social qui consacre les valeurs communes autour desquelles se retrouvent les citoyens européens.

Le préambule de la Constitution rappelle en effet que l’Union européenne développe "les valeurs universelles que constituent les droits inviolables et inaliénables de la personne humaine, ainsi que la démocratie, l’égalité, la liberté et l’état de droit". Elle affirme également que l’Union se fonde sur les valeurs du respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, et de respect des droits de l’Homme, y compris les droits des personnes appartenant à des minorités.

L'importance de ces valeurs se traduit dans le fait que leur respect constitue l'une des conditions essentielles de l'admission de nouveaux membres ; inversement, le non- respect de ces valeurs par un Etat membre peut conduire à la suspension de ses droits d'appartenance à l'Union: cela signifie que les "valeurs" de l'Europe sont fondamentales et incontestables, qu'elles ont un contenu juridique clair; ces valeurs sont donc plus que de simples normes éthiques purement déclaratoires; elles prennent aussi la forme d'obligations juridiques librement acceptées. Ces valeurs sont d’autant plus consacrées du fait que la Charte des droits fondamentaux est intégrée dans la Constitution, ce qui lui confère une force juridique contraignante dont elle ne disposait pas. Sur ce point, la Constitution précise que l’Union adhère à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ce qui renforce là encore la protection des droits fondamentaux des citoyens européens.

Pour entrer en vigueur, la Constitution doit être ratifiée par tous les Etats membres soit par la voie parlementaire soit en consultant directement les citoyens par référendum comme ce sera le cas au Luxembourg le 10 juillet 2005 et dans une dizaine de pays européens. Jusqu’ici la Lituanie, la Hongrie et la Slovénie l’ont déjà ratifiées par voie parlementaire. L’Espagne organise dimanche un vote référendaire à titre consultatif. Si l’un des Etats membres devait ne pas ratifier le traité dans les deux ans qui suivent sa signature survenue à Rome le 29 octobre 2004, le Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat ou de Gouvernement des pays membres, serait alors saisi de la question et examinerait les conséquences à tirer du refus de tel ou tel Etat membre.

Conclusion

Au regard des avancées de la Constitution européenne au niveau institutionnel, économique et social, il serait dommageable pour les Européens de se priver d’un tel instrument. Mais des questions demeurent. Le texte est une chose. Son appréciation en sera une autre. Il sera rempli de vie par les différents acteurs (dont le CJCE) et les commentaires d’aujourd’hui risqueront d’être obsolètes dans 5, 10, 20 ans. Il est aussi clair que, par son ampleur, ce traité constitutionnel sera non seulement un objet primordial de recherche mais aussi un moyen d’action privilégié par les institutions politiques, les partenaires sociaux, les entreprises et le monde associatif.

Je tiens donc à féliciter le comité scientifique de ce colloque (Dr. Lukas Sosoe & Dr. Philippe Poirier de l’Université du Luxembourg et le Dr Gary Overvold de l’University Clark, université américaine partenaire de cette conférence) de son heureuse initiative. Par ce type d’activités, la nouvelle Université du Luxembourg assume pleinement le rôle qui lui était dévolue à sa création en août 2003 (confirmée par l’accord gouvernemental d’août 2004): Etre une université spécialisée alliant recherche et enseignement, de taille réduite et à rayonnement international, consacrant l’interdisciplinarité (ici en l’occurrence le droit, la philosophie, les sciences politiques) et dont les programmes de recherche contribuent à comprendre les problèmes auxquels sont confrontées nos sociétés et à identifier des solutions. Le Luxembourg, au berceau de l’Europe et fruit de l’Europe, dans le cadre de l’analyse de son histoire, son identité, ses problèmes, peut ainsi contribuer à une recherche non pas aveuglément fixée sur les particularismes luxembourgeois, mais destinée à fournir à partir de l’analyse des expériences luxembourgeoises faites dans l’Europe et par l’Europe des constations et des éléments de solutions vraiment européennes.

La déclaration gouvernementale a clairement souligné cette perspective. L’Université sous tous ses aspects, Conseil de Gérance, Rectorat, Facultés, conseils universitaire et de faculté est en train d’élaborer ce programme d’envergure. Les "Assises" que nous organiserons le 5 mars et auxquelles nous invitons des représentants de l’économie et de la société civile seront une étape supplémentaire sur le chemin de l’établissement de l’UNI LU en tant que petite université mais d’excellence.

Je souhaite aux organisateurs et aux congressistes un très bon colloque.

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