Contribution écrite du Premier ministre Jean-Claude Juncker au sujet du référendum français sur la Constitution pour l'Europe, publiée dans Le Figaro

Les Français ne le savent pas: à chaque fois que la France donne rendez-vous au suffrage universel, l'Europe et le monde la regardent. Les élections présidentielles, le renouvellement de l'Assemblée nationale, même les élections cantonales trouvent un intérêt hors de l'Hexagone qui, très souvent, n'a d'égal que celui que la France elle-même leur voue.

Cet intérêt pour la chose française est particulièrement vif chez les voisins immédiats de la République. Pour nous Luxembourgeois, rien de ce qui est français ne nous est vraiment étranger. Il ne nous revient pas d'interférer dans le débat que la France conduit en vue du référendum du 29 mai. Le choix que la France fera dimanche aura été le sien. Mais il nous concerne et, pour la première fois depuis la moitié du siècle dernier, il nous concerne vitalement.

Nous pensons que nous n'avons pas le droit de donner des leçons aux Français. Mais nous estimons que nous avons le devoir d'exprimer notre point de vue. Parce que la France a toujours su et voulu intégrer dans sa pensée les idées venues d'ailleurs.

Le débat constitutionnel français m'inspire plusieurs réactions.

La perspective du référendum a déclenché en France un débat vertueux dont la qualité impressionne. Chaque Français et chaque Française s'intéresse - enfin ! - à l'Europe. L'Europe a cessé d'être l'affaire des seules "élites": le peuple français investit les lieux du débat, fait savoir que c'est de lui qu'émane tout pouvoir, que c'est lui qui décide et qu'il n'est pas près - au delà du 29 mai - de se dessaisir d'un sujet qui désormais le passionne. Si toutes les opinions publiques avalent la même envie de débattre de l'Europe que les Français, nous assisterions enfin à la naissance d'une opinion publique européenne qui nous fait si cruellement défaut aujourd'hui. Une fois de plus, le peuple français donne un exemple à suivre; une fois de plus, il prouve sa maturité démocratique, il ne faut pas s'en plaindre.

Je ne répondrai pas aux arguments de ceux qui estiment que le bonheur de la France passerait par le démantèlement de l'Union européenne. La France a un rayonnement qui dépasse celui de tous les autres pays membres de l'Union européenne, c'est vrai. Mais si son choix devait être de renoncer à l'amplification de son rayonnement que lui procure sa position dirigeante au sein de l'Union européenne, son ambition s'autolimitera au seul Hexagone. Or la vocation de la France dépasse ses frontières. Le patriotisme français moderne est bidimensionnel: il doit être français pour des raisons de proximité, il doit être européen pour des raisons de message universel.

Si je ne réponds pas à ceux qui veulent moins d'Europe parce que plus d'Europe leur paraît receler des dangers pour la France, je répondrai volontiers à ceux qui reprochent au traité constitutionnel d'être insuffisamment européen. Je prends leur argumentaire très au sérieux et très à cœur parce que je crois que nous sommes d'accord sur l'essentiel.

Moi aussi, j'aurais souhaité des avancées plus conséquentes. J'ai essayé de les obtenir, ensemble avec d'autres, notamment le gouvernement et les membres français de la Convention.

Je constate que le traité constitutionnel favorise, plus que ses prédécesseurs, le progrès social. La clause sociale horizontale - du jamais vu en Europe ! - soumettra toutes les politiques de l'Union aux exigences sociales.

Je constate que le traité autorise - contrairement au droit positif européen - les services d'intérêt général à suppléer aux faiblesses du marché. Le nouveau traité n'érige pas en dogme la logique du marché. Au contraire: il organise l'intersection entre le marché et la volonté.

Je constate que le traité constitutionnel permet à l'Europe de décider plus rationnellement, plus efficacement, plus démocratiquement. Plus rationnellement, parce qu'il limite l'intervention de l'Union à ce que celle-ci sait faire mieux que les États pris isolément. Plus efficacement, parce qu'il met en place la double majorité des États et des populations. Plus démocratiquement, parce qu'il fait du Parlement européen le codécideur de 95% des actes législatifs et parce qu'il accroît le domaine d'influence des Parlements nationaux.

Le traité constitutionnel est un contenant. Il n'est pas un contenu, il n'interdit aucune politique, à condition qu'elle réponde aux impératifs de la charte des droits fondamentaux, une avancée continentale en elle-même. Elle autorise tous les choix politiques, à condition que ceux-ci trouvent les majorités requises. Il en va de la Constitution européenne comme il en va de la Constitution de la Ve République, elle n'est ni de gauche ni de droite. Elle ne nous condamne pas à une politique à contenu prédéterminé. Elle nous laissera choisir librement la politique que les élus européens - ministres et députés - voudront mener.

Je dis à ceux qui veulent plus d'Europe prédéterminée, plus de politique sociale, plus de coordination économique, plus d'encadrement du marché qu'ils ne comparent pas la Constitution à l'idéal. L'idéal ne se décrète pas via la prédétermination constitutionnelle. Il relève du combat politique.

Et je soumets à la considération de ceux qui auraient voulu plus d'Europe, immédiatement et maintenant, la considération suivante: le traité constitutionnel est la somme des accords auxquels vingt-cinq gouvernements, composés d'une centaine de sensibilités politiques, étaient capables de parvenir. Cette somme n'est pas parfaite. Mais elle permettra l'Europe de nos rêves, à condition que la volonté des gouvernements et des élus de tirer tous les avantages de cette somme imparfaite soit plus que parfaite. En un mot: ceux qui caressent l'espoir et nourrissent l'illusion que le rejet de la Constitution par le peuple français nous permettrait de négocier un traité correspondant à leur idéal se trompent dangereusement.

II n'y a pas de plan B! S'il existait, le président du Conseil européen que je suis le saurait. Je devrais en effet le proposer. Je ne le proposerai pas. Parce qu'il n'existe pas. Il n'existe pas parce qu'il est impossible. Il est impossible parce qu'il ne nous rapprocherait pas de l'idéal. Il nous en éloignerait. Donc, il faut dire oui au plan tel qu'il résulte de l'accord trouvé.

Jean-Claude Juncker,
Président du Conseil européen, Premier ministre luxembourgeois

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