Jean-Claude Juncker, Discours sur les relations entre le Conseil de l'Europe et l'Union européenne, Conseil de l'Europe, Strasbourg

Herr Vorsitzender, lieber René,
Sehr verehrter Herr Bundeskanzler, lieber Wolfgang,
Monsieur le Premier ministre, cher Calin,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les députés,

Me revoilà Strasbourg, ville européenne par excellence, carrefour de tant d’ambitions et tant de visions européennes. Me revoilà au lieu de la démocratie européenne, point de départ et ligne d’arrivée de multiples suggestions, projets et plans européens. C’est dans cette ville, qui m’est chère au cœur, et à la fidélité européenne de laquelle je voudrais rendre hommage, c’est ici à Strasbourg, capitale de la grande Europe, c’est ici, devant vous, les élus des peuples d’Europe, que je voudrais présenter mon rapport sur les relations entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, rapport que les chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe m’ont demandé d’établir en mai de l’année écoulée.

Le rapport que je vous présente, après l’avoir soumis aux chefs d’État et de gouvernement du Conseil de l’Europe, est d’abord un travail personnel. Je ne suis le commis de personne, ni le mandataire de quiconque. Je n’ai pas de point de vue institutionnel à défendre, si ce n’est la conviction que le Conseil de l’Europe a un passé prestigieux qui l’honore et une obligation ardente de développement, obligation de développement riche en perspectives pluridimensionnelles.

Le rapport est ensuite un document qui se tient à distance de toute illusion. Il ne faut pas le comparer à l’idéal. Il ne faut d’ailleurs jamais comparer les idées du moment à l’idéal de toujours. Il m’eut été facile de décrire le souhaitable idéal et l’idéal souhaitable. J’ai fait un autre choix. Je propose le minimum souhaitable. Je propose ce qui est indispensable pour que demain le Conseil de l’Europe et l’Union européenne puissent continuer à évoluer le long d’une même idée, à être inspirés d’un même esprit et à nourrir une même ambition. Je reprends à mon compte et je revendique pour ma génération la formule prémonitoirement juste de Coudenhove-Kalergi, prononcée entre les deux guerres fratricides du 20e siècle, qui disait : une Europe divisée conduit à la guerre, à l’oppression, à la misère ; une Europe unie à la paix et à la prospérité.

L’Europe dont je parle et l’Europe dont je voudrais qu’on parle, ce n’est pas l’Europe qui se limite aux confins de l’Union européenne. Je veux parler de la grande Europe - celle qui a vu se réconcilier son histoire et sa géographie. Cette Europe qui n’appartient à personne puisqu’elle nous appartient à tous. Cette grande Europe si souvent massacrée et martyrisée parce que les intérêts nationaux voulaient supplanter l’intérêt général continental.

Pour que le minimum souhaitable et pour que l’indispensable aient une chance, il faut que nous respections d’abord certaines données de fait qui s’imposeront obligatoirement à nos projets d’avenir. L’Union européenne est la plus belle œuvre d’ensemble dont le génie européen ait été capable jusqu’à aujourd’hui. Le Conseil de l’Europe ne la remplace pas. Le Conseil de l’Europe ne doit pas vouloir la remplacer, il ne doit même pas essayer de vouloir l’imiter à tout prix. L’Union européenne, ensemble cohérent, qui mélange souveraineté nationale et souveraineté partagée, ne peut pas, elle, parler au nom de l’ensemble du continent européen. L’Europe est un vaste continent, dont le Conseil de l’Europe a la charge intergouvernementale et interparlementaire. L’Union européenne, elle, est le projet particulier de ceux des États européens qui veulent et qui peuvent aller plus loin. Le Conseil de l’Europe n’est pas l’antichambre de l’Union européenne. L’Union européenne, elle, n’a pas vocation à absorber le Conseil de l’Europe.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne sont tous les deux nécessaires, sont tous les deux différents et sont tous les deux uniques. Pour que l’Europe réussisse, ils doivent viser un véritable partenariat aussi structuré que possible et organiser durablement la complémentarité, ce qui exclut, ce qui devrait exclure, les rivalités stupides et les rivalités nocives. Ce partenariat se construira autour d’un socle européen de valeurs communes. Ces valeurs sont celles de l’Union européenne au même degré qu’elles sont les valeurs du Conseil de l’Europe.

J’ai élaboré sur une quarantaine de pages mon rapport autour de cette idée de valeurs paneuropéennes communes. Je ne vous ferai pas, Mesdames et Messieurs, l’injure de paraphraser mon rapport que vous avez lu ou que vous lirez. Je ne développerai pas devant vous toutes les conclusions et toutes les conséquences auxquelles l’auteur du rapport a pu parvenir. Je me permettrai ici devant les parlementaires d’insister sur trois ou quatre éléments seulement. Comme nous maîtrisons tous le don de la lecture rapide, je n’ai pas besoin d’exposer devant vous tous les détails du rapport. Je dirais simplement trois ou quatre choses, je développerais trois ou quatre points forts.

Le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, c’est d’abord une certaine conception des droits de l’Homme. C’est le respect des droits de l’Homme, c’est la réflexion sur les droits de l’Homme qui font le propre des instances parlementaires et politiques du continent européen. Pendant longtemps, les États membres de l‘Union européenne restaient divisés sur la question de savoir si l’Union européenne devrait adhérer à la Convention européenne des droits de l’Homme. Pendant les travaux qui ont conduit les États membres de l’Union européenne au projet de traité constitutionnel, il s’est avéré que ce qui fut controversé est aujourd’hui devenu consensus. Il y a consensus entre les États membres de l‘Union européenne de voir l’Union européenne adhérer à la Convention européenne des droits de l’Homme.

Je proposerais qu’indépendamment du rythme de ratification du traité constitutionnel l’Union européenne aujourd’hui et tout de suite se dote des moyens nécessaires pour pouvoir adhérer à la Convention européenne des droits de l’Homme. Elle le fera, l’Union européenne, sur base de l’article 48 du traité sur l’Union européenne. Les parlements nationaux des États membres de l’Union européenne ratifieront dans un même mouvement et dans un même élan un protocole qui dotera l’Union européenne de la base légale qui lui fait défaut aujourd’hui pour que l’Union européenne puisse adhérer à la Convention des droits de l’Homme.

J‘ai longtemps hésité avant de formuler cette proposition, parce que je n’ignore pas que cette proposition est une proposition à risque puisqu’elle pourrait accréditer l’idée que l’Union européenne n’aurait plus besoin du traité constitutionnel et que ce cherry picking que sur ce point je vous propose, éloignerait à tout jamais la perspective constitutionnelle de l’Union européenne. Toujours est-il qu’il y a consensus, toujours est-il que le traité constitutionnel n’est pas en vigueur et toujours est-il qu’il y a l’obligation en Europe, et pour le Conseil de l’Europe, et pour l’Union européenne, d’évoluer sur les mêmes bases, sur les mêmes concepts et d’avoir les mêmes ambitions lorsqu’il s’agit des droits de l’Homme.

Je voudrais ensuite, Monsieur le Président, que les instances de l’Union européenne reconnaissent le Conseil de l’Europe comme la référence continentale en matière des droits de l’Homme. Les arrêts et conclusions de ses mécanismes de suivi doivent être systématiquement cités comme référence. La consultation par l’Union européenne du commissaire aux droits de l’Homme et des experts juridiques du Conseil de l’Europe doit devenir la règle dans le processus d’élaboration de nouveaux projets de directives de l’Union européenne.

Je voudrais qu’enfin le commissaire aux droits de l’Homme devienne l’institution à laquelle l’Union européenne, comme tous les États membres d’ailleurs du Conseil de l’Europe, peuvent avoir recours pour toutes les questions des droits de l’Homme non couvertes pas les mécanismes de suivi et de contrôle en place. Il est bien entendu que le bureau du Commissaire aux droits de l’Homme devra être doté des moyens suffisants pour lui permettre d’accomplir ces multiples missions.

Enfin, la future Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne - à la mise en place de laquelle la Présidence autrichienne travaille avec beaucoup d’énergie et beaucoup de talent - traitera du respect des droits fondamentaux dans le seul cadre de la mise en œuvre du droit communautaire. Elle n’entamera pas l’unicité, la validité et l’efficacité des instruments de suivi de l’application des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe. La Cour européenne des droits de l’Homme et les mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe, figureront, me semble-t-il dans les statuts de l’Agence européenne des droits fondamentaux, comme références fondamentales. Il me semblerait que le Commissaire aux droits de l’Homme y devrait être mentionné comme partenaire essentiel. Il me semblerait utile et nécessaire que le Conseil de l’Europe sera représenté dans les instances dirigeantes de l’Agence aux travaux desquels le Commissaire aux droits de l’Homme assistera sans voix délibérative.

Je crois, Mesdames et Messieurs, que le Conseil de l’Europe et l’Union européenne ont l’obligation de mettre en place en Europe un espace juridique et judiciaire au service d’une Europe sans clivages. Dans cet espace normatif minimal couvrant nos 46 États, Union européenne et Conseil de l’Europe doivent mieux coordonner leurs initiatives législatives et mettre en place une plate-forme conjointe d’évaluation des normes, cherchant la complémentarité des textes et la reprise réciproque, s’il le faut, des normes. Les deux, Conseil de l’Europe et Union européenne, intensifieront leurs activités de coopération à travers la Commission de Venise, dont je voudrais souligner ici l’extraordinaire qualité des travaux - Commission de Venise à laquelle je voudrais que l’Union européenne adhère lorsque les instruments seront prêts et lorsque les esprits pourront l’envisager.

Les droits de l’Homme constituent la compétence la plus noble du Conseil de l’Europe. Mais je ne voudrais pas que nous commencions à considérer que le Conseil de l’Europe n’aurait pas d’autres tâches que celles qui gravitent autour de la notion des droits de l’Homme. Le Conseil de l’Europe est aussi l’instance européenne où doivent se formuler les bonnes politiques en matière de jeunesse, d’éducation et de culture. Et je voudrais que sur ces 3 points l’Union européenne et le Conseil de l’Europe poussent davantage les frémissements de coopération embryonnaire que nous pouvons observer aujourd’hui. Les deux ensembles, Union européenne et le Conseil de l’Europe, stimuleront le dialogue interculturel essentiel pour les décennies qui sont devant nous.

Je voudrais que sur ce point nous nous partagions le travail. Je voudrais que le Conseil de l’Europe se consacre d’abord au dialogue interculturel intra-européen, au dialogue entre les 46 États membres du Conseil de l’Europe. Et je voudrais que l’Union européenne, elle, se consacre d’abord à ce que j’appellerais la diplomatie interculturelle, le dialogue interculturel entre l’Europe et les autres parties de la planète. Si nous faisions tout cela, et vous découvrirez dans le détail du rapport écrit une multitude de suggestions à cet égard, il faudra que nous encadrions tous ces efforts par la mise en place d’un arrangement interinstitutionnel qui puisse nous aider à mieux développer notre coopération. Je voudrais que les réunions interinstitutionnelles entre l’Union européenne et le Conseil de l’Europe d’abord soient prises plus au sérieux qu’elles le sont à l’heure actuelle, qu’elles soient réduites en nombre - une réunion par rapport suffira -, et qu’elles se consacreront à un ordre de jour plus solide et plus structuré. Je voudrais que les instances parlementaires, et de l’Union européenne, et du Conseil de l’Europe, trouvent un terrain de coopération qui est plus structuré lui aussi que celui que nous avons à notre disposition maintenant.

Je ne peux qu’encourager les conférences des présidents respectives et les commissions parlementaires respectives de se voir plus régulièrement, pas seulement sporadiquement, et de mettre ensemble les initiatives parlementaires qui peuvent être celles du Parlement européen ou celles de votre Assemblée parlementaire.

Je voudrais que nous réfléchissions à un nouveau mode d’élection et de désignation du secrétaire général du Conseil de l’Europe. Les secrétaires généraux du Conseil de l’Europe, avec leurs talents et leurs énergies propres, ont jusqu’à ce jour fourni un excellent travail qui a trouvé l’approbation de tous. Mais si demain le Conseil de l’Europe et l’Union européenne, pour se partager les ambitions qui iront plus loin, veulent pouvoir dialoguer d’égal à égal, il faut très sérieusement réfléchir au mode de désignation du Secrétaire général du Conseil de l’Europe.

L’Union européenne a comme règle, non-écrite d’abord, écrite aujourd’hui, de choisir le président de la Commission européenne parmi des personnalités européennes connues - connues de leur collègues et connues du grand public, ce qui fait que normalement nous choisissons le président de la Commission européenne parmi les chefs d’État et de gouvernement. Tous ne sont pas d’accord pour y aller, mais vous trouvez toujours quelqu’un qui est prêt pour accomplir cette tâche difficile. Je voudrais que dorénavant nous désignions le Secrétaire général du Conseil de l’Europe d’après les mêmes règles pour que ces rencontres interinstitutionnelles entre le Conseil de l’Europe et l’Union européenne puissent se dérouler dans une stricte égalité des choses.

Je voudrais que les ministres des Affaires étrangères - je le dis au Président du Comité des ministres, le ministre roumain des Affaires étrangères - eux, prennent plus au sérieux le Conseil de l’Europe. Il n’est pas concevable que le Conseil de l’Europe puisse être vu dans les États membres du Conseil de l’Europe et dans les États membres de l’Union européenne comme le forum de la démocratie organisée en Europe, si le Comité des ministres, en dépit des énormes qualités qu’il revête, siège en règle générale au niveau des Ambassadeurs. Non. Les ministres des Affaires étrangères doivent se déplacer pour montrer qu’ils prennent au sérieux les travaux du Conseil de l’Europe. Si les gouvernements eux-mêmes ne prennent pas suffisamment au sérieux les travaux du Conseil de l’Europe, comment voulez-vous que nos opinions publiques et que les observateurs prennent au sérieux les activités du Conseil de l’Europe.

Je voudrais enfin, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, qu’un jour l’Union européenne elle-même devienne membre du Conseil de l’Europe et adhère au Conseil de l’Europe. Cela pourrait être raisonnablement fait d’ici l’an 2010. Et d’ici là, je voudrais que l’Union européenne se fasse représenter au niveau du Conseil de l’Europe par un représentant permanent résident, tout comme j’estime que le Conseil de l’Europe doit se voir être reconnu une représentation diplomatique auprès de l’Union européenne.

Voilà, Mesdames et Messieurs, puisque j’avais seulement un quart d’heure à disposition, le résumé, d’une façon non pas succincte mais presque brutale, quelques idées élémentaires de mon rapport qui gagnera en qualité lorsque vous l’aurez lu dans ses multiples détails.

Je voudrais, Monsieur le président, vous remercier en tant que Président de l’Assemblée parlementaire pour les nombreux avis et conseils que vous n’avez cessé de me donner, tout comme je voudrais continuer vers l’ensemble de l’Assemblée parlementaire ces remerciements dans lesquels j’inclurais bien-sûr le secrétaire général, dont les suggestions m’ont été très utiles, ainsi que les membres du staff du secrétariat général sans l’engagement desquels il ne m’aurait pas été possible de terminer ce rapport dans les délais.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie de votre attention. Et je voudrais vous revoir au moins une fois par année pour discuter du suivi que les gouvernements et que les instances parlementaires apporteront à ce rapport.

Je vous remercie.

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