Jean-Louis Schiltz, Discours à l'occasion de la session 2008 de l'ECOSOC, New York

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Excellences,
Mesdames, Messieurs,
Chers collègues,

Vous avez devant vous le rapport national du Luxembourg préparé pour cet examen ministériel annuel. Conformément aux recommandations des organisateurs, je me limiterai dans ma présentation à relever les éléments clés de ce rapport en donnant quelques exemples concrets pour m’attarder sur quelques-unes des questions urgentes auxquelles nous, c’est-à-dire la communauté internationale, sommes confrontés dans le cadre de la mise en œuvre des Objectifs du Millénaire d’ici 2015 et auxquelles nous devons trouver des réponses, non seulement pour tenir nos promesses et préserver notre crédibilité, mais aussi et surtout pour sauver des milliers de vies humaines, maintenant et à l’avenir.

Au Luxembourg, la coopération au développement est une priorité des programmes gouvernementaux depuis le début des années 90.

La Coopération luxembourgeoise vient d’être examinée par ses pairs du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE qui, dans son rapport final publié début juin, conclut notamment :

"Le Luxembourg est un donneur généreux et engagé. Son aide a progressé de près de 12% en termes réels entre 2006 (291 millions de USD constants) et 2007 (325 millions de USD constants) pour atteindre 0.90% du RNB, ce qui le place en pourcentage au troisième rang des donneurs. Chaque année depuis 2000, le Luxembourg a atteint une aide d’au moins 0.7% de son revenu national. Il a promu, en outre, les efforts déployés par la communauté internationale pour rehausser la qualité et accroître le volume de l’aide."

Notre aide publique au développement a atteint 0,92% de notre revenu national brut en 2007.

L’aide luxembourgeoise est allouée exclusivement sous forme de dons et elle est entièrement déliée.

Par souci de qualité et d’efficacité, l’accroissement sensible du volume d’APD au cours des dernières années a été accompagné d’une politique de concentration géographique sur dix pays partenaires: six en Afrique de l’Ouest, deux en Amérique latine et deux en Asie. Couplée à cette approche de concentration géographique est une politique de concentration sectorielle - l’éducation, la santé ainsi que l’eau et l’assainissement - les priorités transversales retenues étant la bonne gouvernance, l’environnement et le genre.

Les priorités de la Coopération luxembourgeoise s’articulent donc autour d’un axe central formé par la Déclaration du Millénaire et les Objectifs du Millénaire pour le Développement. L’éradication de la pauvreté et le développement durable sont au centre de la coopération avec nos pays partenaires.

Les synergies entre l’aide bilatérale et l’aide multilatérale sont recherchées de façon systématique, en particulier dans nos dix pays partenaires avec lesquelles nous venons de signer des Programmes indicatifs de coopération (PIC) de deuxième génération. Ces programmes de deuxième génération se fondent sur une approche résolument axée sur le partenariat tel que recommandé par la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide. Ils tiennent compte des priorités du pays partenaire tout en leur attribuant leur part de responsabilité. C’est eux d’ailleurs qui ont la responsabilité dite "responsabilité première".

De par leur nature pluriannuelle, ces programmes fournissent une prévisibilité financière indispensable à une bonne gestion des affaires d’un Etat. Les choix stratégiques de la Coopération luxembourgeoise sont substantiellement orientés par deux documents-phares qui servent de références internationales pour la coopération internationale et dans l’élaboration desquels le Luxembourg a joué un rôle actif, notamment en sa qualité de président de l’Union européenne en 2005. Je veux bien sûr parler du Consensus de Monterrey sur le financement pour le développement et de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide. Du point de vue de la Coopération luxembourgeoise, quantité et qualité de l’aide doivent obligatoirement aller de pair!

Afin de permettre un rapprochement avec nos partenaires et d’autres bailleurs de fonds sur le terrain, le Luxembourg a élargi son réseau de bureaux régionaux de coopération en Afrique et en Amérique centrale. Nous comptons actuellement cinq bureaux sur dix pays partenaires - un en Amérique latine, un en Asie et trois en Afrique de l’Ouest.

Egalement dans un souci d’efficacité et de coordination, le Luxembourg a eu au cours des douze derniers mois des contacts rapprochés avec d’autres coopérations européennes, dont la Belgique, la Finlande, l’Espagne, la Slovaquie et la Commission européenne, tantôt à notre demande, tantôt à la leur.

En ce qui concerne la collaboration avec nos partenaires multilatéraux, notamment ceux de la famille des Nations Unies, nous suivons la voie de la prévisibilité de l’aide et de la flexibilité opérationnelle à travers la signature d’accords-cadres qui prévoient une programmation pluriannuelle assortie de consultations annuelles qui nous permettent de revoir et de réajuster nos programmes communs aux besoins du terrain.

J’en viens maintenant à la partie de notre rapport national qui traite du thème de la réunion d’aujourd’hui, à savoir: l’intégration du septième Objectif du Millénaire pour le développement concernant un environnement durable dans la politique luxembourgeoise de coopération.

A cet égard et à titre préliminaire, je m’empresse de souligner que la Coopération luxembourgeoise comprend le développement durable dans ses trois aspects : l’économique, le social et l’environnemental. Seules les avancées simultanées sur ces trois fronts peuvent assurer la durabilité du développement.

Ceci dit, la Coopération luxembourgeoise tient compte, de manière transversale, des préoccupations environnementales dans l’ensemble des programmes et projets qu’elle met en œuvre. Ces préoccupations sont systématiquement à l’ordre du jour de nos travaux:

  • au niveau du dialogue politique ministériel entre le Luxembourg et ses pays partenaires, notamment lors des Commissions de partenariat annuelles;
  • au niveau des échanges entre les bureaux de la Coopération luxembourgeoise dans les pays partenaires et les administrations de ces pays;
  • au niveau de la traduction pratique de la politique sur le terrain par l’agence d’exécution de la Coopération luxembourgeoise, Lux-Development;
  • au niveau de la coopération avec des acteurs multilatéraux et notamment des fonds et programmes des Nations Unies.

A côté de l’approche transversale, une approche ciblée et opérationnelle se conçoit bien sûr si cela correspond aux besoins du pays partenaire exprimés dans sa stratégie nationale de développement.

Un exemple donné dans notre rapport est celui du Burkina Faso, où l’un des deux secteurs de concentration du Programme Indicatif de Coopération, qui couvre les années 2008 à 2012, est la gestion des ressources naturelles. Les activités identifiées en coopération avec les autorités burkinabés et soutenues par la Coopération luxembourgeoise visent à réduire les nombreux obstacles à une gestion durable des ressources naturelles notamment à travers la formulation d’une politique environnementale cohérente et le renforcement du cadre institutionnel et opérationnel. La Coopération luxembourgeoise fournit par ailleurs un appui au développement et à la mise en œuvre du Programme national de gestion durable des ressources forestières en soutenant des actvités qui visent l’amélioration des connaissances sur les ressources forestières nationales, le renforcement des capacités des acteurs nationaux, l’accroissement et la diversification des productions forestières ainsi que le renforcement du cadre juridique et institutionnel de la gestion durable des ressources forestières.

Un autre exemple est celui du Niger, où la Coopération luxembourgeoise soutient un projet d’appui au développement territorial de l’approvisionnement en eau potable dans le département de Dosso, un projet qui a de nombreuses retombées socio-économiques et sanitaires et qui répond à une des priorités de la deuxième Stratégie de Réduction de la Pauvreté du Niger.

De manière générale, l’accès à l’eau et l’assainissement sont des sujets d’importance primordiale pour tous nos pays partenaires, que se soit en raison d’un stress hydrique qui frappe le pays entier, comme c’est le cas pour nos pays partenaires d’Afrique de l’Ouest sahéliens et du Cap Vert, ou que se soit pour la simple raison que sans accès à l’eau et sans assainissement un développement durable est difficilement concevable, pour ne pas dire impossible.

Je n’entrerai pas ici dans les détails de l’intégration des principes du développement durable dans les politiques du Luxembourg à niveau national. Vous trouverez une description des mesures prises par les gouvernements depuis le Sommet de la Terre en 1992 dans notre rapport.

Je passe maintenant à quelques questions urgentes qui mettent en exergue les défis que nous avons à affronter dans un souci permanent pour le développement durable. Dans notre rapport nous en avons abordé deux - le changement climatique et la sécurité alimentaire - permettez-moi d’élaborer davantage cette partie de mon intervention.

  • Changement climatique

La Coopération luxembourgeoise soutient depuis plusieurs années les efforts d’adaptation au changement climatique entrepris par les pays en développement et des programmes de réduction des risques en cas de catastrophes naturelles. La décision a été prise d’accroître ces efforts durant les années à venir. Les conclusions de la réunion annuelle du Global Humanitarian Forum de Kofi Annan, à laquelle j’ai participé la semaine passée à Genève, me confortent dans cette démarche.

Par ailleurs, la Coopération luxembourgeoise a décidé en début d’année d’intégrer de façon systématique dans ses programmes de développement les questions d’adaptation au changement climatique. Cela ne signifie pas que nous allons inventer un nouveau secteur qui viendrait s’ajouter à nos secteurs traditionnels que sont l’eau, la santé, l’éducation et le développement rural intégré. Cela signifie qu’à l’avenir, chaque nouveau projet sera préalablement examiné de façon systématique quant à son impact sur le climat et sa compatibilité par rapport au climat.

  • Crise alimentaire

La crise alimentaire qui frappe surtout les plus pauvres, au Sud comme au Nord, a dominé les débats ces derniers mois. Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit, permettez-moi juste de souligner cinq points qui, pour moi, sont cruciaux dans ce contexte :

  1. Il faut investir de manière concrète, multifonctionnelle et durable dans l’agriculture des pays en développement en accordant la priorité à la sécurité alimentaire. Un rôle clé revient à la biodiversité;
  2. Il faut reconnaître à chaque région du monde le droit d’organiser son agriculture comme elle l’entend - c’est une question de sécurité alimentaire, mais c’est aussi une question de souveraineté alimentaire;
  3. Il faut fermement dénoncer et agir contre la spéculation boursière sur les produits agricoles de base;
  4. Il nous faut réexaminer et rééquilibrer notre approche en matière de biocarburants. Dans l’absolu, les besoins en alimentation devront toujours primer sur les besoins en carburant;
  5. Enfin, il faut rapprocher les enjeux du changement climatique et ceux de la lutte contre la pauvreté.
  • Sonner l’alarme face au recul inquiétant de l’APD

Nous sommes à mi-parcours dans le calendrier de réalisation des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et les chiffres de l'aide au développement pour 2007, publiés en avril dernier, sont très loin des objectifs fixés. Nous sommes collectivement en train de relâcher nos efforts et ceci est inacceptable.

Mon appel à redresser la barre s’adresse à tous les Etats bailleurs de fonds, y compris à nos partenaires de l’Union européenne. Bien que l’Union et ses Etats membres restent de loin le plus important bailleur de fonds, représentant quelque 60% de l’APD internationale, l’année 2007 doit être qualifiée de mauvaise année en matière d'aide publique au développement. En un an, la part de l'Union européenne relative au revenu national brut a baissé de 0,03%: en termes réels cela signifie que les pauvres dans le monde ont reçu 1,7 milliards d'euros de moins qu'en 2006. Dès la publication de ces chiffres j’ai dénoncé, ensemble avec le Commissaire Louis Michel, cette tendance dans un article paru dans la presse internationale.

Lors du Conseil des Ministres de la coopération au développement en mai à Bruxelles, j’ai demandé à ce que l’Union européenne et ses Etats membres réaffirment clairement leurs engagements d’accroître leurs APD à 0,7% du RNB d’ici 2015. J’ai aussi insisté pour que cela se fasse selon des calendriers précis.

Le Conseil a en particulier confirmé l'engagement à long terme pris par les Etats membres en 2005 sous Présidence luxembourgeoise, qui consiste à porter l'aide publique au développement à 0,7% du revenu national brut (RNB) à l’horizon 2015, avec un objectif intermédiaire de 0,56% du RNB d'ici 2010. Cela devra se traduire par le doublement de l'APD annuelle fournie par l'UE, qui s'élèvera à plus de 66 milliards d'euros en 2010.

Le Luxembourg ne ménage aucun effort pour veiller à la mise en œuvre de ces engagements ensemble avec ses partenaires. Etant l’un des principaux artisans de l’accord de 2005, je ne ménagerai à titre personnel aucun effort pour que ces engagements soient respectés.

  • Explorer de nouvelles voies

Il convient de rappeler que le Consensus de Monterrey ne cite l’APD que comme une source parmi d’autres pour le financement du développement.

A cet égard, je voudrais partager avec vous l’expérience luxembourgeoise dans le domaine de la microfinance. Sur base d’échanges avec des ONG et des partenaires multilatéraux, il a été possible au cours des dernières années de développer l’intérêt de notre place financière - intérêt qui existait déjà bien sûr - aux instruments de microfinance, dans le cadre d’un véritable partenariat privé-public. Aujourd’hui, quelque 25 fonds d’investissements domiciliés au Luxembourg investissent à eux seuls près de 1,6 milliard d’euros dans des activités de microfinance dans les pays en développement et je suis content de pouvoir vous informer que la tendance est à la hausse.

Le rôle de la Coopération luxembourgeoise dans ce contexte était celui d’un facilitateur. D’un côté, il fallait inciter les différents acteurs à se rencontrer. De l’autre côté, il fallait soutenir les efforts de nos pays partenaires du sud dans leurs efforts de créer les conditions nécessaires en termes de capacités des structures administratives et financières nationales et en termes de cadre légal et de bonne gouvernance.

Enfin, l’engagement continu du Luxembourg dans le secteur de la microfinance nous a valu la présidence du UN Advisers Group on Inclusive Financial Sectors qui remet ces jours-ci aux Nations Unies les recommandations de ses deux ans de travail.

  • Les défis de la réalisation des OMD à l’horizon 2015

La réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement doit aller de pair là, où cela est nécessaire, avec un travail que je qualifierai prudemment de travail sur les mentalités. Les pays du Nord doivent de façon conséquente pratiquer et mettre en œuvre au jour le jour le partenariat qu’ils prônent sur le papier et qu’ils appellent de leurs vœux.

Les pays du Sud, quant à eux, doivent plus que par le passé sans doute intégrer les différentes facettes de la réalisation des OMD dans leurs politiques nationales dans une optique notamment de planification budgétaire, de bonne gouvernance et de renforcement des capacités en vue d’une plus grande appropriation.

Ces réflexions me ramènent au binôme inséparable de la quantité et de la qualité de l’aide.

Trois importants rendez-vous sont devant nous:

  1. Dans exactement deux mois nous allons nous revoir à Accra au Ghana pour examiner et vérifier dans quelle mesure les signataires de la Déclaration de Paris sur l’efficacité de l’aide au développement ont respecté leurs engagements en termes d’appropriation de la part des bénéficiaires, d’un meilleur alignement sur les priorités des pays partenaires, mais aussi en termes de procédures plus harmonisées, de gestion pour des résultats ainsi que d’une responsabilité partagée entre les partenaires.
    La Coopération luxembourgeoise a relevé ces défis et offrira d’ici-là son plan d’action de mise en œuvre des engagements souscrits.
  2. Le Secrétaire général nous a convoqués pour faire le point sur l’état d’avancement de la réalisation des OMD au mois de septembre. C’est un rendez-vous important.
  3. Enfin, lors de la conférence internationale fin novembre à Doha, nous allons apprécier le suivi qui a été donné aux engagements pris en 2002 dans le Consensus de Monterrey sur le financement du développement. J’espère qu’à Doha nous serons à même de faire preuve d’engagement renouvelé, mais aussi d’imagination et d’originalité et surtout d’ambition, d’ambition commune et partagée.

Monsieur le Président,

En guise de conclusion, je voudrais réaffirmer la forte volonté du gouvernement luxembourgeois d’aller de l’avant dans la lutte contre la pauvreté.

Comme l’a fait dire l’auteur français Eric Orsenna de manière très pertinente à un de ses personnages de roman, en relation avec les besoins de développement du Mali en l’occurrence, "le Luxembourg ne peut pas tout faire".

Oui, le Luxembourg ne peut pas tout faire. C’est évident, mais ensemble avec tous les acteurs de ce que l’on appelle communément la communauté internationale, nous pouvons remporter le combat contre la pauvreté. Notre engagement en tout cas s’inscrit dans la durée. Il est, reste et restera entier.

Je vous remercie de votre attention.

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