Claude Wiseler, Discours à l'occasion de l'inauguration officielle de la cité judiciaire

Altesses Royales,

Votre présence aujourd’hui, ici, parmi nous, souligne l’importance du moment.

Si la simple inauguration d’un nouveau bâtiment peut parfois être considérée comme banale, le déménagement d’une institution dans une nouvelle cité, avec toute la symbolique que cela comporte, relève de l’exceptionnel.

Nous installons aujourd’hui l’institution judiciaire dans de nouveaux locaux. Votre présence ici souligne tant la particularité de l’événement que le rôle important que joue le pouvoir judiciaire dans le nécessaire équilibre des institutions. Soyez en remerciés.

Monsieur le Président de la Chambre des députés,
Messieurs les ministres,
Madame le Président, Monsieur le Procureur général,
Excellences, Distingués invités,

Nous arrivons à la fin d’une longue histoire. Une histoire à multiples rebondissements, longues discussions, intéressantes, souvent, parfois houleuses, mais toujours émotives. Une vraie histoire comme il y en a souvent dans les Travaux publics.

Une histoire avec beaucoup d’émotions parce que nous touchons à quelque chose de sensible, et cela à plusieurs niveaux:

  • Tout d’abord, par le choix de l‘emplacement de la cité judiciaire, nous avons ouvert une discussion symbolique sur la place de la justice;
  • Par le choix du concept, grand bâtiment ou cité ouverte, nous avons abordé l’image qu’on pouvait se faire de la justice;
  • Les discussions autour des concepts fonctionnels nous ont imposé des choix difficiles entre la facilité fonctionnelle souhaitée et les principes de sécurité nécessaires, inhérents à l’utilisation du bâtiment;
  • L’emplacement au coeur de la ville, là où a été faite l’histoire de notre ville et de notre pays, nous a irrémédiablement entraînés dans des questions de patrimoine et d’histoire, nous a mis devant des options relatives au futur d’une ancienne ville forteresse plus que millénaire;
  • Ajoutons à cela un choix architectural tranchant et sans concession, et de nombreuses questions autour de l’art en architecture. Vous conviendrez qu’il était complètement et absolument impossible d’éviter les discussions.

Moi, j’ajouterais que le projet les méritait. J’y ai d’ailleurs contribué personnellement à plusieurs niveaux, notamment en tant qu’échevin de la Ville avant de devenir ministre des Travaux publics. Ce qui ne m’a pas facilité la tâche. Mais commençons par le début:

Tout d’abord il y avait la nécessité. Tout le monde s’accordait à dire que les anciens locaux de la justice n’étaient plus dignes d’une justice moderne et qu’un nouvel instrument de travail, fonctionnel et représentatif à la fois, était nécessaire.

C’était une évidence, c’était une nécessité. C’était le 25 octobre 1991, date à laquelle le Conseil de gouvernement a invité le ministre des Travaux publics à faire élaborer un projet pour la construction d’un nouveau Palais de Justice sur le plateau du St Esprit.

Décision sur le site, précédée de discussions, accompagnée de discussions et suivie de discussions, jusqu’à ce jour.

On aurait pu imaginer le Kirchberg, la Rocade de Bonnevoie ou encore la Place de l’Etoile. Chaque site ayant ses avantages et ses désavantages. On a choisi le plateau du St Esprit. Pour de nombreuses raisons, mais également parce qu’on souhaitait que la justice ait - garde - sa place au sein du cœur historique de la ville. La place du St Esprit avait fait l’objet de nombreux projets. Ne citons que la Chambre des députés ou encore le Musée d’art moderne. Ce fut finalement la Cité judiciaire. Ce qui nous concentre le législatif, l’exécutif et le judiciaire dans un rayon de 500 mètres. C’est également ça le Luxembourg.

Le 13 mars 1992, le Conseil de gouvernement approuve la proposition de mon prédécesseur Robert Goebbels de confier la mission d’architectes à Rob et à Léon Krier, architectes luxembourgeois de renommée internationale. De renommée internationale, mais également au style architectural bien défini, bien personnel, au trait caractéristique.

Depuis lors on a souvent discuté le style architectural des bâtiments où nous nous trouvons aujourd’hui. Je veux bien. Chacun son goût. Mais je tiens à préciser qu’il y a une chose qu’il faut éviter: Reprocher à l’architecte Krier de faire du Krier. C’est ce qu’il a fait ici. Sa renommée se fonde sur une philosophie architecturale classique et traditionnelle, le post-modernisme, qui souhaite, ici, être en harmonie avec la substance historique de la ville. Les règles de l’architecture classique sont respectées, les matériaux sont traditionnels, l’utilisation du chêne pour les portes, sols et meubles est caractéristique et alterne avec le jeu du noir et blanc du carrelage et avec la douceur du pavage extérieur.

On aime, ou on n’aime pas. Comme pour tout ce qui est fort en expression, on en discute. Moi, je souhaiterais simplement qu’on ne se laisse pas influencer par la discussion, que chacun se fasse son opinion: Voilà pourquoi, ensemble avec l’administration judiciaire, nous organiserons une porte ouverte le 12 octobre de 14.00 à 18.00 heures. On en parle mieux lorsqu’on a vu soi-même. Pour se faire une opinion il vaut mieux d’abord se faire une image.

Les architectes à l’époque ont présenté au ministre des Travaux publics deux concepts: celui d’un palais de justice avec une entrée centrale et une distribution intérieure plus complexe. Moins cher et plus sûr.

Ou encore le concept d’une cité judiciaire : ensemble de bâtiments différenciés tant au niveau physique qu’architectural. Concept unique, concept vraisemblablement plus cher et plus difficile à gérer. Concept courageux, donnant l’image d’une justice ouverte, à échelle humaine et surtout, concept qui s’intègre urbanistiquement beaucoup mieux dans le cœur historique d’une ville où ce type de construction est plus fréquent.

Après tous ces choix vinrent d’autres étapes:

  • Juillet 1994: Finalisation du programme de construction élaboré avec toutes les instances concernées, de l’époque: administration judiciaire, Conseil de l’ordre, Police
  • Avril 1999: Vote du 1er projet de loi

Mais ce vote, contrairement à l’habitude, ne signifiait pas la fin des discussions.

Commença un grand débât très médiatisé autour de l’emplacement, de la protection de la zone déclarée patrimoine culturel national par l’Unesco à laquelle s’ajoutèrent des conditions posées pour l’obtention de l’autorisation de bâtir.

Les plans à la base du texte de 99 furent fondamentalement modifiés, on déplaça des bâtiments entiers, on supprima des parties, on remania l’ensemble et on ajouta ci et là des étages, une crypte archéologique, on modifia le parking et on fit reposer un bâtiment entier sur un espace vidé au préalable.

Ce n’est qu’ensuite, après que toutes les autorisations avaient été obtenues, que Mme la ministre Hennicot et M. le ministre Frieden, posèrent enfin, sous une pluie torrentielle, la première pierre le 7 octobre 2003.

On commença, après discussion à la Chambre des députés, à construire une autre cité judiciaire que celle qui avait été à l’origine de l’autorisation financière. Celle qu’on construisait, différente, plus complexe, mieux intégrée, allait devenir plus chère. 125 millions, au lieu des 100 millions prévus.

Avait-on à faire à un dépassement budgétaire, fallait-il une rallonge?

En charge du dossier à cette époque-là, je souhaitais que les choses soient claires. On dépasse un budget lorsque ce que vous avez planifié coûte plus cher que prévu. Ce n’était pas le cas ici, puisqu’en fait, on construisait autre chose. Cet autre chose allait coûter ce qui avait été prévu, mais c’était autre chose que ce qui avait été voté.

Enfin, quoi qu’il en soit, j’ai décidé de proposer au gouvernement et à la Chambre des députés, de ne pas voter une rallonge, mais, fait exceptionnel, j’ai proposé au vote un nouveau devis global, adapté au nouveau projet. Ce fut fait par la loi du 3 août 2005, et le budget pourra être respecté.

Aujourd’hui, 17 années après la première décision du Conseil de Gouvernement, 14 années après la finalisation du programme de construction, 9 années après le vote de la première loi, 5 années, quasiment, jour pour jour, après la pose de la première pierre, finit donc ici cette longue histoire. J’en suis content.

Je pourrais vous raconter encore de nombreuses anecdotes autour de ce projet, les unes amusantes, les autres moins, autour de ce projet. D’autres pourraient, j’en suis persuadé, en faire autant.

Pour finir, quelques mots sur aujourd’hui. Un bâtiment, des bâtiments comme ceux-ci., avec leurs 135.000 m³, leurs 43.300 m², leurs 330 bureaux, leurs 500 postes de travail, leurs 16 salles d’audience, leurs 21 salles de réunion, leurs 6 salles d’enquête, leur bibliothèque et leur salle de formation, ont besoin de rodage. Quelques semaines, quelques mois, pour régler, pour ajuster cette mécanique au fonctionnement complexe à une justice qui a besoin de sécurité, de fonctionnalité, de discrétion, d’efficacité. J’ai demandé à M. l’avocat général, qui a organisé ce déménagement avec minutie, patience et humour, de me dresser pour la fin de l’année une liste des réglages à faire.

On les fera, des solutions existent, les problèmes sont là pout être résolus.

Je crois que tout compte fait et après de nombreuses péripéties qui seront vite oubliées, une nouvelle histoire commence ici. La Justice dispose d’un instrument de travail adapté à ses besoins, représentatif, qui reflète l’image d’une justice accessible et ouverte.

Je crois que la Justice a sa place au cœur de la ville.

Je sais que la cité judiciaire est depuis des semaines une des nouvelles étapes dans l’itinéraire architectural de tout touriste qui visite la Ville de Luxembourg.

Je voudrais remercier l’architecte, toutes les firmes qui ont travaillé sur ce chantier, les responsables, les ouvriers, tous ceux qui ont participé d’une façon ou d’une autre à la réussite de ce projet.

Je voudrais également remercier l’Administration des bâtiments publics, qui a tout de même réussi à construire, entre autres projets en parallèle, tant cette cité judiciaire que la nouvelle Cour de justice des Communautés européennes. Ce n’était pas une mince affaire.

Je vous remercie pour votre attention.

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